CE QUE JE FAIS LA ASSIS PAR TERRE

De JOËL EGLOFF 

 

GRAND PRIX DE LITTERATURE XAVIER FORNERET 2004

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Avec "Edmond Ganglion et fils", son premier roman, Joël Egloff mettait en scène une petite entreprise de Pompes funèbres qui, non par désir mais par incompétence, ressuscitait les morts. Ce faisant, l’auteur choisissait d’emblée une voie originale, celle d’un humour désespéré et corrosif, rocambolesque et poétique, celle de l’Humour noir ! 

Il récidivait avec "Les Ensoleillés" où il relatait sous forme de nouvelles, une vingtaine de façons pour les protagonistes bien décidés à la regarder, de rater l’éclipse de 1999. Histoires tantôt drôles voire désopilantes; tantôt sombres et grinçantes. Montrant, l’air de rien, les manies, les obsessions, les fantasmes de ces gens.

Aujourd’hui, bordant la quarantaine, Joël Egloff propose, avec une fois encore sa prose inattendue et souvent dérangeante, son nouvel ouvrage : "Ce que je fais là assis par terre".

 

        Cette histoire qui pourrait relever de la fantasmagorie, est d’autant plus réaliste que, périodiquement, la radio annonce l’effondrement d’un morceau du parvis du Sacré-Cœur à Paris ; que des villes entières de Lorraine sont en train de s’enfoncer dans les anciennes galeries de mines ! 

Pourtant, le lecteur est pris de court, lorsque le principal protagoniste lui déclare : "Ce que je fais là assis par terre au bord de ce trou et comment j’en suis arrivé là, ça je peux l’expliquer… Mais pourquoi tout s’est passé comme ça, pourquoi ce désordre… il faut renoncer à y comprendre quoi que ce soit". Et, tout de même, pour éclairer les non-avertis, il ajoute : "Il est vrai que depuis le temps qu’on marteau-piquait, qu’on rouleau-compressait, qu’on creusait sans jamais penser au sol qui supportait le poids de nos vies trépidantes…", une telle catastrophe était de plus en plus inévitable ! Et l’auteur, en une longue description à la Kafka détaille les premiers (symptômes ?) craquements, lézardes, légers basculements des murs… l’incrédulité et l’indifférence, les inconscientes certitudes que ça n’arrive qu’aux autres ! Jusqu’au jour où, juste à ses pieds, s’ouvre un immense trou qui engloutit sa concierge… "Paix à son âme. La concierge est dans l’escalier, maintenant. Définitivement". 

 

Dès lors, rien ne saurait arrêter le cataclysme ! "Les fissures, les crevasses, c’est pas le genre de chose qui s’arrange. On en a rarement vu cicatriser". Chacun essaie bien de "colmater les brèches, faire illusion, un temps…" Inutile ! Paris se fendille. Paris se lézarde. Paris se fissure. Et Paris s’effondre ! 

 

De crevasses en anfractuosités, de fondrières en abîmes, s’effondrent également les vies d’une foule de personnes qui n’osent plus rester chez elles, mais n’osent pas non plus sortir. Et dans le même temps, s’effondre la vie du narrateur. Mais s’effondre-t-elle vraiment ? Car s’aventurant au long des rues défoncées, il va soudain prendre conscience d’autre chose que de lui-même. Assis sous un abri de bus, il guette les cris de "la ville qui rêve et qui cauchemarde". Et, à ce même endroit, il va rencontrer un étrange SDF appelé Jeff, très cultivé, ayant apparemment couru le monde, escaladé l’Himalaya…à moins que tout cela ne soit que fantasmes ? Désormais, de supermarchés en bistrots encore ouverts, de bouteilles en bouteilles de rosé de Provence, au rythme de leurs longues errances à travers la ville désolée, leurs déchéances vont se conjuguer en une indéfectible amitié. Surtout après que le narrateur ait sauvé in extremis de l’écrasement, un pigeon qui ne sait pas –ne veut pas ?- voler et va désormais participer de leur vie… L’hiver venu, celle-ci est de plus en plus dure. Jusqu’au jour où le diseur se réveille à l’hôpital, à côté d’un autre "malade" bardé de pansements et de tuyaux… Après moult péripéties, notre héros supposément guéri quitte l’hôpital et part "vivre" chez sa sœur à la campagne. Mais la campagne naguère verdoyante et émaillée de fleurs présente le même aspect que la capitale, et sa sœur a perdu la raison. Il rentre "chez lui", et recommence à chercher son ami Jeff. Il finit par le trouver… vivant, mais au fond d’un trou. Et voilà ce qu’ (il fait) "là, assis par terre"… Il parle à son ami pris dans le béton. Jusqu’à quand pourra-t-il ainsi lui lancer des fleurs artificielles ?

 

Un livre étrange. Où s’entremêlent nostalgie, rêverie et amertume, drôlerie et terreurs ancestrales. Une histoire, en même temps, originale et burlesque, écrite en un style sans complaisance, et très contemporain. Une tragi-comédie en somme. Qui mérite pleinement le Prix de l’Humour Noir 2004 qui vient de lui être attribué.

Jeanine RIVAIS.

 

JOËL EGLOFF : "CE QUE JE FAIS LA ASSIS PAR TERRE": Editions du Rocher. 160 pages. 13,78 €