GEORGES HUGNET

(11 juillet 1906-26 juin1974)

LA VIE AMOUREUSE DES SPUMIFERES

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Portrait de Georges Hugnet
Portrait de Georges Hugnet

Quelqu'un prononce-t-il les noms des membres du Groupe surréaliste qu'il rejoignit en 1932 (Breton bien sûr, Magritte, Miró, Masson, etc.), immédiatement surgissent des images, des fragments de textes… Mais peu de gens connaissent le nom de Georges Hugnet dont la biographie dit qu'il fut un poète, écrivain, dramaturge, graphiste et cinéaste français.

Georges Hugnet fut pourtant le premier historien du mouvement Dada. Ses études, parues dès 1924 dans des revues telles que "Cahiers d`Art" et "Minotaure", ayant retenu l'attention d'André Breton, il intègre le groupe surréaliste en 1932.

Il a réalisé, auparavant, en 1929, un court métrage, "La Perle", dont la filiation surréaliste, n'a jamais été unanimement admise. Bien qu'il ait été une figure majeure et très active du groupe surréaliste, que ses ouvrages aient été illustrés par nombre d’artistes de l’époque tels Picasso, Max Jacob, Marcel Duchamp, Joan Miró, Yves Tanguy ou Jean Arp, il est exclu du mouvement en 1939.

La dragoulette
La dragoulette

Passée cette expérience collective, Georges Hugnet continue pourtant, sur le principe des écrits surréalistes, sa recherche de l'absolu poétique et de la beauté graphique : il réalise des décalcomanies automatiques à l'encre noire, technique mise au point avec son ami Oscar Dominguez, des photomontages et des collages photographiques, des découpages de journaux et des assemblages de matériaux divers glanés au cours de promenades : bois flottés, cailloux, algues marines, papiers déchirés, etc. Les œuvres qui en résultent prennent la forme de bestiaires, d'herbiers, d'univers oniriques, d`expérimentations poétiques graphiques. En fait, on pourrait dire de lui qu'il a été un précurseur d'un mouvement très en vogue de nos jours : l'Art-Récup'.

Georges Hugnet est aussi épisodiquement relieur et conçoit quelques reliures uniques, qu'il intitule "Livre-Objet" et qui sont devenus des raretés bibliographiques. Son œuvre picturale est largement présente dans les plus grands musées du monde et collections ou fondations privées. Mais la partie la plus importante est son œuvre poétique.

La Ourgouilloute et la Vivote
La Ourgouilloute et la Vivote

Arrive la guerre*. Réformé en 1939, Georges Hugnet se trouve à Paris en juin 1940. Face aux bruits récurrents de la destruction de la capitale, il emporte en Berry, dans la maison de Germaine qu'il vient d'épouser, les toiles, dessins, sculptures… de ses amis Picasso, Miró, Max Ernst, persuadé de les avoir ainsi mis à l'abri. Il arrête son œuvre graphique pour lutter contre l'occupant et le régime de Vichy. De même, l'occupation allemande interrompt-elle, pour cause de rationnement du papier, ses activités d`éditeur aux Éditions de la Montagne et à "L'Usage de la Parole", la revue littéraire qu`il dirige. Malgré les restrictions, et bien qu'il ait le cœur déchiré par la guerre commençante, il écrit beaucoup. Dès juin 1940, "Non vouloir", petite publication clandestine, est son premier poème de Résistance. Il devient ainsi un poète "casqué", selon l'expression de Pierre Seghers. Durant cette période, membre du groupe "La Main à plume", il participe à l'élaboration de nombreux tracts contre les occupants et fabrique de faux laissez-passer dans son atelier de reliure pour permettre à ceux qui sont recherchés par la Gestapo de passer en zone libre puis à l'étranger.

La grouille domestique
La grouille domestique

C'est aussi à cette époque, qu'il cofonde une maison d'édition clandestine, dont le premier ouvrage publié est "Le Silence de la mer" de Vercors. Cette maison devient à la libération les Éditions de Minuit.

