Longtemps, aussi bien en Islande que dans les pays nordiques, le roman policier a été délaissé, parce qu'il était supposé être de la "mauvaise littérature" ! 

          Et pourtant, aujourd'hui qu'il est enfin reconnu, nombre de critiques ramènent ses origines très loin dans le temps : celui des sagas médiévales. En particulier de "La saga de Gisli Surson" qui raconte la façon dont un meurtre détruit une famille, sans que l'on apprenne jamais qui l'a commis. Pourtant, la saga ayant été conçue au XIIIe siècle, les conditions sociologiques ne se conforment pas aux exigences de la littérature policière. N'existaient ni police, ni pouvoir exécutif. Seule la loi du talion était applicable. En revanche, taire le fait qu’on ait tué quelqu’un et essayer de dissimuler son crime, était considéré comme fort déshonorant, comme l’atteste l’ancien recueil de lois, "Grágás", qui date d’avant l’incorporation de l’Islande dans le royaume norvégien en 1262.

          Les siècles de colonisation norvégienne et danoise expliquent peut-être les raisons pour lesquelles la littérature policière islandaise a de nombreux points communs avec la littérature policière nordique.

 

          Histoire du Roman policier islandais  

 

Dès le XIXe siècle, la littérature islandaise, le théâtre et la poésie étaient paradoxalement florissants(²). Mais le polar restait dans l'ombre dans cette île peu peuplée et loin d'être prospère. Il faut dire que la criminalité y était quasi-inexistante, ce qui n'incitait pas des auteurs à se jeter sur cette littérature ! 

          A l'époque contemporaine, le roman policier reste toujours le parent pauvre. Il a fallu attendre 1910 pour que paraisse le premier polar ; et encore était-il l'œuvre d'un Islando-Canadien, Johan Magnus qui l'intitula "Un Sherlock Holmes islandais". Puis, en 1926 paraît "La maison de Noroura, une histoire islandaise de détective" de Guobrandur Jonsson qui est jugée par la presse "très excitante" ! Dans les années 30, paraît un cycle de romans policiers, "Les mystères de Reykjavik", promis à un bel avenir, sauf que… l'aventure s'arrête après le deuxième tome ! Il faudra attendre l'après-guerre pour que le genre policier s'installe vraiment ; et les années 80 pour que paraissent des fictions "populaires" où sont développées des intrigues criminelles ("Inga", "Danger à Hyeravellir") qui n'auront que peu d'écho. Mais déjà, les Islandais s'intéressent à la littérature policière traduite de l'étranger ! Les années passent : Paraissent "Le cadavre dans la voiture rouge" d'Olafur Haukur Simonarson, traduit en français en 1997, dans lequel "divorcé, chômeur, Jonas accepte un poste d'instituteur dans un petit port perdu au nord de l'Islande. Il espère y mener une vie paisible, loin des hommes, mais la réalité s'avère un peu plus lugubre. Sourires hypocrites, intimidations, menaces, tentatives de meurtre... Dans le brouillard islandais, ce lieu supposé être un havre de paix ressemble furieusement à un traquenard" ! Et un roman de Stefan Mani jamais traduit à ce jour (³).

          Et voilà qu'arrive Arnaldur Indridason. Qui publie "Les fils de la poudre" dans lequel le héros, Erlandur, fait montre d'une personnalité qui ira s'étoffant au long des romans suivants. Lesquels seront tous primés, traduits et publiés à des millions d'exemplaires à travers le monde. Jusqu'à "La femme de l'ombre" qui reçoit le Prix Blood Drop du policier islandais 2017. (Erlandur, policier, apparaît dans tous les livres d'Indridason. Homme sombre et introverti, il est hanté par le drame vécu dans son enfance : sa mère l'avait envoyé avec son jeune frère chercher les bêtes dans la lande. Une tempête soudaine s'était abattue sur les enfants. A un moment la violence du vent était devenue telle qu'Erlandur avait lâché la main de son petit frère… On le retrouvera à temps, mais le petit frère ne sera jamais retrouvé !)

