ART ET ARGENT  LES LIAISONS DANGEREUSES.

 

De FRANCOIS BOURGINEAU

 

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« L’argent est le premier acteur du monde de l’art devenu un marché au même titre que celui du cuivre, et à coup sûr plus lucratif que celui de l’or » .(François Bourgineau).

          De tous temps, des mécènes ont permis à des artistes de créer. Devenus « des sponsors », ils sont entrés dans une course frénétique à l’argent, non dans le but premier de promouvoir des œuvres, mais tels des pharaons faisant jadis ériger leur tombeau, d’élever un lieu le plus visible possible, afin d’assurer leur postérité. C’est à qui construira la tour la plus haute, la maison ou le bâtiment les plus luxueux. (Il n’est que de penser au Nid d’Oiseau à Pékin, etc.)

 

          Autrefois, l’artiste créait et la relation s’établissait de pair à pair entre lui et le galeriste ou le personnage privé qui assumait la révélation de son œuvre. Aujourd’hui, ce sont la presse et les marchands qui ont la haute main sur l’art. Subséquemment, dans cette course au plus ostensible, au plus rentable, le monde de l’art ne fait pas exception, et les musées sont devenus la vitrine des villes ou des collectionneurs privés. L’artiste, en fait, n’est plus qu’un producteur, l’art n’est plus qu’une matière au même titre que n’importe quelle autre marchandise : le lucratif a détrôné l’esthétique. Aussi parle-t-on désormais du « marché de l’art ».

 

 

Evoquant cette course où l’art est devenu « un enjeu de puissance pour les Etats, et l’objet de combats sans pitié entre collectionneurs », le livre de François Bourgineau met en évidence le fait que « l’architecture et l’argent sont deux mondes qui se comprennent difficilement et sont souvent mariés de force », car une nouvelle donne est apparue où « l’art et l’architecte, l’argent et le pouvoir se tiennent  solidement la main pour une étonnante aventure où les musées se transforment en marque, où les œuvres d’art atteignent des prix vertigineux, où l’architecture devient Art et où le monde politique veille pour récupérer la mise ».

 Avec l’hyperurbanisation, les constructions de prestige se sont multipliées. La course a commencé en 1997, avec celle du Musée Guggenheim de Bilbao. Edifié par un architecte de renom international, installé dans une région économiquement sinistrée, ce musée a drainé un nombre impressionnant de visiteurs, contribuant au redressement de la ville. D’autres ont suivi, avec des coûts de plus en plus extravagants. Depuis lors, l’architecture s’évalue comme la peinture. Elle se transforme en un objet artistique, et, phénomène nouveau, « le fait de pouvoir « habiter » les œuvres est secondaire. On assiste à la construction de musées dont les collections ne sont plus l’essentiel ». François Bourgineau fait donc, musée après musée l’historique, évalue les éléments économiques et financiers qui en ont jalonné la construction, les orientations qui les caractérisent. Après la « saga Guggenheim », la « saga François Pinault » dans l’île Seguin puis à Venise, le Louvre à Abu-Dhabi, la saga LVMH de Bernard Arnault à Boulogne… .

Et la France, dans cette volonté de prestige ? Il y a Pompidou/Metz, Le Louvre/Lens. Mais l’auteur s’attarde longuement sur Lyon qui, sans trop savoir qu’y mettre, a décidé la construction du Musée des Confluences, entrant ainsi dans le flux de cette démarche contemporaine : « Le coût initial prévu de 157 millions d’euros est passé à 193 millions début 2007, soit une augmentation de 27% ». Ayant de ce fait largement dépassé le budget de la ville ; d’où la nécessité de faire appel au Conseil régional et autres ». Changeant ainsi les définitions de ce musée. Qu’importe puisque l’ensemble architectural propose une impressionnante juxtaposition de volumes de verre ; de métal… Ce qui est très mode ! L’exemple de Confluences est typique, par les difficultés rencontrées pour le construire, envisager la présentation du « contenu » de ce précieux « contenant » ; générer justement ce contenu (ce qui n’y semble pas évident) ; préparer la gestion des années futures ; mais surtout affronter un évènement nouveau (commun à tous les musées) : l’impossibilité d’assurer ces bâtiments.

L’auteur évoque ensuite la construction de la tour Signal à la Défense, la volonté politique du gouvernement en place de faire du « Grand Paris » une oeuvre d’art… Toutes ces constructions nationales urbaines ou privées dépendant du génie créateur d’une demi-douzaine d’architectes hyper-primés, qui s’entre-déchirent pour se voir confier l’élaboration de ces prestigieuses constructions, muséales ou non.

 

Finalement, dans cette course « au plus beau, au plus surprenant », que prévoit-on de mettre à l’intérieur ? François Bourgineau rappelle comment Jeff Koon, Damien Hirst et quelques autres, « devenus des entrepreneurs…(qui) se comportent comme des patrons de PME », emplissent tous ces musées (d’ailleurs, les œuvres de Koon n’ont-elles pas également investi le château de Versailles ?) ; tandis que la France, classée quatrième par le Kunst Compass, baromètre des artistes contemporains, et dont le premier Français, Christian Boltanski est au dix-neuvième rang… la France, donc n’a que peu d’artistes officiels « ayant leur place sur la scène internationale ». Et le sociologue Alain Quemain exprime son pessimisme : « A la foire de Bâle, le nombre des galeries françaises est passé de 33 en 2000, à 24 en 2006. A l’inverse, la FIAC n’attire plus les grandes galeries américaines, anglaises ou allemandes. La responsabilité en incombe à l’Etat qui distribue des aides à un petit nombre, sans stratégie visible : on saupoudre sans véritable ambition ». Tandis que le Time déclenche la polémique en publiant « La mort de la culture française » et Franck Nouchi en écrivant « Culture française, la grande illusion »…

Ainsi, dans un tour d’horizon très complet des différents aspects de l’Art contemporain et des opérations prestigieuses qui se servent de lui, François Bourgineau propose-t-il un ouvrage bien documenté sur cette aventure de l’art où « pays et villes acceptent de gommer les traces de leur histoire, pour obéir à un nouvel ordre mondial, fait de cet expressionnisme architectural débridé. (Où) l’architecture est en train de devenir la partie visible de la mondialisation ».

                                   Jeanine Rivais.

 

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François Bourgineau est architecte, urbaniste et économiste.

Franck Nouci est journaliste au Monde des Livres.

« Art et argent, les liaisons dangereuses », de François Bourgineau. Edition Hugp et Cie, 220 pages, 19,50€

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 61 DE JUIN 2009 DE LA REVUE DE LA CRITIQUE PARISIENNE.