La fin de la guerre lui apporte, en même temps qu'un immense bonheur, une peine infinie : les Allemands ont brûlé Sainte-Gemme-en-Brenne, le village de Germaine, dont il ne reste rien. Perdus, tous les documents, archives, œuvres, etc. (seule, une plaque de marbre sur un mur de la mairie rappelle cette tragédie, et un texte émouvant d'Eluard en garde la mémoire).

La France est libérée, mais pour Georges Hugnet, commence une période duelle : dans la journée, l'enfermement, le repli sur soi, les heures passées à réaliser de belles gouaches. La nuit, Saint-Germain-des-Prés, les clubs, le (nouveau) Catalan qu'il est chargé de décorer… C'est de cette époque que date, pour lui et ses amis, l'habitude de dessiner sur des nappes qui seront soigneusement collectionnées (et un jour exposées).

Georges Hugnet, lui, rapporte dans son atelier, des fragments de nappes vierges sur lesquels il peint ses gouaches ayant pour thème la faune et la flore. Et dans lesquelles s'annonce déjà l'avancée de sa pensée vers un monde fantastique. Chaque gouache est accompagnée d'une petite notice en latin, suivie du terme "Familièrement".

 

Pouyou-Pouyou
Pouyou-Pouyou

1948 : Georges Hugnet ne se satisfait plus de ce genre de création. Il possède une très importante collection de cartes postales anciennes. Parmi lesquelles il choisit une série de "charme des années trente", représentant de jeune femmes dévêtues ou très peu vêtues. Et il commence à peindre dessus à la gouache. Mais il est plus difficile de peindre sur ces surfaces glacées que sur les nappes qui absorbaient la peinture. Il commence alors un véritable travail d'orfèvre, passant et repassant, peaufinant les œuvres jusqu'à ce qu'il obtienne l'effet souhaité.

Bientôt, "de ces dames à leur toilette, il fera les proies consentantes de ses nouveaux personnages, les Spumifères. Terme qui signifie : "porteurs d'écume". Ils sont pour la plupart couverts de plumes ou de duvet, très hauts en couleurs et dans l'ensemble plutôt contents d'eux. Ils portent des noms en rapport avec leur personnalité comme "Le Purlaine orgueilleux", avec leur lieu de vie telle "La Pigruleuse du maquis" ou une distinction physique comme "Le Torchas casqué". Ce sont des amants obsédés par leur besoin de se reproduire, ce qui ne peut se faire que par le contact d'un corps de femme".

Chacun de ces Spumifères possède donc une véritable biographie avec son vocabulaire très spécial relatant ses faits et gestes avec "des mots étranges et étrangers pour tout autre qu'eux".

Georges Hugnet dessine quarante Spumifères, comme les quarante Académiciens. "Il les fait photographier, encadrer de chêne clair avec passe-partout liseré or, cartouche portant le nom de chacun". Mais il en offre à ses amis, d'autres sont exposés et vendus, d'autres encore sont volés, ils ne sont donc jamais quarante ! "Qu'importe, (dit-il), les Académiciens sont très rarement au complet".

Bric-à-brac
Bric-à-brac

Mais, en 1949, la santé de Georges Hugnet périclite. Il est frappé de vertige obsessionnel, d'agoraphobie. Finie la vie nocturne. Il devient un patient de Jacques Lacan, subit une cure de sommeil. Il est tellement introverti qu'il refuse le contrat proposé par Gallimard et que lui a obtenu Raymond Queneau.

Guéri, il épouse Myrtille, leurs témoins sont Marie-Laure de Noailles, Jean Cocteau, Balthus. L'année suivante, naît un fils, Nicolas.

 

Dans les années soixante, Georges Hugnet reprend les Spumifères, pour écrire les textes descriptifs auxquels il pensait depuis longtemps. Il veut que "chaque texte soit ciselé, concis, parfait comme un bijou. Les caractéristiques (en sont) des textes à clé. Certains sont des portraits si précis que l'on peut reconnaître le personnage qu'il a voulu décrire. "Le Purlaine orgueilleux" en est le meilleur exemple, qui fait penser aux Caractères de La Bruyère".