          De nombreux écrivains s'illustrent à leur tour, ce genre enfin installé se justifiant par une société désormais loin de la société idéale originelle, d'où émergent des drames dégradants, où sévissent la drogue et les trafics de tous ordres. Désormais, le roman policier islandais a conquis ses lettres de noblesse. Dans un texte traduit en français, paraît une analyse attribuée à Arni Thorarinsson : "En ce sens… il faut bien relever ce qu'Arni Thorarinsson appelle le caractère "initiatique" du policier : le héros se découvre à mesure qu'il dévoile la vérité des faits. Mais plus encore que le héros, cette caractéristique nous semble toucher la conception même du roman policier islandais ; roman qui s'autorise, plus que tout autre peut-être, à éclairer, souvent pour l'exagérer, ce que l'on pourrait nommer "l'islandicité" de la fiction, comme si ces auteurs cherchaient à dessein à briser l'image idyllique d'une microsociété dans laquelle, prétendument, rien ne se passe. La singularité marquée des manières de vivre et de penser de ses habitants, souvent étroitement liée au relief particulier du pays, confère aux récits leur respiration propre au sein d'un genre pourtant codifié. Une touche parodique achève de donner à ceux-ci leur spécificité ; la critique sociale volontiers caricaturale à laquelle se livrent avec bonheur Arnaldur Indridason et Arni Thorarinsson, entre autres- et ceci même si le rire peut-être amer ou secoué de violentes émotions - force encore l'image cliché d'une Islande entre champs de lave, sources d'eau chaude, pulls islandais ( !) et geysers célèbres ; l'humour fonctionnant alors à plein comme le signe de l'élan vital contre toute espèce de mécanicité (celle qu'impose, par exemple, l'idée même de cliché).

          Peut-être est-ce donc au fond par cet air qu'il respire, et qu'avec lui, fascinés, nous respirons, que le héros de roman policier islandais se différencie de ses homologues d'autres pays scandinaves et nous attire, souvent irrésistiblement, dans cette sphère littéraire noire, crépusculaire, énigmatique ; finalement, terriblement islandaise".

 

          La vague nordique 

 

          L'essor du polar nordique remonte au Danemark des années 70, la Suède et la Norvège occupant de loin les premières places. Ce qui, d'après l'écrivain Anton Koch-Nielsen "pourrait peut-être venir du statut de l’écrivain, moins prestigieux au Danemark qu’en Norvège ou en Suède, d’un manque de considération largement répandu dans les cercles littéraires à l’égard du polar, d’une mentalité plus consensuelle et du paysage souvent idyllique, qui se prêteraient mal à créer une atmosphère tragique, et de plusieurs autres facteurs d’ordre historique et politique".

          Et, après l'écrivaine Gerd Nyquist et son "Silencieux comme dans la tombe" de 1966, le Norvégien Jon Michelet est, en 1975, avec son inspecteur gauchiste Vilhelm Thygesen,  un des précurseurs. Mais le polar est alors considéré comme un "sous-genre" littéraire. Une décennie plus tard, c’est le Suédois Henning Mankell qui va donner au genre ses lettres de noblesse. Mais c'est Stieg Larsson et son "Millénium" (4) qui vont provoquer l'explosion ! 

 

          Le polar nordique

 

          Le roman policier nordique, caractérisé par la présence de héros grognons et/ou introvertis et de femmes solides, se déroule sur fond de critique sociale, en fonction des paysages qui tiennent une place primordiale. Il remporte désormais un véritable succès.

           De nombreux auteurs de polars suédois (Henning Mankell, Camilla Läckberg), norvégiens (Jo Nesbo, Anne B. Ragde), danois (Jussi Adler-Olsen) font vivre au lecteur des enquêtes sur des meurtres qui viennent bousculer la tranquillité de la vie quotidienne nordique. Certains sont devenus des séries, d'autres comme la saga Millénium, ont donné lieu à des thrillers tout à fait typiques. Nombreux sont les écrivains, critiques, journalistes voire amateurs qui tentent d'analyser ce qui pourrait expliquer le succès de ce genre de fiction venu du Nord ; certaines explications suggèrent que l’origine de la réussite du polar nordique tient au regard que portent les lecteurs du reste du monde sur les pays et leur modèle de société basé sur l’Etat-providence.

