Carlos Ruiz Zafón est espagnol. Il est né le 25 septembre 1964 à Barcelone, c'est dire que nous fêterons lors de notre prochain club de lecture, son cinquante-cinquième anniversaire !
Fils d'un agent d'assurances et d'une mère au foyer, Carlos Ruiz Zafón a passé onze ans chez les Jésuites, au collège Saint-Ignace de Barcelone.
Son éditeur, Robert Laffont raconte ainsi ses débuts : "Avant même d'apprendre à lire et à écrire, je me racontais des histoires". Dès l'âge de neuf ans, il commence à les coucher sur le papier. "Après, j'ai créé une petite maison d'édition avec un copain dont le père tenait une papeterie et possédait cet objet extraordinaire pour nous : une photocopieuse Xerox. Un camarade dessine les jaquettes, un autre s'occupe du "marketing", c'est une affaire qui marche. Même les profs nous achetaient notre fanzine ! Jusqu'à ce que le directeur de l'école y jette un œil et découvre, horrifié, des histoires à glacer le sang, peuplées d'assassins et de fantômes en tout genre. Censure immédiate". Le jeune Carlos ne se décourage pas et rédige, à quatorze ans, un roman victorien de six cents pages. "Il faut en passer par là, écrire des centaines de pages qui ne seront jamais lues par personne", décrète cet admirateur de Charles Dickens, d'Alexandre Dumas, John Dos Passos et Raymond Chandler. Pour vivre de sa plume, il se lance, à vingt ans, dans la publicité, monte vite en grade, devient un créatif convoité. "J'ai gagné tellement d'argent que mon père me soupçonnait de frayer avec les narcotrafiquants !" Mais au fond, la pub, ce n'est pas son truc. Le 1er janvier 1992, il se met à écrire pour la jeunesse. "Là encore, j'ai réalisé que ce n'était pas ma voie". C'est avec son quatrième livre, "Marina," un roman hybride, mon préféré, que l'écrivain s'oriente vers ce qui deviendra sa marque de fabrique : cette veine gothique et mystérieuse qui lui a si bien réussi. Et qu'il entretient en collectionnant les dragons sous toutes les formes, des sculptures aux peluches, en passant par la petite broche qu'il arbore sur son beau polo. Zafón aurait-il vraiment le feu sacré ?..."
Carlos Ruis Zafón décide de se consacrer à un nouveau roman qu'il intitule "L'Ombre du vent" et qui est le premier roman destiné à un public adulte. L’édition originale a été rédigée en langue espagnole sous le titre "La sombra del vient"o, et publiée en 2001. Traduit par François Maspéro en 2006 il a été republié à de multiples reprises, dont l'une en 2013. Il fait encore partie de la sélection de Babélio en 2019.
Ses derniers romans (¹), parus actuellement jusqu'en 2016, connaissent également un large succès.
Il se partage depuis 1993 entre Los Angeles où il écrit des scénarios de films et Barcelone sa ville natale.
"L'ombre du vent" est un roman historique qui se déroule à Barcelone dans les années où, sous la férule de Franco, toute l'Espagne subit encore les conséquences désastreuses de la Guerre civile, sur le plan social, culturel, économique et politique, et celles de la Seconde Guerre mondiale.
L'histoire commence en 1945 avec Daniel Sempere, huit ans, qui marche dans la rue, donnant la main à son père, sans savoir où celui-ci l'emmène. Parvenus à leur destination, il apprend qu'il se trouve dans "Le Cimetière des livres oubliés", une immense bibliothèque, lieu mystérieux que très peu de gens connaissent. Son père estime qu'il est maintenant assez grand pour choisir un livre parmi les milliers qui dorment sur des étagères labyrinthiques, l'adopter et le "sauver" envers et contre tout. Dans le plus grand secret. Daniel se sent comme attiré par "L'Ombre du Vent" de Julian Carax.
Son père étant un modeste libraire de livres d'occasion, Daniel vit parmi les livres depuis toujours. Enfant solitaire, ils ont toujours été ses amis. Il a compris qu'il ne devra parler à personne de cette visite : "Pas même à ton ami Tomas !" _Pas même à maman ?" _Si bien sûr. Pour elle, nous n'avons pas de secret !" Et l'enfant repense à cette maman morte du choléra lors de ses quatre ans et il est soudain horrifié en réalisant qu'à ce moment-même il a oublié son visage !
