ELISABETH LE RETIF, sculpteur de la mémoire
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S'il est vrai, comme l'affirme la chanson de Jean Ferrat, que "Nul ne guérit de son enfance", le cas d'Elisabeth Le Rétif est assurément désespéré ! En effet, lorsqu'elle est devenue mamie, elle s'est mise à créer dans la terre, la "maison de son enfance" ; maison d'une époque à la fois bénie et chargée d'angoisses où elle-même et sa famille vivaient sous l'influence tutélaire de la grand-mère. Laquelle "était dotée d'un charisme fou et (d') un parcours quelque peu atypique"*.
Non pas une maison d'un seul tenant, avec étage(s), comme il serait logique dans une biographie soucieuse de réalisme ; mais de petits enclos contigus, de plain pied, sans toit, laissant donc voir le ciel au-dessus des personnages qui les habitent. Et dans lesquels se déroulent différentes "tranches de vie" quotidienne : un repas ou la séance de morale dans la salle à manger au cours de laquelle sont distribués punitions ou compliments ; les cours de musique ; la toilette dans la salle de bain, etc.
Dans ces lieux à la fois conviviaux et huis clos, vivent des personnages à peine ébauchés, lourds, conçus dans des ocre chaleureux ou des verts glauques : pas de hasard dans ces choix, brun pour le quotidien, vert pour les remontrances (ne dit-on pas "vert de rage", "vert de peur"… ) ? Et, parmi ces groupuscules, l'adolescente périodiquement terrifiée, dans l'attente du moment fatidique, où la grand-mère tonitruerait : "Maleine, as-tu tes règles ?"
Néanmoins, cette sculpture familiale et mémorielle, bien qu'omniprésente, n'est pas seule dans la création d'Elisabeth Le Rétif. Pour autant, la majeure partie des autres œuvres qui s'échappent de ses mains et de son cœur, presque toujours intuitivement narratives, relèvent également de la mémoire : mythologiques avec les pérégrinations d'Œdipe ; historiques avec Pinochet face à ses juges confortés par le peuple, ancestrales avec des personnages ayant, d'une manière ou d'une autre, laissé leur trace ; etc.
Et ce sont des litanies de petits personnages réduits aux lignes essentielles ; à la fois se côtoyant, têtes minuscules aux traits à peine existants, au-dessus de corps massifs ; bras collés au corps et jambes dissimulées sous leurs longues tuniques/peaux ; mais chacun constituant une entité différente de la suivante : "différente" par les commentaires en arabesques que l'artiste écrit à l'encre sur le support blanc commun qui leur sert de socle. Sans hiatus, pourtant, comme si, au fond, cette multitude ne constituait qu'une seule et même histoire.
Souvent, ces longues robes sont laissées brutes par l'artiste. Pas de fioritures, seulement les nuances aléatoires de la terre soumise au feu. Mais, d'autres fois –et il en va de même lorsqu'elle décide que ses personnages seront presque grandeur nature-, elle s'attarde longuement sur le vêtement, scarifiant, piquetant, caressant, enchaînant courbes et contrecourbes… recouvrant le tout d'engobes vitreux qui relèvent ces graphismes, permettent à la créatrice de générer à son gré des couleurs plus ou moins brillantes, en utilisant les nuances infinies des ocre ; leur incomparable résistance physique aux agressions externes, ainsi que leur tenue dans le temps et leurs réactions extraordinaires à la lumière.
Ainsi, de saga familiale en rappels culturo-dramatico-historico-politiques… Elisabeth Le Rétif crée-t-elle une œuvre très psychologique et tendre, paradoxalement vivante et statique, amusante et grave, massive et protéiforme, pleine d'humour, et émouvante toujours.
Jeanine Rivais
- Elisabeth Le Rétif