JEAN-CLAUDE MELTON, dit LEON

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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          Jeanine Rivais : Pourquoi le choix de « Léon » comme pseudonyme ? 

        Léon : C’est très simple. Quand j’étais petit, mes parents étaient marchands de chaussures ; et je faisais du sport d’équipe. Si je ne sautais pas assez haut,  mes camarades me disaient toujours : « Nous, on saute plus haut que toi, parce qu’on a des chaussures à Léon ». Or, Léon était le concurrent direct de mes parents ! J’ai gardé ce surnom. Et le jour où j’ai eu à mettre un nom sur une toile, j’ai mis Léon pour m’amuser.

 

          J. R. : Est-ce que, par moments, cette sorte de sobriquet  n’a pas été exaspérante ?

          L. : Non, parce que, dans les petits villages, tout le monde a un surnom !

 

          J. R. : Et n’était-ce pas une façon de prendre un peu de recul par rapport à cette création, que de dire : « Je m’appelle Melton, mais c’est Léon qui peint » ?

          L. : Non. C’est plus par dérision. Au moment où la situation s’est présentée, j’ai trouvé amusant de signer « Léon », et c’est tout. 

 

          J. R. : A l’inverse, ce nom introduit d’emblée un petit côté populiste dans cette création ?

          L. : Oui. C’est le sourire qui prime, dans mon travail. Je ne pense pas m’être jamais pris au sérieux ! « Léon » m’allait vraiment très bien.

 

          J. R. : D’où est née, par ailleurs, votre obsession de collectionner ? Et que collectionnez-vous ?

          L. : Je collectionne les œufs, parce que j’aime bien la forme, sûrement. Au début, je peignais surtout des ocres, des monochromes ocres. Peut-être est-ce là le rapport avec l’œuf ? Ensuite, je me suis mis à ramasser les boîtes à œufs, mais je suis incapable d’expliquer pourquoi ?  Je sais à peu près pourquoi je suis venu à cette forme de création ; mais la boîte à œufs a été un pur hasard.

 

          J. R. Et quel est cet « à peu près pourquoi » ?

          L. : Parce que Mario Chichorro avait réalisé un très bel œuf. Je le trouvais génial, tout en sachant que je ne pourrais jamais me l’offrir. La seule façon d’en posséder un, était donc d’essayer de le faire. J’ai essayé en mousse, mais j’en ai tellement bavé que j’ai été incapable de faire un œuf complet. Je me suis arrêté à la moitié ! Je l’ai coupé. Et j’avais sans doute à ce moment-là des boîtes à œufs à proximité, j’en ai donc collé ensemble. Le premier œuf que j’ai réalisé l’a donc été à cause de Mario. 

 

          J. R. : Vous voilà alors lancé dans l’utilisation de boîtes à œufs qui, par définition, sont un matériau absolument vulgaire, banal, de consommation courante. Pour en venir à des personnages multiples, protéiformes, multicolores. Toujours enfermés dans une boîte. Pourquoi ?

          L. : Ils ne l’ont pas toujours été. J’y suis venu pour protéger leur nez. Et à cause du côté pratique pour les transporter. Au départ, j’ai essayé de les mettre dans les boîtes seulement au moment du transport, mais il y en avait toujours un qui dépassait ! Qui ne voulait jamais rester à l’intérieur de la boîte…

 

          J. R. : C’est-à-dire qu’il y a, en fait, des subversifs ! Pourquoi sont-ils toujours entassés comme des sardines, les pauvres, alors qu’ils sont tellement humains ? D’ailleurs, certains se plaignent, ils ont tous la bouche ouverte, de façon manifestement mécontente ! Ils ne doivent donc pas être heureux ! 

          L. : Qui ne se plaint pas ? Pourquoi mes personnages ne se plaindraient-ils pas ? J’aime bien qu’il y ait beaucoup de monde. J’ai toujours aimé être entouré de beaucoup de gens ! Je ne sais pas pratiquer un sport si nous ne sommes pas nombreux ! Si je me retrouve tout seul, cette foule me manque. Je pense qu’il en va de même pour mes personnages !

 

          J. R. : Qu’ils ont donc tous l’instinct grégaire ?

          L. : Oui, tout à fait. 

 

          J. R. : Vous venez d’évoquer notre monde « malheureux ». Cependant, dans le leur, tous vos individus sont très colorés ! Pourquoi sont-ils tellement éclatants de couleurs ? « Le monde coloré de Léon » est-il une manière de compensation ?

          L. : La couleur implique la joie de vivre. J’ai essayé, mais je ne sais pas faire des choses douces. Si j’insiste, au bout d’un moment je refais le tout, en remettant des couleurs plus vives. J’utilise même souvent des couleurs sortant directement du tube, sans les mélanger à d’autres qui pourraient les adoucir. 

