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SEVERINE (1855-1929) VIE ET COMBATS D’UNE FRONDEUSE,

D’Evelyne Le Garrec.

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Le livre d’Evelyne Le Garrec s’ouvre sur Séverine, âgée de 72 ans, percluse de rhumatismes, venue néanmoins de Pierrefonds dans l’Oise où elle habite, au Cirque de Paris, pour organiser la défense de Sacco et Vanzetti, sur le point d’être exécutés aux Etats-Unis. Finalement, tous deux seront mis à mort, et une fois encore, Séverine se sera inutilement battue ! Pourtant, que de chemin parcouru depuis le début de sa carrière de journaliste !

Qui était donc Séverine ? Qui se souvient encore d’elle ? Les habitants de l’Est parisien qui vont se promener au « square Séverine », pensent-ils parfois à ce que fut cette dame, première femme journaliste, écrivain engagée, collaboratrice de Jules Vallès qui lui enseigna « l’alphabet de la Révolution », les rudiments de la lutte politique, de la générosité et de l’engagement, et avec qui, après la Commune, elle fonda le journal « Le cri du peuple » ? Bien peu sans doute ! Et pourtant, elle laissa six mille articles et plusieurs recueils de textes sur les luttes sociales, familiales dans lesquelles elle s’engagea (« Les pages rouges », 1893 ; « Notes d’une frondeuse », 1894, etc.).

Dès son jeune âge, Caroline Rémy dite Séverine, fut à part dans la vie familiale, rangée derrière un père employé de police à la préfecture, et une mère écrasée par l’autorité de son mari. Jeunesse sans joie, mais sans éclat jusqu’au jour où, âgée de dix-sept ans, elle déclara « Plus tard, je serai artiste ». A quoi son père répondit : « J’aimerais mieux te voir morte ! Je ne te laisserai pas déshonorer notre nom, le traîner sur les planches. Tu seras institutrice, ma fille, ou alors on va te marier »… Finalement, on la maria. Avec un employé du gaz. Et après des fiançailles où pas même un baiser ne fut échangé, Séverine vécut sa nuit de noces comme « un véritable cauchemar. Un viol ». Mais un cauchemar qui engendra un enfant dont elle ne s’occupa jamais. N’en pouvant plus, elle quitta le foyer conjugal, retourna chez ses parents, devint lectrice chez une femme charmante, et lorsque fut prononcée « la séparation légale » (le divorce n’existant pas), d’avec son premier mari, elle épousa le fils de cette dame. Un second enfant naquit qu’elle ne reconnut même pas, car elle n’eut jamais la fibre maternelle et il fut déclaré de « mère inconnue ».

Ces épreuves personnelles désastreuses firent de Séverine une femme farouchement « libre », malgré une liaison qui accompagna le reste de sa vie avec un certain Labruyère, journaliste sans envergure. Devenue elle-même journaliste, écrivant sous divers pseudonymes, elle voua sa vie, son talent aux causes difficiles. Ainsi, (le mot « féminisme » n’existant pas encore), défendit-elle bec et ongles, les droits de la femme totalement niés, puisqu’elle était alors « la propriété du mari » ; les droits de l’enfant, inexistants puisqu’il était « la propriété du père ». De nombreux articles illustrent cet engagement (« Les enfants martyrs », « Le droit à l’avortement », « La Mort-aux-Gosses », « Tueurs de femmes », etc.)

Par contre, elle fut toujours contre les pouvoirs attribués aux députés ; contre le suffrage universel, alors que nombre de responsables politiques le réclamaient haut et fort, contre les droits de vote et d’éligibilité des femmes, proclamant : « Aura-t-on, après les fantoches mâles du régime parlementaire, leurs pendants en cotillon… Mangez, moi je préfère, Liberté, ton pain dur… ».

 Elle ne fut pas non plus à l’abri de fautes de jugements, défendant un temps le général Boulanger, refusant de recevoir Madame Dreyfus au plus fort de « l’Affaire », par respect de la chose jugée ; et se laissa parfois entraîner dans des collaborations douteuses, se fourvoyant dans un journal royaliste qui se servit de son nom et de sa plume pour se donner l’air d’aimer le peuple… . Mais, intelligente et généreuse, elle sut souvent reconnaître ses erreurs, protéger les victimes d’injustices, attaquer les manquements à l’honneur. Ainsi, l’un de ses textes les plus véhéments, intitulé « Un lâche » fut-il écrit contre un officier d’infanterie qui, « passant son sabre par-dessus la tête d’un gendarme a frappé Dreyfus avec le pommeau, faisant une blessure d’où le sang jaillissait ». Car innocent ou coupable, un prisonnier a droit au respect et à la protection de quiconque est investi de la moindre autorité. Elle lutta contre les ségrégations comme celle pratiquée par « la maison du coin du quai », ainsi qu’elle appelait l’Assemblée Nationale, ou seuls avaient accès, les nantis et ceux bénéficiant de passe-droits…

