JEAN-MARC BLONDE

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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          Handicapé mental relativement léger, Jean-Marc Blondé fréquente, depuis 1990, les ateliers du "Centre-Ressources Terre", du foyer d’accueil et de promotion Hubert Pascal, à Nîmes. L’entretien s’est déroulé en présence et avec la participation de son éducatrice Annette Gibert.

 

        Jeanine Rivais : Jean-Marc, vous pouvez nous parler un peu de votre vie ?

         Jean-Marc Blondé : J’habite à Manduel.

 

          J. R. : Vous vivez chez vos parents, ou dans une institution ?

            J-M. B. : Je vis chez mes parents.

 

         J. R. : Y a-t-il longtemps que vous faites des sculptures ?

         J-M. B. : Oui. Il y a environ dix ans. J’ai commencé par des petites. 

 

          J. R. : Pourquoi en êtes-vous venu aux grandes ? Les petites étaient déjà magnifiques. Est-ce parce que vous-même aviez grandi ?

          J-M. B. : J’ai dit à Annette que je préférais les grandes tailles.

 

          J. R. : Qu’est-ce que les grandes vous donnent, que les petites ne vous donnaient pas. Pourquoi est-ce mieux de faire des grandes ?

          J-M. B. : Parce que c’est ma grande passion. 

          Annette Gibert : Il est venu aux grands formats voilà trois ans, après avoir vu, au Festival de Banne, un tableau qui couvrait tout le fond des Ecuries, et sur lequel se trouvait un immense portrait. C’était une femme. Ce tableau l’a énormément impressionné. Ce jour-là, il m’a dit : « Maintenant, je ne vais faire que des grandes femmes avec des gros seins ». 

 

         J. R. : C’est vrai qu’elles sont bien proportionnées, et plantureuses. Pourquoi, par contre, ont-elles de toutes petites têtes ?

         J-M. B. Je n’ai pas pu faire autrement. Sur le tableau, c’était comme ça, alors je leur ai fait des petites têtes.

         A. G. : C’est vrai. C’était un gros buste et une petite tête.

 

        J. R. : J’ai vu que vous peigniez aussi. Est-ce que ce sont des portraits de vous, ou de gens que vous connaissez ?

       J-M. B. : Non, ceux-là, j’ai copié sur Van Gogh. D’autres sont imaginaires.

 

      J. R. : Que représente pour vous la peinture, par rapport à la sculpture ? Est-ce que c’est mieux, ou pas ?

     J-M. B. : J’ai adoré cela. Mais j’ai arrêté la peinture parce que j’en avais marre. Ca ne me convenait pas bien. 

        A. G. : Il a abandonné la peinture au moment où il est passé aux grandes sculptures. Avant, il fréquentait les deux ateliers de peinture et sculpture. 

      Je m’interroge, depuis que vous lui avez posé la question sur ce que lui donne la sculpture par rapport à la peinture ? Quand il travaille, il se parle sans arrêt. Il explique : « Je le fais comme ci, comme ça… ». Il est sans cesse dans un problème de construction, d’échafaudage, de mise en place des choses. Je me dis qu’en peinture, comme vous l’avez remarqué, il ne dispose que de deux dimensions, et le sujet est posé sur la toile. Tandis qu’en sculpture, il doit résoudre les problèmes de structures, d’équilibres. Cela l’intéresse, le stimule. 

 

        J. R. : Je crois qu’il y a aussi le plaisir de la main : quand il fait une peinture, il se contente de tenir le pinceau. Mais quand il fait une sculpture, il caresse la terre, puis la forme ; il communie avec elles.

       Est-ce que c’est cela qui est mieux ?

       J-M. B. : Oui. 

 

       J. R. : Il y a sûrement un côté sensuel qui l’intéresse ?

       A. G. : Oui. Je l’ai vu faire les cheveux, il s’applique, il raconte quelles proportions il va leur donner. Il est exact que le travail des mains est très provocateur.

       J-M. B. : Hier, j’ai vu les sculptures d’un autre sculpteur (celles de Michel Smolec qui exposait dans l’atelier de Lamo et qui était ravi de le voir se réjouir et l’entendre s’exclamer). Elles m’ont beaucoup plu. Et j’ai décidé de faire des socles comme les siens. Je dessine des projets.

