GRANDS PRIX DE L’HUMOUR NOIR 1999

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Lorsque l’on fête les quarante-cinq ans d’un prix littéraire, on a depuis longtemps gagné ses lettres de noblesse. Et lorsqu’on fête quarante-cinq ans d’humour noir après avoir couronné les gens les plus célèbres (Hervé Bazin, Patrice Delbourg, Sylvie Joly, etc.) Voilà qui peut justifier d’avoir la tête enflée ! C’est pourtant avec le sérieux qui sied à un prix que Jean Fougère, le Président, a ouvert, cette année encore, le ban pour un nouveau bouquet de lauriers ! 1999 aura été un cru exceptionnel !

Le Prix XAVIER FORNERET DE L'HUMOUR NOIR a été remis à : 

CADEAUX DE NOËL, HISTORIETTES ET MAXIMES ENTRELARDEES DE COLLAGES OU DE DESSINS A FEUILLETER AU MOMENT DES FETES !

DE DOMINIQUE NOGUEZ

Ce qui est en soi tout un programme ! Même en dehors des fêtes ! 

Car cet écrivain-poète pratique à forte dose l’humour à froid ! Très noir parfois ! A partir d’un procédé tout simple, d’ailleurs : chaque texte, court, commence le plus sérieusement du monde son “histoire”, sur un mode très sophistiqué, très ... littéraire. Et, au moment où le lecteur est pris par le rythme : bang ! L’auteur bascule dans le grotesque, le ridicule, le salace, le porno, la réflexion pseudo-philosophique... Et chaque fois, le gag fait mouche ! 

Ainsi vogue-t-il des "Erections posthumes non décrites faute de preuve", à l’histoire de "Papa Poucet" qui s’est arrangé pour faire disparaître ses six filles qu’il détestait... ; de la "Ritournelle des belles maladies" à l’"Hommage à Heidegger quand même", etc. Et puis, si vous souriez, vous aurez une chance d’avaler un ange ! Et votre sourire se fera irréméangement beau, aussi beau que celui de la Cathédrale de Reims qui en est l’archétype. Votre ange vous quittera un jour, parce qu’il faut être raisonnable ! Il s’introduira alors sûrement dans une sculpture, à cause de la pérennité ! Votre oeuvre aura de ce fait, le plus beau sourire possible (entre parenthèses, “certains” artistes ne doivent pas sourire souvent ! Et Noguez est bien naïf ; car l’on voit mal même un ange, parvenir à embellir par ce truchement deux bouts de bois “géniaux” entrecroisés d’une ficelle ; ou un tas de charbon, fût-il “chef-d’oeuvre” muséal !)... Puisque vous êtes optimistes, pourquoi par ailleurs Dieu ne vous apparaîtrait-il pas aussi souvent qu’à Dominique Noguez qui, à coups d’aphorismes, proverbes, déclarations, déclamations... le rencontre partout : sur une feuille de salade, dans le mystère des Chevaux-Vapeur..., avec ses faiblesses et ses coups de génie ! 

 

Bref ! Il faut de tout pour faire un monde ! Celui de Dominique Noguez est féroce, férocement sérieux et démonstratif, férocement ludique et jubilatoire ! Et les quelques dessins finement exécutés qui entrecoupent les textes, corroborent ce sentiment. Sur plusieurs d’entre eux, la légende dit : "La rentrée littéraire" ! Et il s’agit d’une horde d’animaux qui se ruent vers un même ...salon-où-l’on-cause, peut-être ?

 

Quel ange peut bien avoir passé le flambeau à Dominique Noguez, auteur si magnifiquement irrespectueux ? Lui qui a été lauréat du Prix Roger Nimier (1995) et Fémina (1997) ? Et qui, pince-sans-rire, a accepté avec un bonheur évident, le Prix de l’humour noir ? Bien que celui-ci  n’ait  plus  lieu à la Toussaint, comme du temps de son fondateur, Tristan Maya ! Un  ange croisant Dieu dans un chrysanthème, voilà qui n’aurait pas manqué de sel, non  plus !

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Féroce, atroce, la MÉMÉ, FEMME PRATIQUE  qui vient de gagner à RISS, son père spirituel (hum !), le Prix Grandville de l’Humour noir !

Laide, hideuse même, avec son faciès de guingois, sa mâchoire inférieure, hérissée de quelques chicots, semblable à un croissant rassis ; celle du haut comparable à une demi-hure de porc. Les yeux “couverts” de lunettes énormes. Au sommet de ce qu’il faut bien appeler la tête, un front plissé fuyant vers l’infini. Et au bout de ce reg biscornu,  un chignon riquiqui se cramponnant entre deux oreilles largement écarquillées ! Bossue, la Mémé, dans sa robe noire de curé d’où dépassent deux cannes torses, avec au bout deux immenses panards logés dans des savates vertes à carreaux !  Teigneuse, surtout ; courant le monde en quête de quelque acte machiavélique : comme d’écraser dans une moissonneuse un couple en train de faire l’amour dans les blés, et n’extirper de leurs ossements que leur préservatif parce qu’il faut bien garder "la nature propre" ; pêcher en accrochant à sa ligne un gros poulet, et ne ferrer que de pauvres hères portant l’écriteau "J’ai faim" ; pousser vers la benne à ordures les vieux de la "Maison de retraite Beauséjour" : ce qui est bien près de lui porter malheur et l’envoyer là-bas, elle aussi ! Bien fait pour elle ! Mais, débrouillarde, elle parvient à “y couper” en jouant les potiches, planquée dans un coin !

Pas pour longtemps, hélas ! De nouveau, mille aventures macabres du plus mauvais goût et de la plus dégradante cruauté, jalonnent la vie de cette harpie qui terrorise quiconque se trouve à sa portée ! Mais Riss la dessine si “justement” laide, si méchamment increvable et foncièrement nuisible, si idéalement monstrueuse... que, lorsque par exemple, elle ouvre de rage le capot de sa voiture parce qu’un cycliste l’a aisément doublée, il est impossible de ne pas rire en découvrant le malheureux qu’elle frappe et qui pédale à la place du moteur !

Ainsi, la morale est-elle sans arrêt bafouée au long de cette B.D. Mais le talent du dessinateur, l’humour au vitriol qu’il manifeste, lui gagnent les suffrages ; et font de cette incongruité, de cette apologie d’une tueuse en série, un authentique livre de chevet !

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Enfin, le Prix de l’Humour noir du spectacle a été attribué à JEAN-CLAUDE VANNIER, pour l’ensemble de son oeuvre :

        Car ce touche-à-tout possède de multiples talents : arrangeur de chansons, compositeur, chef d’orchestre, journaliste, homme de radio, chanteur, etc. Le tout avec un humour corrosif qui étonne et fait sourire. Un artiste hors du commun “qui ne prend pas de moufles avec la poésie et connaît son solfège comme un braconnier son bocage... Et quand il joue, je vous jure qu’il y a de la buée sur le piano...” (Patrice Delbourg).

Jeanine RIVAIS

 

Dominique Noguez : Cadeaux de Noël. Editions Zulma.

Riss : Mémé femme pratique. Le Cherche-Midi éditeur.