          Ainsi, James Thompson ("La nuit glaciale du Kaamos" (nuit polaire), univers à la Chabrol en Laponie finlandaise : enquêteur, suspect, tueurs se connaissent tous et s’entre-déchirent en nocturne. Un polar froid et efficace) insiste-t-il sur la différence entre roman policier et roman noir : "La série noire épouse une vision du monde plus sombre et parfois même dystopique" (5), dit-il. "Dans le roman noir, le monde apparaît parfois en équilibre au début de l’histoire, mais c’est alors un équilibre qui a quelque chose de désespérant. Généralement, le crime finit par être élucidé, mais pour autant, le monde n’apparaît toujours pas comme un endroit où il fait bon vivre une fois l’affaire résolue ; de même, le personnage principal ne se retrouve pas changé au terme de l’histoire ; ou alors, s’il a évolué entre temps, ce n’est pas dans le sens du mieux".

          "Le bien ne triomphe pas toujours à la fin", affirme de son côté l'écrivain finlandais Tapani Bagge, dont le roman "Punainen varjo" (littéralement, "L’Ombre rouge") est paru en 2013. "En général, l’histoire est plus cruelle, mais aussi on assiste souvent à une grande hécatombe de personnages vers la fin du livre".

          Il existe cependant des explications plus immédiates : Bagge et Thompson considèrent tous deux que le succès de ces romans est dû au fait qu’il s’agit d’une littérature de qualité enfin reconnue. En tout état de cause, l’engouement du public pour la série des "Millennium" de Stieg Larsson a été tel que les éditeurs se sont alors très vite mis en quête d’autres auteurs nordiques.

 

          En 2010, eut lieu une journée d'étude intitulée "A glacer le sang", autour du polar scandinave. Elle concluait que le "récent succès de la trilogie Millenium du Suédois Stieg Larsson, prolongé d’une adaptation cinématographique dont le premier volet a attiré 1,2 million de spectateurs dans les salles obscures françaises, s’est accompagné, chez les lecteurs comme chez les éditeurs, d’un regain d’intérêt pour les littératures policières scandinaves. Le succès de cette trilogie est un phénomène mondial. Pourtant, la France, elle aussi grand producteur de romans noirs, éprouve un intérêt de longue date pour le polar venu du Nord. En effet, depuis les années 1970 et le développement de cette littérature de genre, le "Deckare" (polar) fascine en France, où il assume une position iconoclaste, détruisant les stéréotypes égalitaires et socio-démocrates des sociétés scandinaves telles que nous les rêvons". (6)

 

          S’interrogeant à leur tour sur les raisons du succès international que connaît le roman policier, Hans H. Skei avance l’idée que le charme de ces polars venus du Nord est dû à leur exotisme, qu’il met en relation avec "leur réalisme et leur prise de conscience des phénomènes sociaux, qui viennent s’ajouter aux descriptions des paysages et des modes de vie". Gunhild Agger définit l’image de marque des romans policiers nordiques d’une façon tout à fait comparable lorsqu’elle leur attribue "au point de vue esthétique, un réalisme d’un type particulier, ancré dans un milieu concret et une réalité régionale, et au point de vue thématique un souci d’un type particulier pour l’évolution de la société de bien-être". Elle ajoute que "l’attrait particulier des paysages et du climat des pays scandinaves est souvent souligné par les commentateurs. Les lecteurs étrangers se laissent volontiers envoûter par cette atmosphère si différente des polars américains avec leur prédilection pour la jungle des grandes villes". S’il est vrai que la recherche d’une vérité objective caractérise le roman policier contemporain, on a des raisons de penser que les pays scandinaves ont là aussi leur spécificité.