Un hommage lui est consacré par le Centre Pompidou en 1978.

 

Un galeriste new-yorkais achète le tout, promettant d'exposer ensemble peintures et textes qui sont inséparables. Mais l'exposition n'aura jamais lieu. Et c'est finalement grâce à l'acharnement de Madame Hugnet que l'ensemble est publié "sous la forme précise –celle d'un ouvrage d'histoire naturelle à la Buffon- que désirait Georges Hugnet", sous le titre "LA VIE AMOUREUSE DES SPUMIFERES".

Le Gratte-col
Le Gratte-col

Un magnifique ouvrage commençant, comme il est dit plus haut, par une préface de Myrtille Hugnet, illustrée de pages de textes allant de la première mouture dactylographiée à la dernière, afin de montrer le travail de corrections minutieuses effectué par l'auteur.

Puis viennent les œuvres, chacune présentant en vis-à-vis le texte qui lui correspond. Chaque texte est conçu comme le serait le descriptif d'une plante dans un herbier ou d'un vertébré dans un dictionnaire animal. Par exemple, "Le Grattecol entêté" débute ainsi : "Plus bavard que disert, d'une intelligence réaliste distrayante et d'une bonne humeur calculée, le Grattecol se montre intarissable lorsqu'il pense intéresser…" Ou "La Tracote des sierras est intempestive, tumultueuse, désolante et désolée. Ne sachant pas jouer de la guitare, rien ne distrait ce malheureux Spumifère de ses almasses ou idées fixes…". Un autre encore se terminant ainsi : "… Selon certains, les quartiers de noblesse de La Granivelle d'Austerlitz remonterait à Napoléon dans le manteau duquel on aurait découvert le premier spécimen de ce singulier Spumifère, au soir de la mémorable bataille. Selon d'autres, son arbre généalogique n'aurait pris racine que beaucoup plus récemment à la consigne de la gare du même nom". Chaque texte témoigne donc d'un sens de la gravité feinte ou de l'humour sans cesse inattendu, d'un imaginaire débridé qui met à l'épreuve la logique du lecteur, d'une imagination jamais en manque dans l'art d'inventer des mots qui ont l'air plus vrais que nature ; et lui rappelle sans cesse que Georges Hugnet fut l'un des plus brillants Surréalistes.

Exposition au Catalan que Georges Hugnet fut chaegé de décorer
Exposition au Catalan que Georges Hugnet fut chaegé de décorer

Chaque tableau est construit sur un contraste entre l'image d'origine, la femme, en noir et blanc, et le Spumifère peint en couleurs, créature fantasmatique, enlaçant cette femme, ondulant autour de son corps, en une sorte de danse comparable au ballet initiatique de ces oiseaux mâles aux plumages magnifiques autour de leur femelle.

En somme, texte et image se déroulent en parfaite symbiose, avec une créativité toujours renouvelée, à la fois surprenante, choquante ; jouant sur l'esprit du liseur et de l'esthète, du phénomène attraction/hésitation ! Pour leur plus grand plaisir, finalement ! D'autant que l'ouvrage lui-même est une petite merveille éditoriale.

 A lire et voir absolument !

                                                                                                       Jeanine RIVAIS.

** Les détails biographiques sont extraits de la "Biographie de Georges Hugnet" par Wikipédia.

*Les détails biographiques suivants et les citations sont tirés de la préface de l'épouse de l'artiste, Myrtille Hugnet qui est à l'origine de ce livre.

"LA VIE AMOUREUSE DES SPUMIFERES" : Georges Hugnet : 96 pages, 40 illustrations en couleurs.

29 € Editeurs associés, Biro (Adam Biro) & Cohen Disponible dans toutes les librairies - Diffusion : Interforum

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 65 DE JUIN 2011 DE LA REVUE DE LA CRITIQUE PARISIENNE.