Toute personne préoccupée d’art –d’art créatif, s’entend ! -- connaît l’engagement de Pierre Souchaud qui, par le truchement d’Artension, puis d’Art-shop et par de nombreux textes qu’il publie dans divers journaux exprime sans ambiguïté depuis des décennies, ses opinions très marquées. Artension fut d’abord un opuscule dont la modestie formelle et typographique n’avait d’égale que sa volonté de fouir à travers l’hexagone, le monde de l’art, sans aucune exclusive pourvu qu’il soit authentique. Elle fonctionnait bien sûr sur le volontariat de ses “correspondants” régionaux. Elle devint, dans son aventure rouennaise, une magnifique publication luxueuse aux pages physiquement “glacées”, mais éclatantes de couleurs ; toujours un peu bric-à-brac, parce qu’il fallait chaque fois dire, montrer tant de choses ; sympathique parce que toujours aussi éclectique ! Belle –trop belle peut-être dans le monde désargenté où elle évoluait ; sans commune mesure en tout cas avec les fanzines qui, aujourd’hui, défendent les mêmes formes de création fantasmatiques et personnalisées. Trop chère, la revue s’est éteinte. Que de regrets, car au fil des années, elle était devenue la compagne de tous ceux qui luttaient pour le respect de la liberté créatrice.

 

C’est pourquoi, aujourd’hui, il est bon de retrouver un Pierre Souchaud dans tous ses états ! Car “Art contemporain : Territoire de non-sens état de non-droit” est traité au vitriol ! D’entrée de jeu, il annonce la couleur : on ne polémique pas avec “l’inepte sans être inéluctablement absorbé par lui et sans contribuer ainsi, objectivement, à le consolider”. L’auteur  entend par là “cette béance du sens, cet au-delà du consternant, ce non-sujet... des produits fictifs de l’officialité” ; c’est-à-dire le système institué par tous ces gens qui, à l’ombre d’un Ministère de la culture très bienveillant (finances, recommandations, protections, voire jeux d’influences, menaces exercées sur des conservateurs récalcitrants, etc.) se sont depuis le début des années 60, mis à “occuper” l’espace  –les espaces- plastico-sculpturo-culturel(s) ; allant jusqu’à usurper à leur usage exclusif le label ART CONTEMPORAIN qui, comme l’indique son nom serait supposé désigner TOUTE oeuvre conçue de nos jours ! 

 

N’existe-t-il donc, hors de cet art officiel, aucune création digne de susciter quelque intérêt ? Bien sûr que si ! Et elle est composée des oeuvres qu’aime Pierre Souchaud ; celles que, depuis des années, il défend bec et ongles ; qu’il définit comme “nées d’une nécessité intérieure individuelle et qui, par leur valeur intrinsèque et / ou universelle... communiquent avec le monde extérieur par une relation à long terme qui transcende leurs conditions géographiques, historiques, psycho-sociologiques, culturelles...” ; des oeuvres qui “n’ont pas besoin qu’on les explique pour exister pleinement”. Mais, conçues par des gens souvent autodidactes, “trop” viscérales, “trop” psychologiques au goût de ceux chez qui la tête a remplacé le coeur ; et le discours fumeux sert de compensation à un “faire” vidé de toute narration, elles ont été –elles sont- occultées, méprisées,... et n’ont aucune chance d’être considérées comme le répondant pictural de celles auxquelles s’en prend Pierre Souchaud. 