Pour se consoler, il se lance dans la lecture de SON livre, lecture tellement passionnante qui va changer le cours de sa vie et l'entraîner dans une série d'aventures et de mésaventures pour mettre au jour des secrets enterrés dans l'âme de la ville et qui constituent l'Ombre du Vent.
Déjà, il s'interroge sur cet auteur "Julian Carax". Or, son père et Monsieur Barcelo, autre libraire très érudit, ne savent presque rien de lui. Par bribes, ils découvriront pour lui sa vie de lycéen, ses relations, son amour malheureux pour une jeune fille d'un milieu richissime, Pénélope Aldaya. Et qu'il est impossible de trouver aucun de ses livres.
Daniel grandit. Adolescent toujours lancé dans des amours "éternelles", malheureuses ou interdites, Clara, d'abord, fille du libraire Barcelo, puis Nuria Montfort, parce quelle a une allure de pécheresse ; enfin Béa, la sœur de son meilleur ami.
Jeune homme, il consacre l'essentiel de sa vie à déchiffrer le mystère de celle de Julian Carax, au point que, par moments leurs deux vies semblent se confondre. Au cours de ses pérégrinations, Daniel va rencontrer Fermin Romero de Torres, vagabond qu'il va emmener chez lui et "adopter", homme truculent, grand séducteur, mais ami indéfectible qui va l'aider dans ses recherches, souvent au péril de sa vie car règne en maître sur Barcelone le dangereux inspecteur de police Fumero, ripou, corrompu, qui l'a naguère torturé dans la sinistre prison de Montjuïc et est tout prêt à recommencer ! Une cinquantaine de personnages vont bientôt vivre ou avoir vécu autour du jeune homme, selon qu'ils sont contemporains ou ont vécu dans la vie ou le livre de Julian Carax. Ils aident Carlos Zafón à établir une ambiance prégnante, avec leurs particularités, leurs qualités et leurs défauts.
Peu à peu, les recherches de Daniel et celles plus aventureuses de Fermin vont permettre de retracer l'histoire de Julián Carax. Celle de son père, le chapelier Antoni Fortuny, qui terrorise et roue de coups sa femme Sophie Carax et son fils Julián, -dont, en fait, il n'est pas le géniteur-. Penélope Aldaya chaperonnée par Bernarda qui l'adore, fille unique du richissime Ricardo Aldaya. S'étant rencontrés par hasard, les deux jeunes gens tombent éperdument amoureux, mais leur amour va rester clandestin pendant des années, au terme desquelles ils décident de fuir à Paris. Mais leur relation est découverte par Aldaya : ivre de fureur car le médecin révèle que Pénélope est enceinte, il séquestre sa fille ; et Julián doit partir seul pour Paris. Miquel Moliner, ami de Julián, sacrifie ses moindres ressources pour lui permettre de rejoindre Paris et de survivre dans la capitale, avec une seule consigne ; "Ecris !". Mais les livres qu'il écrit n'ont pas le succès escompté. Miséreux, il décide après quelques années de galère, de revenir à Barcelone où, réfugié chez Nuria Montfort, il doit vivre dans la plus absolue clandestinité, Ricardo Aldaya ayant, avant de partir pour l'Argentine, chargé Fumero de le tuer s'il revient. Sur le point d'être arrêté, il se cache chez son père qui, entre temps a fait faillite et se terre dans son atelier.
Parallèlement, le lecteur apprend qu'un personnage louche, Laïn Caubert, traque à travers le monde tous les exemplaires des livres de Julian Carax, au point de brûler un entrepôt où il en reste, de menacer Daniel de mort s'il ne lui remet pas son exemplaire, etc. Il s'avère que ce Caubert, brûlé presque à mort, est en réalité Julian qui rôde bientôt chaque nuit dans Barcelone, dans la villa Aldaya abandonnée depuis des années. Il y découvrira finalement le tombeau de Pénélope et… celui, minuscule, de David, apprenant ainsi qu'elle avait eu de lui un fils mort-né !