 

          Immigration et xénophobie ; l'extrême-droite dans la littérature policière scandinave

 

          Autre spécificité nordique, l’immigration et la xénophobie sont souvent sous-jacents, voire carrément exprimés dans le polar nordique. C’est une préoccupation particulièrement omniprésente chez Henning Mankell qui, dans "Le Retour du professeur de danse", explore le passé trouble de son pays pendant la Deuxième Guerre mondiale, et le mal-être de son héros qui le pousse sans cesse à démissionner. "Tous ne pensent qu’à fuir. Les gens dans ce pays sont constamment à la recherche de refuges paradisiaques. J’ai parfois l’impression que je ne reconnais plus mon propre pays", dit l’inspecteur Wallander dans "La Cinquième femme". 

          Plusieurs livres scandinaves abordent ou mentionnent l’extrême-droite ou le néonazisme. Larsson qui était un activiste antifasciste, Mankel, Nesbo… l'évoquent de manière récurrente : ces pays, en particulier la Suède, ont connu un développement du néonazisme à compter des années 1970. Ces groupuscules qui avaient compris l'enjeu de la contre-culture, se sont fait connaître par des actions violentes : meurtres, fusillades, incendies, agressions, attentats à la bombes, etc. La littérature policière nordique est donc symptomatique d’une situation sociale : elle ne fait que retranscrire leur environnement politico-culturel.

 

          Roman policier et féminisme 

 

          Certains ont par ailleurs avancé que le polar serait un genre féminin : Certes, le genre littéraire attire davantage de femmes que d’hommes. Les romancières sont nombreuses dans le genre du polar et souvent, "elles mettent en scène des femmes fortes", qui travaillent "dans un monde d’hommes", commente le journaliste Erik Aasheim. La plupart du temps, le personnage principal est une femme, ce qui favorise chez les lectrices un phénomène d’identification. Ainsi des romans d’Anne Holt, figurant parmi les lectures les plus appréciées des Français amateurs de polars. Ainsi de la Trilogie des Neshov d'Anne B. Ragde qui raconte les retrouvailles et la vie nouvelle et difficile de trois frères que tout sépare, après la mort de leur mère, tandis que sur ce trio vient se greffer Torunn la fille de Tor, qui découvre les membres de sa famille et les secrets de l'histoire en même temps que le lecteur. Ainsi, plus froids et complexes que les romans d’Agatha Christie, des polars de la Suédoise Karin Fossum renouvelant complètement le genre… 

          Et, incontestablement, cette omniprésence des femmes est avérée chez Camilla Läckberg (7): elle raconte avoir rédigé son premier livre, une nouvelle "sanglante" de quatre pages intitulée "Tomtem" (Le lutin), à l’âge de cinq ans ! "J’ai toujours été fascinée par les histoires de meurtre et pourtant, j’ai eu une enfance idyllique", dit-elle. Son personnage, Erica Falk, est présenté comme une "héroïne femme au foyer" : il s’agit d’une écrivaine célibataire qui s’est reconvertie comme enquêteuse à l’âge de trente-cinq ans. Elle habite et travaille à Fjällbacka, un petit village de pêcheurs, où Camilla Läckberg a elle-même grandi : un pêcheur trouve une petite fille de sept ans morte noyée ("Le tailleur de pierre"), mais ses poumons sont remplis d’eau douce savonneuse. Quelqu’un l’a donc tuée avant de la jeter à la mer ? Erica Falck découvre le cadavre aux poignets tailladés d’une amie d’enfance, Alexandra Wijkner, nue dans une baignoire d’eau gelée ("La Princesse des glaces"). Une fois de plus l'emporte sa tendance naturelle à fouir la vie des autres. Erica se convainc très vite qu’il ne s’agit pas d’un suicide… Dans chaque roman, elle aide et/ou elle s'oppose à l’inspecteur Patrik Hedström, son conjoint et le père de ses enfants, qui la rejoint à la conquête de la vérité. Erica, enquêtrice au foyer plonge, au fil de ses publications, avec une maîtrise évidente des règles de l’enquête et de ses rebondissements, dans les couches d’une petite société provinciale qu’elle croyait bien connaître et dont elle découvre les secrets.  

