JEAN-FRANCOIS RIEUX

Texte de JEANINE RIVAIS

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Ils sont dans des cadres très simples, tels des cercueils pour miséreux ; ils « reposent » au milieu d’un fond noir ou (mais rarement) blanc. Ils ont l’air « solides » comme le roc, mais ils sont de cartons de récupération arrachés aux déchetteries ou au feu. Leur raideur est-elle déjà cadavérique ? Ou au contraire, bandent-ils leurs muscles pour mieux résister, dans ce huis clos où on les a relégués, à une pression sociale qui s’imposerait de l’extérieur ? A aucun moment, le visiteur n’aura une réponse à ses interrogations, à la fois semblables et décalées d’une œuvre à l’autre. 

La plupart de ces êtres se résument à des visages et sont seuls. Mais s’ils sont associés à d’autres (Famille), tout se passe comme si l’artiste voulait présenter, à la fois tour à tour et dans leur appréhension globale, les différents états d’une même misère : parfois,  ils sont de guingois, nez écrasés, dents apparentes en une sorte de rictus, yeux vairons ex-orbités (au sens littéral), peau couperosée de mille veinules vibrillonnaires. D’autres fois (Vanitas), il s’agit du même visage aux quatre temps de la vie : lisse et souriant ; un peu « attaqué » déjà ; aux rides accentuées en des lignes douloureuses de soucis ou de souffrances ; de plus en plus raviné jusqu’à n’être qu’un réseau de plis faciaux ; cependant que la bouche s’affaisse, et que les yeux se délavent… Mais ce qui est paradoxal, c’est que Jean-François Rieux semble prendre cette vie à l’envers : en tout cas, pour percevoir la logique de son cheminement, il faut lire ce tableau de droite à gauche. A moins qu’il ne s’agisse d’une sorte de retour sur soi-même du personnage parvenu au terme de sa vie, et qui en remonterait le cours jusqu’au moment du premier souvenir ?

Au fil des œuvres, l’artiste développe les désenchantements des existences qu’il met en scène, l’absence de complicité, la solitude, en fait : ainsi ce Couple au lit, où chacun est à « sa » place, tournant résolument le dos à l’autre… Enfin, il y a bien peu, voire pas du tout d’intimité pour les êtres qu’il crée : lorsqu’ils sont « entiers », ils deviennent des sortes de spécimens voués à quelque leçon d’anatomie, exhibant à deux mains leurs thorax dénudés ; fléchés comme pour un jeu de piste, afin que nul ne s’égare dans le parcours auquel ils sont soumis ; arc-boutés (ées), hurlant leur Merde alors ! en train d’accoucher visiblement dans la douleur, etc. ! 

Dans ce débordement de désarroi, la religion n’apporte aucun apaisement à l’homme. En atteste Le Christ de Sienne, construit sur une symétrie parfaite qui laisserait supposer une identité sans faille  ; mais duel, tellement homme avec son sexe qui pend, et féminin avec ses seins mamelus, d’où un inévitable déchirement évident dans ses deux grands yeux qui crient… Pourtant, ce ne sont pas les deux « apôtres ? » au pied de sa croix, qui sont susceptibles de lui procurer le moindre réconfort : tonitruants, ironiques, joignant faussement les mains (peut-être même applaudissent-ils ?) ils jouissent en fait de sa souffrance ! 

Comment Jean-François Rieux qui a abordé la pente descendante de sa propre vie (56 ans avec le siècle), et donc eu le temps de se forger une certaine sérénité, en est-il venu à une telle désespérance ? N’a-t-il reçu aucune réponse à ses questionnements ? A-t-il lui-même souffert mille morts pour ne voir dans ses semblables que voyageurs en transit ; entre non-vie et néant ; pour rire sinistrement de cette grande farce cosmique qui ne donne que pour mieux reprendre ?

Souhaitons-lui, pour son talent de penseur et de sculpteur, et son grand sens des couleurs violentes qui, mieux qu’un long discours disent son mal-être existentiel, qu’à un moment il puisse poser son angoisse comme on pose un fardeau trop lourd, et vivre –enfin- dans l’apothéose des couleurs qui sont les siennes, sous le soleil qui brille si jaune et les ciels si bleus, parmi les fleurs à l’envi si rouges, et dans le repos des nuits les plus noires (piquetées d’étoiles)…

 

CE TEXTE A ETE ECRIT APRES LE DU FESTIVAL DE BANNE  2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.