Au fil du temps, Daniel, de son côté, est tombé éperdument amoureux de Béa. Amours clandestines là encore, pour disparités sociales. Rencontres dans la maison abandonnée des Aldaya. Finalement découverte de leur relation, avec le même scenario : grossesse, désaveu, séquestration, tabassage… Comme naguère Pénélope, Béa disparaît. Seul Daniel, craignant le pire, devine où elle s'est réfugiée : "Dans les pas perdus de Carax, je reconnaissais maintenant les miens, déjà irréversibles…". (Je) "pressai le pas en priant pour qu'il ne soit pas trop tard et que Bea, la Bea de mon histoire soit toujours là à m'attendre". Il la découvre à demi-morte de froid, de terreur. Mais il a été suivi… Après une tuerie entre Fumero, l'un de ses inspecteurs qui, finalement, sauvera la vie des jeunes gens, et Julian pourtant moribond, Daniel et Béa, mal en point, rentreront au bercail ! Julian disparaîtra à jamais.
Quelque temps avant, pressentant à juste titre que Fumero va la tuer à cause de sa relation avec Julian, Nuria Montfort, l'une des protagonistes capitales de la vie de celui-ci, a remis à son père, gardien du Cimetière des livres oubliés, une missive pour Daniel. Cette missive comblera tous les vides sur le mystère Julián Carax-Laïn Coubert.
A la fin du roman, le terrifiant inspecteur mort, les gentils survivront, tous les amoureux convoleront en justes noces, Fermin épousera Bernarda, Clara épousera un riche banquier, Daniel, remis de ses blessures, épousera Bea.
Dix ans plus tard, leur fils, prénommé Julián, tient la main de son père qui l'emmène… au Cimetière des Livres Oubliés.
"L'Ombre du vent" est un récit magnifique. Surréaliste. Plein de nostalgie, de poésie et de violence. Un livre où l'auteur prend un soin minutieux pour donner vie à ses personnages, au point que le lecteur a l'impression de vivre avec eux leurs aventures, et se demande si Le Cimetière des Livres oubliés existe réellement ? Un livre où il prend son temps, sans s'autoriser de longueurs, rôde au long des rues de Barcelone, ville mystérieuse, grise et froide, ville d'après-guerre tellement captivante. Où se côtoient l'amour et la haine, la joie de vivre et la tristesse, la peur, le courage et la lâcheté. Où l'intrigue est de belle qualité. Où il est agréable de voir un enfant grandir, le suivre dans ses recherches ; voir de quelle manière est traitée la place de l'artiste et du marginal au temps de la dictature franquiste. Bref, un livre où le parallélisme entre les deux histoires est une trouvaille, et qui possède tous les ingrédients d'un grand roman : histoire, amour, comique et drame, suspense. A lire absolument.
Jeanine RIVAIS
Prix reçus par Carlos Ruiz Zafón
Le plus grand succès couronne ses livres : Un roman, "Le Prince du brouillard", premier tome du "Cycle de la brume" (La trilogía de la niebla), publié en 1993 obtient le Prix de la jeunesse d'Edebé en 1993.
Son roman, "L'Ombre du vent" (La sombra del viento) paraît en 2001 : En janvier 2010, le classement de plusieurs magazines dédiés à l'édition, dont Livres-Hebdo en France et The Bookseller en Grande-Bretagne, l'introduisent à la cinquième place des écrivains de fiction les plus vendus en Europe et font de Carlos Ruiz Zafon l'auteur espagnol vivant le plus lu au monde. Il a été traduit dans plus de trente langues et vendu à quatorze millions d'exemplaires.
En Espagne il a obtenu le Prix des lecteurs de La Vanguardia en 2002, le Prix Planeta, en 2004.. Eté finaliste du Prix Llibreter en 2002 ; et finaliste du Prix du roman Fernando Lara en 2001.
En France : Il obtient le Prix du meilleur livre étranger en 2004. "L'Ombre du vent" a été sélectionné dans les romans étrangers pour le prix Femina 2004. Premier tome de la série "Le Cimetière des livres oubliés" (El cementerio de los libros olvidados, 2001-2016), il a été couronné de nombreux prix littéraires français, comme le Prix des Amis du Scribe et le Prix Michelet en 2005, ainsi qu'au Québec, avec le Prix des libraires du Québec 2005.
(¹) Ses derniers romans, "Le jeu de L'Ange" (2008),) "Le Prisonnier du ciel" (2011) et "Les lumières de septembre (2012), "Le palais de Minuit", "Marina" "Le livre des esprits" (2016) connaissent également un grand succès
L'OMBRE DU VENT de CARLOS RUIZ ZAFON : Editions Robert Laffont 506 pages, 20,50 €.
CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 82 DE DECEMBRE 2019 DE LA REVUE DE LA CRITIQUE PARISIENNE.