FABIENNE FLURY

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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          Jeanine Rivais : Remarque traditionnelle : Parlez-nous de vous et de votre création !

          Fabienne Flury : J’habite Saint-Just d’Ardèche. Voilà à peu près cinq ans que je me suis mise à la création. Au début, j’ai travaillé sur de petites choses, des bijoux, des miroirs. J’ai peu à peu cherché des matières faciles à travailler, avec lesquelles je pourrais faire des œuvres plus grandes. J’aime bien travailler avec des objets permettant une recréation. Les meubles me convenaient donc parfaitement. J’aime beaucoup la couleur ; il est souvent difficile de m’arrêter !

 

          J. R. : Quand vous me dites « je trouve des meubles de récup’ », il me semble que vous ne leur laissez pas beaucoup de chance de recommencer une vie en tant que tels. Que vous intervenez abondamment dessus. Pourquoi ? Et la forme du meuble détermine-t-elle la forme et l’importance de votre intervention ?

          F. F. : Oui, tout à fait. Il ne s’agit jamais de « n’importe » quel meuble. Mais d’un objet comme le dernier que j’ai trouvé chez Emmaüs et qui m’a semblé très sympathique. Je l’ai acheté, parce que tout de suite j’ai vu mentalement comment j’allais intervenir dessus.

 

          J. R. : Ce qui semble évident, de prime abord, c’est que d’un siège banal, vous avez fait un « siège impossible ». Dédié « A Guillaume ». Qui est Guillaume ?

          F. F. : Voilà. C’est bien un siège sur lequel on ne s’assoit pas. Guillaume est l’un de mes personnages favoris, de ma mythologie personnelle…

 

          J. R. : A propos de mythologie, justement, votre création paraît infiniment baroque ?

         F. F. : Oui. J’aime la variété, même au niveau des formats. Ce qui me gêne le plus, c’est que, dans le monde de l’art, si vous faites de petites choses, vous passez tout de suite pour un artisan. Finalement, cela ne m’ennuie pas trop, mais tout de même !

 

       J. R. : Vos créations ne semblent pas toutes complètement fantasmagoriques. Ainsi, on imagine que votre Satyre a été travaillé de loin, comme un défi. Par contre, sur vos miroirs, par exemple, vous êtes intervenue de façon très sophistiquée. Ils ont été l’objet d’interventions minutieuses, attentives… Comment passez-vous de l’une à l’autre attitude ?

       F. F. : En fait, j’ai des objets tout autour de moi. Je virevolte parmi eux. Je ne peux pas me concentrer sur une seule pièce à la fois. Je travaille sur plusieurs en même temps. Par ailleurs sur certains, j’ai découvert la peinture à l’huile ; et j’étais partie pour faire tout simplement des tableaux. Et puis, j’ai recouvert des parties qui ne me plaisaient pas. J’ai gardé ce qui me plaisait, et j’ai mêlé le tout. 

 

       J. R. : Cependant, il semble quand même y avoir un véritable paradoxe entre ce siège où vous avez fait des vermisseaux non-signifiants et peut-être un peu rapides, et ce travail de longue haleine, où l’on vous sent penchée sur l’objet. 

       F. F. : Oui, mais ce siège est particulier. Je l’ai réalisé lors d’une exposition de rue. Il fallait créer un objet devant les gens. J’étais arrivée avec le socle prêt parce que je travaille avec des pâtes qui demandent un certain temps de séchage ; et je n’avais qu’à le peindre. 

 

      J. R. : Mais vous n’avez jamais eu envie de le reprendre pour qu’il soit tout entier comme le dossier qui a été ouvragé, sur lequel vous avez même ajouté des reliefs, collé des petits personnages ?

       F. F. : Je crois que j’ai attendu trop longtemps pour avoir envie de le reprendre. Et puis je l’ai oublié. 

 

       J. R. : Revenons à vos œuvres plus petites. A vrai dire, la photo de l’une d’entre elles dans le catalogue m’avait fait penser à de la porcelaine de Sèvres. Souvent, les œuvres sont peintes, mais brutes. Par contre, j’ai aperçu de petites têtes brillantes qui semblent être en céramique ?