 

      J. R. : Ceci m’amène à une autre question : Quand vous pensez à un personnage, vous dessinez toujours des modèles ? Pourquoi ? Est-ce pour bien vous mettre ce nouveau personnage en tête ?

        A. G. : Je crois que vous avez raison, et qu’il dessine pour s’assurer qu’il veut bien faire cette forme-là, dans cette position-là, avec cette architecture-là.

 

       J. R. Vous craignez des mauvaises surprises ? Mais ces dessins, que représentent-ils ? Le devant, le derrière ? 

        J-M. B. En plein devant. Toujours. 

        A. G. : Moi je crois que tu fais le dessin pour t’imaginer la forme, un peu pour te raconter ton histoire, comment tu vas l’asseoir, quelle taille elle aura, si elle aura ou non des collants rayés... 

      Après seulement, il se lance dans la sculpture. Il se peut qu’elle évolue un peu, mais il a l’histoire de la personne. Ce qu’il ajoute et qui n’est pas sur le dessin, vient comme la suite d’une histoire qu’il se raconte au fur et à mesure. 

 

      J. R. : Je remarque que les vêtements de vos femmes peintes sont très sobres, d’une seule couleur, souvent même on ne voit pas le vêtement, il est perdu dans le fond. Tandis que les sculptures sont habillées de façon très coquette. Est-ce que c’est un plaisir d’ « habiller » des femmes ?

          J-M. B. : Oui. C’est un plaisir.

 

        J. R. : Quand vous voulez faire un vêtement de femme, elle a un corsage d’une façon, la jupe autrement, et les collants encore différents. Il a fallu que vous réfléchissiez pour créer tous ces vêtements ? D’autant qu’ils vont très bien ensemble. A quoi pensez-vous quand vous faites ces vêtements si différents, quand vous composez ces couleurs pour les réaliser ?

        J-M. B. : C’est ma grande passion. J’aime bien faire comme ça.

      A. G. : Je me souviens que, quand nous avons sorti les jambes du four, les bas à rayures étaient tout marron. Ils ne lui plaisaient pas. Il voulait absolument des rayures. Alors, je lui ai proposé d’autres couleurs, et nous avons fait recuire les jambes. 

 

          J. R. : Quel est, selon vous, le rôle de l’atelier d’Art-thérapie ? 

         A. G. : Je pense que cela soigne. Mais je ne sais pas qui est le thérapeute ? Je pense qu’il se soigne lui-même, à en juger par la passion qu’il met et la rêverie qu’il installe. Moi, je ne me dis pas thérapeute, vous voyez la nuance ? Je lui donne la technicité. Quand je sens que cela va s’effondrer, je peux lui proposer de tenir la sculpture pendant qu’il la structure. Dans le four, je peux lui donner les éléments pour qu’il obtienne les couleurs qu’il veut. Nous faisons des nuanciers, il améliore la technique chaque fois… En aucun cas, je ne me situe en analyste. Je ne lui demande pas ce que cela veut dire pour lui. Je ne l’interroge pas sur ce qu’est sa vie. Cela lui appartient. Mais il est vrai qu’au fil des années, à force de construire, il se construit. Il s’accroche à des choses. Il est plus stable, moins angoissé. 

 

          J. R. : Vous n’avez jamais eu envie de sculpter autre chose que des personnages ? 

          J-M. B. : Non. Que des personnages. 

 

      J. R. : Et vous n’avez pas envie de mettre ensemble plusieurs personnages qui vous permettraient d’imaginer une histoire commune ?

        J-M. B. : Non. A part quelques sculptures que j’ai faites au Maroc. 

      A. G. : C’était dans un atelier de potier. Le potier voulait lui faire faire des choses avec sa propre technique. 

       Vous dites « raconter des histoires » : je me souviens que lors de notre départ pour le Maroc, il s’était un peu angoissé au moment du départ des bagages dans le souterrain, et il avait imaginé toute une histoire à partir de la personne qui les surveillait, celle qui les passait aux rayons X… Il y a donc bien une histoire en lui.

 

      J. R. : C’est justement, ce que je voulais vous demander : quand vous sculptez un personnage, qu’est-ce que lui, ce personnage, pense de vous ?

         J-M. B. : Elles me regardent. Et elles disent : « Qu’il est beau, ce gars-là » ! 

 

         J. R. : Et j’ajouterai, pour conclure : « Qu’il a du talent, ce gars-là » !   

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DU FESTIVAL DE BANNE 2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.