 

          J. R. : Quelle que soit leur histoire, enfermés ou non, ces petits êtres sont forcément des humains ?

          L. : Non. Je fais aussi des animaux. Pourquoi si souvent des humains ? Parce que la boîte à œufs a déjà un « visage » qui est le point de départ. Mais je peux aussi faire des chats, des éléphants…

 

          J. R. : Le contenant conditionne donc le contenu ?

          L. : Oui. En définitive, comme j’injecte de la mousse dans la boîte, selon le sens dans lequel elle va partir, j’aurai humain ou animal. Quelle que soit mon intention de départ, si la mousse en décide autrement, je la suis…

 

          J. R. : Tous, sans exception, ont, comme évoqué plus haut, la bouche grande ouverte et des yeux exorbités. Que disent-ils ? Que vous crient-ils ? 

          L. : Je ne me suis jamais posé la question ! Il est certain que je leur laisse rarement la bouche fermée ! Je pense qu’ils sont éberlués de voir la vie qui les entoure ! Peut-être sourient-ils?

 

          J. R. : Non. En tout cas, leurs yeux ne sourient pas ! 

          L. : Peut-être sont-ils en train de nous héler pour que nous allions les rejoindre ? 

 

        J. R. : Ils sont déjà si nombreux ! Et toujours derrière une vitre en train de regarder le spectateur. En somme, nous pensions être les regardeurs, mais nous sommes en même temps les regardés ?

          L. : Souvent on m’a fait remarquer que j’avais fait des prisonniers. Mais non ! C’est nous les prisonniers. Nous sommes derrière la vitre, et ils nous regardent comme des bêtes curieuses en se demandant qui sont ces gens ! Parfois, ils regardent des pâtisseries, des scènes de notre vie…

 

         J. R. : Si je considère ce mot « pâtisserie », je constate qu’il est à l’envers. Cela implique que je suis dans le magasin. Ils sont donc en train de me regarder manger les gâteaux ? S’ils sont dans la rue, nous sommes donc dans une complète erreur de perspective ?

          L. : Ils regardent les gâteaux. Par gourmandise. L’une d’entre eux tire même la langue, de plaisir anticipé ! Un autre essaie de chaparder un bonbon dans un bocal, ce qui est impossible puisqu’il est à l’extérieur à la vitrine. D’où, en effet, une absence complète de perspective. Mais cela ne m’inquiète pas.

 

          J. R. : Venons-en aux mises en scène de certains tableaux. Dans le cas que nous venons d’évoquer, nous sommes dans une situation géographique très explicite. Ce qui n’est pas le cas pour tous vos tableaux. 

          L. : C’est que là, j’étais parti sur le thème des Sept Péchés capitaux. Je savais que je ferais « une gourmandise ».

 

          J. R. : J’avais plutôt pensé à la connotation des vieux magasins d’autrefois, avec le bocal de bonbons, des yeux exorbités, l’odeur de cette vieille épicerie de campagne qui nous reste dans le nez…

       L. : Comme le dit Renaud. C’est tout à fait cela, ces vieux magasins typés, très sympathiques, pleins de marchandises. Mais ce cadre était plus pour étayer La Gourmandise.

 

          J. R. : Parlons de La course de vélo : comment les coureurs vont-ils terminer la course, alors que l’arrivée est au bord de la mer ?

           L. : On retrouve le même problème, en effet. Je n’aime pas les choses plates. Si je mets le mot « Arrivée » devant, il va être à plat. Et, de toutes façons, mes coureurs n’arriveront pas ! 

 

       j . R. : C’est à ce genre de composition complètement fausse, que l’on voit l’humour de votre travail. Ils n’ont que deux solutions : Ou le mot « Arrivée » était écrit à l’endroit ; et dans ce cas, ils fonçaient droit dans la mer. Ou bien, et c’est votre choix, ils vont revenir en faisant un crochet « par » la mer ! 

          L. : Voilà ! Ils s’arrêtent là, ils ouvrent la bouche parce qu’ils sont essoufflés, et on n’en parle plus ! 

 

          J. R. : Revenons à ce matériau vulgaire qu’est une boîte à œufs. Vous avez peint dessus avec infiniment de minutie. On vous sent vous rapprocher du modèle, peindre le maillot à pois, les casquettes qui tombent… Quand vous procédez ainsi, est-ce que vous vous racontez une histoire ?

          L. : Non. Je les peins plutôt au hasard. Je fais volontairement le maillot jaune et le maillot à pois parce qu’ils sont représentatifs dans une course. Mais après, l’intérêt est d’avoir de la couleur. 

 

          J. R. Nous pourrions nous amuser ainsi à tour de rôle sur chacun de vos tableaux, de l’équipe de basketteuses appelée « La chorale de Roanne », aux biscuits Lu, à la famille verte, à ceux qui sont derrière les barreaux cinq minutes avant les soldes… Certains ont l’air tout à fait plats. Est-ce que parfois vous travaillez sur d’autres matériaux que les boîtes à œufs ?

          L. : Non, cela ne me vient jamais à l’idée. Il faut dire que je ne me pose pas de questions. Je mets ensemble mes personnages dans des situations qui peuvent être différentes, sans jamais me focaliser sur les uns plutôt que les autres. Et, pour finir, je bourre avec des petites récupérations qui me servent à faire les personnages isolés que je cale dans la mousse, deuxième constante de mes matériaux et qui me pose souvent des problèmes parce qu’elle n’est pas obéissante ! Toutes ces étapes constituent chaque fois de grands moments de joie !

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DU FESTIVAL DE BANNE 2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.