Par ailleurs, soucieuse d’être toujours précise et exacte, de « toujours dire la vérité », (ce qui fut sa dernière parole) ; consciente d’être sans cesse guettée par ses ennemis prêts à l’attaquer sur tous les fronts, elle se rendit, bien que très désargentée, à Rennes ou avait lieu le procès en révision de Dreyfus ; et elle descendit dans la mine après la grève de Fourmies impitoyablement réprimée, afin d’y constater les conditions de travail des hommes et surtout des femmes et des enfants. Ainsi attaqua-t-elle alors un rédacteur de journal qui, après la fusillade où des femmes et des enfants avaient été sauvagement tués par l’armée, avait osé écrire : « Au premier rang, et parmi les morts, il y avait, on peut le dire maintenant, des femmes de mœurs fort légères »… Ouvrières : donc femmes de mauvaise vie ! Séverine ne pouvait laisser passer une telle insulte et son texte « Choix de mortes » en attesta violemment. Elle s’engagea aussi dans la défense de condamnés à mort, n’excusant pas des gestes souvent inexcusables, mais essayant chaque fois d’en comprendre les motivations (il y eut entre autres les anarchistes Duval et Vaillant…)

Ainsi, la vie de « la Grande Séverine » ne fut-elle pas un long fleuve tranquille. Elle fut, au contraire, une lutte continuelle contre l’injustice, la malhonnêteté, la prévarication… Au point qu’elle déclarait en 1912 : « Malgré toutes les injures et les ingratitudes, il n’est pas d’époque de ma vie que j’aime plus que celle-là ». Lutte qu’elle mena jusqu’à son dernier souffle, sur un lit d’hôpital, aimant jusqu’au bout «le grattement de la plume sur le papier, l’odeur de l’encre… ».

Sentant sa fin prochaine, elle avait souhaité avoir pour épitaphe : « Je suis Séverine, rien que Séverine, une isolée, une indépendante ». Le jour de son enterrement à Pierrefonds, un train spécial emmena de Paris deux mille visiteurs se recueillir sur sa tombe. 

          *** L’ouvrage d’Evelyne Le Garrec trace une biographie humaine et passionnée de Séverine qui eut « la volonté d’être toujours sur le terrain, d’être à l’ambulance plutôt qu’à la tribune… de se battre avec les pauvres toujours, malgré leurs fautes, malgré leurs crimes ». Cet hommage se complète de 19 articles de Séverine, publiés entre 1886 et 1903, dont les thèmes attestent que bien souvent, ses idées ont mis un siècle pour se concrétiser. Un beau livre sur l’engagement individuel. A lire absolument.

 

          *** Un porte folio de Colette Deblé, peintre, propose une trentaine de lavis de Séverine, sur lesquels elle a ajouté quelques-unes des prestigieuses dédicaces écrites à l’intention de la femme ou de la journaliste, car Séverine fut en son temps, l’amie des plus grands (Jules Vallès, bien sûr, Léon Bloy, Léon Daudet, Huysmans, Courteline, Anna de Noailles, etc.)

 

          *** Une postface de Bernard Noël termine cet ouvrage très chargé d’émotion, et ses derniers mots disent :

 

« Le désir de changer la vie fut

une blessure et son pansement.

Militer en ce temps-là

illuminait la lenteur de l’avenir,

exemplaire, excessive et belle… »

 

*** Une très importante exposition au château de Pierrefonds propose une soixantaine de lavis et peintures de Colette Deblé autour du « personnage » de Séverine. Cette exposition durera jusqu’au 30 décembre 2008.

 

                                                             Jeanine RIVAIS

 «SEVERINE (1855-1929) VIE ET COMBATS D’UNE FRONDEUSE», d’Evelyne Le Garrec. Préface d’Isabelle Rome. Postface de Bernard Noël. Editions de l’Archipel, 34 rue des Bourdonnais 75001 Paris. 215 pages, 19,95 €.

 

  Ce texte a été publié dans le N° 62 de décembre 2009, de la Revue du Syndicat de la Critique Parisienne.