« JOURNAL INTIME » de CATY LEVEQUE

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          Nombreuses ont été les femmes écrivains qui ont, une partie de leur vie, « tenu » leur journal intime. La plus célèbre étant bien sûr, Anaïs Nin, qui fit du sien un compte-rendu parfois répétitif de ses exploits érotiques. Mais une peintre éprouvant un jour ce besoin, voilà qui est plus rare, la peinture étant supposée sublimer ses états d’âme.

C’est pourquoi, lorsque Caty Lévêque publie un livre intitulé « Journal intime », l’intérêt et la surprise sont immédiats. D’autant qu’il s’agit-là, apparemment, d’un ouvrage né sans préméditation, résultat de circonstances précises : « Hiver 2001 », écrit-elle, « Je rentre dans mon atelier après une expo. Il fait froid dehors, dedans. Difficile de se remettre à la peinture. Et puis ce contraste entre l’art et la vie du village… Il me faut trouver une solution pour concilier les deux… Inconsciemment, je (la) découvre en commençant mon premier dessin. Je vais dessiner le « ici » et « maintenant », pas seulement dans ma vie mais dans La vie… en extraire un jus transfiguré que l’on appellerait, par exemple, de l’art !!! » Ouvrage spontané, donc, mais apparaissant bientôt comme une résurgence d’un désir longtemps ignoré. Un nécessaire exercice, en somme, qui emmène la créatrice un peu lasse sur des rails apparemment libératoires ! 

Que saura le lecteur à la fin de cet ouvrage ? Qu’elle peint ; qu’elle expose ; qu’elle vit dans un village où nul ne semble savoir ni se soucier qu’elle peigne… Que, tel un ogre, elle commence un soir d’épuisement moral et de froid intense, à « dévorer » ce village et ses habitants. Et qu’une fois posés sur le papier la première phrase, le premier dessin, elle décide de « dévorer » aussi le monde. 

Peut-être cette découverte semblerait-elle un peu mince, n’était sa façon bien personnelle de dévorer tout cela ! « Journal » : Malgré l’étymologie de ce mot et les dates qui page à page accompagnent le « dit » et le « montré », il ne sera jamais question pour Caty Lévêque de mettre en avant des détails biographiques du genre "je suis née dans une famille pauvre…" ; ni de relater un quotidien ("Levée. Partie tôt au marché…) qui ne manqueraient pas d’être rébarbatifs. Par contre, le mot  « intime » prend chez cette artiste tout son sens. A travers son style souvent tronqué (« Soirée entre amis », « Restée absente dix jours »…) nostalgique, interrogatif, ou allusif (« A cause de cette soirée ratée, C ne se sent plus rien», « pas de nouvelles du grand K. »…) le lecteur devinera des soucis, des angoisses peut-être, des frustrations consécutives à des relations insatisfaisantes ; mais elle ne donnera jamais le moindre éclairage sur l’identité des êtres qu'elle évoque. En fait, elle procède comme si le lecteur les connaissait. Mais en écrivant ces mots,  pensait-elle à un possible étranger ? A l’origine, il ne semblait s’agir que de déposer à son seul usage la trace indélébile de rencontres, de remarques, de propos échangés avec elle-même, comme quelqu’un habitué à la solitude, et qui se parle à mi-voix pour rompre le silence. A quel moment, et pourquoi a-t-elle décidé d’en faire un livre à publier ?

Et quel rapport établit-elle, dans son esprit, entre les textes et les dessins ? Il semble, pour le liseur, évident qu’entre eux existe un « décalage » : si chaque dessin reflète bien les mots du texte, il n’en est jamais une redondance. Car l’artiste a en elle trop de créativité, trop de poésie pour se répéter. Chaque « communion » parole/image semble donc être là comme en philosophie, une réflexion part d’un exemple concret, et s’élargit à l’échelle du monde. De sorte que cet ensemble écriture/dessin devient incantation mélancolique, presque une prière. Une prière un peu païenne d’un être dont le Dieu se nomme nature ; qui aime « vivre dans la neige » ; respire à larges goulées le froid dont « le givre sur le barbelé des champs ressemble à une fleur » ; aime se remémorer la convivialité des « soirées entre amis, entre champagne et foie gras ». Un être enfin, pour qui la vie quotidienne devient mythologie. « C, notre épicière, les figues, le platane »… tous ces éléments banals qu’elle a transcendés renvoient à une histoire plus compliquée, qui « méritent » d’être lancés à l’échelle de ce monde qu’elle prétend « dévorer ».

De ce fragment de vie écoulé entre le 5/12/01 et le 16/9/02 s’échappe, malgré quelques petits moments de détente et de bonheur, un sentiment de vague à l’âme, de profond mal-être comparable au Spleen des artistes du XIXe siècle. Caty Lévêque semble s’être glissée hors de l'un de leurs ouvrages. En tout cas, ses beaux dessins à la sanguine, aux pastels ou aux encres brunes en sont très proches. Et sans doute n’est-ce pas un hasard si elle passe le soir de Noël « sur le petit divan tiré devant le poêle en compagnie d’Ensor » ?

Deux interrogations demeurent : L’artiste a-t-elle poursuivi ce journal intime ? A-t-elle retrouvé une sérénité qu’avait rompue un atelier glacé vide de ses toiles ? Cet ouvrage, sincère assurément, pudique et talentueux, a ouvert une brèche dans l’esprit/le cœur du lecteur/spectateur. Soulagé lorsque l’auteur écrit : « grâce à ce journal, je me suis nourrie tout l’hiver. Et tout le printemps aussi. Et toutes les autres saisons ! » Et quasi-rassuré parce qu’une phrase aussi enthousiaste suggère qu’elle y a gagné la paix !

Jeanine Rivais

« Journal intime » : CATY LEVEQUE. Editions Atlantica, Anglet (64). 108p. 23€