     F. F. : Oui. C’est de la terre et des pigments. Elles ont été réalisées au CHS de Montfavet, parce que j’étais participante à un atelier d’Art-thérapie. C’est là, d’ailleurs, que Camille Claudel avait été internée. C’est dans ce lieu que j’ai « rencontré » la terre. Et les pigments. Je me suis donc lancée davantage dans des recherches de couleurs.

 

       J. R. : Ce qui est surprenant, c’est l’aspect précieux des visages, et le côté très brut du corps. Que vous apporte ce contraste ?

         F. F. : Je n’en sais rien ! J’ai beaucoup travaillé sur les visages. Dans ces œuvres-là, ils sont très expressifs… C’est un groupe, c’est l’empereur et sa cour…

 

      J. R. : Dans ces œuvres plus petites, vous semblez très concernée par les formes humanoïdes ? Tandis qu’avec les plus grandes, on retrouve, certes, des humains, mais ils ne sont que prétextes à être décoratifs, ils semblent moins essentiels ?

      F. F. : Oui. Ce qui m’intéresse, c’est le personnage qui surgit on ne sait d’où. Et, à ceux qui paraissent avoir une forme humaine, il faut que j’ajoute quelque chose qui rappelle qu’elle n’est pas naturelle. Ainsi, cette mariée, avec son chapeau et les deux étoiles…

 

       J. R. : En somme, lorsque vous placez vos œuvres en gestation au milieu de nulle part, dans une situation qui peut paraître décorative, c’est à ce moment-là que vous entrez dans le rêve et la fantasmagorie ? 

      F. F. : Oui, je ne prépare pas du tout ce que je vais faire. Je me laisse aller. J’ai des idées informelles au départ, mais c’est en oeuvrant que tout se passe ; que je peux changer complètement de direction. J’accepte ou non le résultat qui vient. J’ai eu une période de noir et blanc, d’autres très colorées. En ce moment, je me mets à faire des choses plus douces, mais je sens que ce n’est pas encore moi et cela me dérange un peu. 

 

      J. R. Revenons à ce Satyre qui a dans le ventre un petit orifice comme les statuettes maléfiques africaines. Diriez-vous qu’il vous a été inspiré par ces statuettes primitives ? Ou l’avez-vous inventé seule ?

       F. F. : Je suis assez inculte quant au monde de l’art. Je connais un peu l’Art primitif. Mais mettre un petit personnage dans le ventre est spontané, parce que le ventre est un lieu où passent beaucoup d’émotions. Comme si l’on voulait entrer par le nombril, à l’intérieur de mon personnage. J’aime travailler sur le nombril. Sur l’un de mes personnages, je l’ai remplacé par un petit papillon. 

 

       J. R. : Y a-t-il quelque chose que vous souhaiteriez ajouter, concernant votre création ?

     F. F. : Je me rends compte combien il est difficile de parler sur son travail. J’aurais dû y réfléchir avant votre passage…

 

       J. R. : Oui, mais j’aime avoir des réactions spontanées. 

       F. F. :.Je me sens bien au milieu des autres exposants. J’ajouterai que je crée pour le plaisir, sans me préoccuper des « conseils » que me donnent certaines personnes suggérant que je devrais être plus commerciale. Mais j’aime créer, ainsi, sans aucune contrainte. Ce sont beaucoup de petits bonheurs d’entendre les appréciations du public, surtout celui des enfants qui aiment beaucoup ce que je fais. 

 

       J. R. : Je crois volontiers que les enfants s’intéressent à votre travail, parce qu’en fait aussi bien vos miroirs où ils doivent se sembler étranges à eux-mêmes que votre Satyre ou votre Tapir qui doivent leur faire un peu peur ne les laissent pas sur terre. Ils les emmènent dans le monde des contes de fées.

       F. F. : Oui. Et cela se retrouve dans l’ensemble de mon travail. On me dit souvent : « Ah ! On dirait un miroir de fée » ou « une maison de sorcière »… L’appréciation varie toujours entre la princesse et la sorcière.

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DU FESTIVAL DE BANNE 2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.