Le film inspiré du livre culte,Millénium
Le film inspiré du livre culte,Millénium

 

          Les auteurs de polars venus du froid ...

 

          Quel est le lien entre la trilogie "Millenium" de Stieg Larsson, "La Femme en vert" d'Arnaldur Indridason, "La voiture des pompiers disparue" de Maj Sjöwall et Per Wahlöö, "Le bonhomme de neige" de Jo Nesbo (et bien d'autres encore) ?... C'est une société malade, souvent bien éloignée du modèle social nordique idyllique, du très noir où la violence se joue à huis clos, où s'affirme la montée du racisme, avec des personnages au caractère fort et des rebondissements permanents, des intrigues portant sur des sujets actuels, sociaux, historiques, avec des atmosphères et parfois beaucoup d’humour. Bref une littérature noire qui migre à travers le monde comme un flot ininterrompu, et impossible à interrompre ! 

          N'envisageons pas de citer tous ces auteurs ! Mais parmi les plus connus, il faut mentionner Henning Mankell et son commissaire Wallander ; La Norvégienne Anne Holt qui a écrit son premier livre, "La déesse aveugle", en 1993. Ses toutes premières histoires relatent la vie de Hanne Wilhelmsen, une commissaire d’Oslo qui roule en Harley Davidson et tente de dissimuler son homosexualité auprès de ses collègues de travail et de son entourage ; Árni Thórarinsson ("le temps de la sorcière") dont le thème de prédilection est une Islande rongée par le racisme et les problèmes sociaux : "Les beaux paysages, les beaux volcans, Björk… Tout cela fait partie de l’Islande, mais ce n’est que la façade. Et en dessous, nous avons de gros problèmes. […] Les anciens et les malades sont ignorés par la société, alors qu’en même temps les grandes entreprises s’enrichissent. Ces dernières années, on voit une immigration bon marché. La société islandaise est devenue plus complexe, plus riche et plus pauvre en même temps. Je raconte tout ça avec un petit ton acerbe peut-être, mais tout est vrai" expliquait-il à un journaliste français ; et Arnaldur Indridason. Très vite, celui-ci a dépassé les autres, aussi bien par le nombre de lecteurs, en Islande comme à l’étranger, que par la qualité de son écriture. Ainsi, Torfi Tulinius souligne-t-il  que le commissaire Erlendur a des pouvoirs quasi-chamaniques et fait remarquer que l’œuvre d’Arnaldur Indridason "reste en tout état de cause fortement ancrée dans l’univers magique de la saga. Ce lien presque occulte entre le présent et le passé donne aux romans de cet auteur un caractère singulier et échappe au cadre habituel du roman policier". Quant à Jo Nesbo, footballer manqué, il nie que les Scandinaves aient un tempérament plus sombre que d’autres peuples, mais il reconnaît qu’ils s’expriment peu et ont souvent un côté secret. Prenant le contre-pied d’une idée communément admise, il estime que les populations d’Europe du Nord sont même optimistes et qu’elles sont attirées par la littérature criminelle parce que son côté dramatique et sombre a quelque chose d’exotique à leurs yeux.

          En somme, derrière les intrigues à la fois complexes et spectaculaires que découvre le lecteur de ces écrivains, et de bien d'autres, se profile une critique virulente d'un monde qui n’est plus tout à fait ce qu’il était. "Une société violente aux relents de racisme, hantée par son passé nazi : la littérature noire scandinave dépeint un mode de vie éloigné de la social-démocratie égalitaire vantée par les politiques », déclarait en 2007 le quotidien français Libération. Photographie d’une réalité méconnue ou simple divertissement pour lecteurs avides d’histoires glauques ? A chacun de conclure! 

 

          Avant de terminer ce rapide tour d’horizon sur le roman policier nordique et son étonnante vitalité, peut-être faut-il évoquer quelques inquiétudes le concernant ? Johan Wopenka montre que, ces toutes dernières années, la littérature policière continue à évoluer en Suède, intégrant des éléments nouveaux : "Le pur travail d’enquête criminelle occupe de moins en moins de place, tandis que l’interaction des différents personnages et la peinture de leurs caractères et des relations qu’ils ont entre eux gagnent en importance et en profondeur". 