Conscient de cet état de fait, celui-ci assène aux tenants des travers du système pictural français, une belle volée de bois vert qui ne laisse rien dans l’ombre ; qui prend parti, raisonne, fait mine de s’interroger à la manière du Candide alors que l’auteur connaît parfaitement son sujet ; que son livre témoigne de son immense culture, de sa mobilité permanente dans sa quête de “véritables” créateurs ! Il se lance dans de grandes envolées excédées, coléreuses ! Que de telles colères sont saines, vigoureuses, parce que sans compromission : honnêtes, en somme ! Pierre Souchaud s’y lance dans des diatribes d’un grand courage face au mur constitué par les protagonistes de l’officialité, journaux inclus, en particulier Art-Press, archétype de ce qu’il déteste, et où il puise très souvent la matière de ses démonstrations ! Que n’existe-t-il, de nos jours, davantage de critiques comme lui ; capables de “critiquer” et non de s’aplatir ; d’argumenter pour reconstruire au lieu de paraphraser des oeuvres qui, d’ailleurs, ne disent rien ! Nul doute que le système qu’il incrimine ne se serait jamais installé avec tant d’impudence ! Alors, face à une situation qu’il juge désastreuse, il dénonce, vilipende “un monde à l’envers, de subalternes au pouvoir ; où la surdité, la cécité, la lâcheté, la confusion intellectuelle, l’irrespect du différent, deviennent qualifiantes et manière de distinction, entrent dans la concoction du venin défensif, constituent le moteur d’un discours de plus en plus asphyxiant et le ciment d’un édifice aberrant dont l’autosuffisance ne concerne finalement ni l’art, ni les artistes…” Et, lorsqu’il n’en peut plus de constater telle injustice, il écrit au “coupable”, souvent un responsable politique local soucieux d’être dans le “bon ton” ; s’étonne de recevoir des réponses toujours courtoises, parfois chaleureuses : ce qui en dit long sur l’honnêteté intellectuelle de gens qui approuvent ce qu’il dit, c’est-à-dire le contraire de ce qu’officiellement, ils défendent !

L’ensemble des textes présentés dans cet ouvrage dénonce donc tour à tour les ministres qui se succèdent – toujours les mêmes, en dépit des étiquettes- et leurs fonctionnaires dont la médiocrité a généré le non-art qui a vidé les musées de façon rédhibitoire ; le Parti Communiste qui, sous prétexte que le peuple avait droit à la même culture que les riches, lui a infligé “sur fond d’ignorance et d’exclusion... sur fond de mépris ou de triste démago-pédago-condescendance”, une production “on ne peut plus bourgeoise, et inféodée à tout ce que par ailleurs le PC prétend pourfendre... dans une phraséologie qui ferait apparaître celle d’Art-Press comme gentille piquette...” ; les galeristes qui hurlent avec la meute et se remplissent les poches ; les journaux et revues dont aucun journaliste n’a eu le courage de se désolidariser de ce monde pictural stérile ; (mais peut-être à ce stade, Pierre Souchaud est-il naïf d’imaginer que des Catherine Millet, Yves Michaud, Baudrillart et autres Dagen... “pourraient” avoir l’honnêteté intellectuelle de dénoncer le fonctionnement de ce microcosme basé sur le favoritisme, dont ils profitent sans vergogne ? ) ; les artistes, enfin, les Basquiat dont les “marchands du temple” ne laissent même pas en repos les cendres dorées, Combas “qui vaut bien son pesant de Pedigree Pal” ... et surtout, “figure emblématique de l’art contemporain français”, Buren, les sempiternels “87 mm de ses bandes priapiques”,  son “non-regardable” non-art quarantenaire, le “champ de concertation que provoque cette bandaison verticale”... et surtout, beaucoup plus grave, le mal que fait son omniprésence qui “s’apparente à l’effet Larsen” et est l’une des causes essentielles de l’existence  en France d’un “territoire de non-droit (d’un) état de non-sens”.

Vraiment, ce recueil de textes est un régal ! Tous étaient déjà parus dans Intervention dont il faut au passage saluer un courage et une éthique égaux à ceux de Pierre Souchaud ; Verso,  Artension, et même un –mais c’était un “accident, et l’événement ne manque pas de sel !” –dans Libération. A lire absolument !

jEANINE RIVAIS

PIERRE SOUCHAUD : ART CONTEMPORAIN : TERRITOIRE DE NON-SENS ETAT DE NON-DROIT. E. C. Editions. 84 boulevard Magenta. 75010. PARIS. 

Ce texte a été écrit en 1999, et publié dans le N° 66 DE JANVIER 2000 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.