MICHEL SMOLEC

Texte de JEANINE RIVAIS

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          Voici quelques années, Michel Smolec qui en mourait d’envie depuis longtemps, a osé enfin concrétiser son désir, amorçant avec la terre une relation très passionnelle : petites sculptures fort originales, monochromes, à la fois bouleversantes et provocatrices : Bouleversantes, parce que ce créateur totalement autodidacte, semblait désormais incapable de canaliser le flux des traumatismes qui avaient naguère perturbé son existence, et jaillissaient dès lors comme d’autant de témoignages et de souvenirs enfin conjurés. Provocatrices, elles le furent d'emblée ; semblant défier le visiteur de les trouver trop jeunes pour jouer dans la cour des grands ! Frondeuses, raisonneuses aussi, un peu militantes, sous leurs airs innocents et leur bon sens populaire. Sans doute encore surpris par la révélation de ce monde pictural auquel il apportait maintenant sa marque, Michel Smolec fonça tête baissée ; répondant à l'urgence, au besoin d'être narratif, à la nécessité de rattacher SES oeuvres à SA réalité !

           Bientôt, intuitivement, il commença à se libérer de cette nécessité de « raconter ». Il s'en alla plus loin dans une fantasmagorie de petits êtres masculins aux bouches tordues, lèvres craquelées, cheveux hirsutes ou embroussaillés, bras difformes et inégaux, yeux trop petits ou exorbités ; et féminins, plus sophistiqués, aux fesses charnues amoureusement polies, aux seins gonflés délicatement mamelonnés, à la chevelure flamboyante très soignée en lourdes masses savamment entrecroisées, aux sourires tendres et légèrement ironiques. Chaque personnage devenait en soi porteur d’une histoire tout en préservant l’érotisme qui avait jalonné les relations de ses petits couples.

 

          Un soir, il  rentra hilare du travail,  où il avait passé sa pause de midi à dessiner sur un mur en construction, une "demoiselle du chantier" nue, pubis en évidence, cheveux blonds et sac à main balancé à bout de bras ! Le regret de ne pouvoir détacher le pan de mur  pour récupérer ce témoignage de sa première tentative en deux dimensions fut-il le moteur qui l’amena à continuer sur le papier cette recherche elle aussi d’emblée fort originale ? Toujours est-il qu’il  réalisa de drôles de dessins jetés à grands coups de crayon noir, où l'on ne repérait au début qu'un personnage dissimulé dans une flore incertaine ; mais où progressivement, l'attention se portait ici sur un oeil tapi dans un angle, sous une feuille, là sur une figure au milieu des buissons…Apparaissait un second visage, perpendiculaire au premier peut-être, voire  complètement  inversé. Bientôt plusieurs faces étaient décelables, à mesure que tournait les pages ; grimaçantes, humoristiques, sombres, inquiètes, jamais méchantes… corroborant ce perpétuel aller-retour de la réalité à l'imaginaire ébauché avec les sculptures.

          Mais il semble que, comme tous les authentiques créateurs, Michel Smolec soit incapable de se contenter d’une répétition à l’infini d’une même formulation. Alors, les personnages ont grandi. Désormais dessinés sur bois, ils sont passés à la couleur, à grands traits de pastels gras, mélangés de façon à créer des nuances de chairs rose-nacré… 

          Ils se sont débarrassés des décors incertains, comme des Golems se libéreraient de la gangue qui les entourait. Mais ce faisant, ils ont généré de nouveaux questionnements : Ce qui semble être deux femmes protégées par un parapluie, nues dans un angle qui pourrait être le croisement de deux maisons, sont-elles bien deux ? Sont-elles siamoises ? N’y a-t-il qu’une seule femme avec deux visages dont l’un serait à sa place, l’autre planté à la place de la poitrine déjetée ? Est-ce un bras, est-ce un pan de hanche qui dépasse de l’anatomie visible –lisible- ? Et ces yeux, à travers la vitre qui ne révèle qu’une vague silhouette floue, sont-ils ceux d’un voyeur ? Sont-ils le subconscient de cette/ces femmes(s) ? Sont-ils simplement son (leur) reflet dans le verre ?… Et sous une autre opulente chevelure rousse, combien y a-t-il de visages puisqu’il y a deux nez; deux croix d’or ; mais deux seins ; mais trois yeux ? A qui appartient ce bras levé qui ne semble rattaché à aucun corps ?… Et sur une autre encore, quel créateur a donc jeté pêle-mêle des bras trop courts, des poitrines galbées n’appartenant à personne, des pans de joues anormalement étirés… des visages comme glués les uns autres, aux bouches de guingois parfois se chevauchant… aux yeux fixes, comme plantés sur les orbites et non dedans…

          Les yeux ! Ce sont eux, finalement, qui accentuent l’étrangeté des personnages et ajoutent à la difficulté de les définir ! Dessinés en amandes, ils sont d’un bleu très vif, aux épais sourcils, aux paupières lourdement maquillées et à la pupille violemment dessinée qui donne au regard un air à la fois énigmatique et dur, voire arrogant. Mais surtout, ils ne sont jamais à la bonne place, et leur nombre n’est jamais satisfaisant ! Et si l’on tient compte du fait qu’à peine esquissés les contours des futurs protagonistes, ce sont les yeux qui apparaissent les premiers, il est évident qu’ils prennent dans l’esprit de l’artiste, une importance capitale. Et, indéfinissables, revêtent pour le spectateur, une connotation obsessionnelle dont seuls, peut-être, des psychanalystes sauraient décrypter le message ! 

 

CE TEXTE A ETE ECRIT APRES LE DU FESTIVAL DE BANNE  2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.