          Devant cette pléthore d’auteurs et les multiples métamorphoses du genre, Philippe Bouquet exprime dans un article récent intitulé "Qui a tué le roman policier suédois ??", fort bien documenté et au ton volontairement provocateur, le sentiment que le roman policier est parvenu à un "tournant" de son histoire. Il pose la question de savoir si le polar suédois ne s’est pas "autodétruit" et désigne le coupable : son succès. On comprend ses craintes et nombre de critiques ne cachent pas que l’actuel "âge d’or" ne pourra pas durer indéfiniment.

          Qu'en est-il ? A suivre ! 

JEANINE RIVAIS

 

           (¹) Revoir dans le N° 72 du 4e trimestre 2014 de la Revue de la Critique Parisienne : "Le roman policier, qu'est-ce que c'est ? " : Texte de Jeanine Rivais

          (²) Elle s'honore même, en 1952, du Prix international de la Paix et, en 1955, du Prix Nobel de littérature attribué à Halldor Kiljan Laxness.

          (³) Stefan Mani : Sans formation, il se met à écrire dans une période de chômage. Il publie son premier roman à compte d’auteur en 1996. Il exerce plusieurs métiers et poursuit l’écriture. Il publie cinq nouveaux romans et obtient le Prix de la Goutte de Sang récompensant le meilleur roman policier islandais en 2007 pour "Noir Océan". Il obtient à nouveau ce prix en 2013.

En France, il devient le premier auteur islandais de la Série Noire en 2010 avec la publication de "Noir Océan". Ce roman noir met en scène l’équipage du Per Se, un cargo islandais en route vers le Surinam où chacun des neuf membres de l’équipage cache un secret et contre lequel les événements contraires s’enchaînent. Son deuxième titre traduit en 2012, "Noir Karma", raconte l’arrivée de Stefán à Reykjavik et son introduction dans la mafia locale, entre trafic de drogue, vol de voitures et extorsion. Ce roman est adapté au cinéma en Islande, film dans lequel l'auteur fait un caméo (apparition fugace de l'auteur dans le film. Hitchcock apparaissait ainsi dans presque tous ses films). Un troisième titre de l’auteur a été traduit en France en 2013.

          (4) Revoir aussi dans le N° 72 du 4e trimestre 2008 de la Revue de la Critique Parisienne : "Millénium. Les hommes qui n'aimaient pas les femmes" de Stieg Larsson : Texte de Jeanine Rivais (club de lecture)

          (5) Une dystopie est un récit de fiction dépeignant une société imaginaire organisée de telle façon qu'elle empêche ses membres d'atteindre le bonheur. Une dystopie peut également être considérée, entre autres, comme une utopie qui vire au cauchemar et conduit donc à une contre-utopie.

          (6) Ce rapport si particulier qu’entretient le public français avec une partie de la littérature nordique trouve à s’alimenter à la Bibliothèque nationale de France, qui conserve au sein de ses collections nombre de polars scandinaves, que ce soit en traduction ou en version originale. Cette liste de références, non exhaustive, recense essentiellement des titres d’ouvrages disponibles à la Bibliothèque Nationale de France, dans la salle G de la Bibliothèque d’étude (niveau Haut-de-jardin) et la salle U de la Bibliothèque de recherche (niveau Rez-de-jardin)".

          (7) Revoir dans le N° 73 du 2e trimestre 2015 de la Revue de la Critique Parisienne : "La faiseuse d'anges" de Camilla Läckberg. Club de lecture, texte de Jeanine Rivais. Le premier roman de cette auteure, "La princesse des glaces", a obtenu le prix Polar International en 2008 ainsi que le Grand prix de littérature policière. Il a été adapté pour la télévision suédoise, tout comme son deuxième roman, "Le prédicateur" qui a égalent été primé, de même que chacun de la dizaine de romans  de cette auteure. 

 

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 79 DE DECEMBRE 2018 DE LA REVUE DE LA CRITIQUE PARISIENNE.