LUIS BARROSO

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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          Jeanine Rivais : Luis Barroso, de quelle origine êtes-vous ? 

    Luis Barroso : Je suis d’origine brésilienne. 

 

         J. R. : Vous êtes créateur d’Art-Récup’, accumulateur, assembleur ? Comment vous définissez-vous ?

          L. B. : Je me définis comme quelqu’un qui est sans cesse en train de chercher des choses oubliées par la nature ; ou des biens de consommation délaissés par les autres. Je leur donne une autre dimension, dans un processus de transformation ; parce qu’à partir du moment où l’on peut transformer quelque chose qui vous vient de l’extérieur, il est possible de se transformer soi-même. Et de transformer la société. C’est la philosophie de mon travail artistique. 

 

          J. R. : Subséquemment, quand vous avez fini d’utiliser ces éléments, d’ailleurs pas hétéroclites, mais au contraire très proches les uns des autres, dans votre esprit avez-vous l’impression d’avoir créé quelque chose de militant ; ou d’avoir créé quelque chose de beau? 

          L. B. : Les deux. J’ai une démarche artistique très intimement liée au social. J’ai travaillé avec les enfants des rues, avec les prisonniers. Et, à Marseille, je travaille avec une association qui s’appelle « Art Développement », dans laquelle nous animons des ateliers de peinture pour des enfants en difficulté. Aujourd’hui, ma démarche est très liée au travail que je fais avec les jeunes. J’ai besoin d’ « être avec », de partager avec l’Autre. Je considère cette relation comme une ressource pour mon travail personnel. Je vais dans mon atelier, je retravaille cette relation. Puis je retourne sur le terrain, avec quelque chose de nouveau à donner. Les adultes me « donnent » aussi. Mon travail est donc un travail d’échange, de partage. C’est pour cela qu’il comporte à la fois le côté « beau » et le côté « militant ». 

 

          J. R. : Il me semble que votre « exotisme » par rapport aux artistes français, se retrouve dans votre création. Et que chacun de vos personnages créés a un petit côté « non-européen » ?

L. B. : Je suis tout à fait d’accord. Avec l’éloignement de mon pays et mon séjour en France, mes racines brésiliennes ressortent encore plus, dans mon travail artistique. Avec le recul par rapport à mon pays, je les sens encore plus fortes. 

 

          J R. : Est-ce que c’est également essentiel, dans votre création, d’en venir chaque fois vers l’humanoïde ? Tous vos personnages, même quand ils n’envisagent pas d’être réalistes, nous ramènent à l’humain. Est-ce parce que –et peut-être cette question est-elle redondante après ce que vous avez développé plus haut ?- l’homme est pour vous « le centre du monde » ? 

          L. B. : Oui. Je suis toujours à chercher l’être humain. Pour moi, c’est important. Il s’agit toujours de trouver et transformer, agir et réagir. Si je veux faire bouger l’homme et la société, il est essentiel de trouver l’humain dans mon travail. 

 

          J. R. : Quand je regarde vos créations, je m’aperçois qu’au lieu de faire comme beaucoup de créateurs d’Art-Récup’, et de mettre par exemple un gros morceau de bois qui va générer le corps et les bras… vous joignez de petits fragments comme si vous constituiez des chapelets… Pourquoi procédez-vous ainsi ? Est-ce pour suggérer la fragilité du corps humain ? 

         L. B. : Je me retrouve dans cette façon de faire. Le côté personnel de ma création est absolument indispensable pour trouver des réponses à tout ce que je ne trouve pas dans la société. Je vous ai entendue, tout à l’heure, parler avec le musicien et évoquer la prière. Or, j’ai une histoire derrière cette idée, parce que je suis d’origine chrétienne, j’ai vécu au séminaire. Il y a en moi un côté « mystique », « spirituel ». Je suis tout à fait d’accord avec ce que vous suggérez, je me retrouve dans cet humain que je crée. C’est là que je m’accroche pour continuer à vivre. Pour moi, la création est une raison d’exister, c’est elle qui me fait continuer.

 

           J. R. : Quelquefois, quand vous ne représentez que le visage, on retrouve ce même aspect subtil qui oblige le spectateur à se demander si c’est du dessin ou du découpage, alors que ce sont des os minuscules, de tout petits éclats de bois, de petites écorces, etc.

           Si je considère l’œuvre qui représente un personnage complet, la grosse pierre blanche en haut est la tête qui, même vue de loin, paraît énorme. Alors que les bras sont minuscules. Qu’est-ce qui vous a amené à créer un individu aussi disproportionné ? 

          L. B. : Ce personnage me ramène à mes origines indiennes ; chez les Indiens d’Amazonie. Je travaille aussi avec du papier, je recycle le papier et je fais une pâte que je travaille. Pour moi, le papier est la matière première sur laquelle j’essaie de composer mes œuvres.

 

          J. R. : Vous avez, sur deux autres tableaux,  des visages extrêmement pleins et lourds. Comment passez-vous de ces créations graciles évoquées plus haut, à ces personnages ? 

          L. B. : Ceux-là sont l’émotion, mon émotion. Il y a des moments où je suis léger, mais d’autres où je suis lourd ! Je suis tout cela à la fois. Chacun est ainsi,  s’il est naturel. C’est le sens de la vie, de notre existence qui passe de moments de profond chagrin à des moments heureux. C’est ainsi que je me définis.

    

           J. R. : Revenons aux tableaux de papier : faut-il voir une démarche symbolique dans le fait que sur l’un d’eux, vous ayez un crayon ? Vous utilisez les deux comme naguère avec les plumes d’oies. Essayez-vous de traduire une démarche précise ? Ou est-ce une question de rythme ?

          L. B. : Sur tous les tableaux, il y a le côté sauvage, et le côté civilisé. J’essaie toujours de faire se rejoindre les opposés dans une scène. Je suis sauvage aussi, comme je suis plongé dans la civilisation. J’essaie de faire ressortir ce côté sauvage, rustique. J’aime bien jouer avec les antagonismes. C’est toujours dans cette dynamique que je travaille. 

 

         J. R. : Certaines œuvres me semblent plus géographiques, presque des cartes imaginaires. 

           L. B. : C’est mon pays imaginaire ! 

 

         J. R. : Vous me dites : quelquefois je suis arachnéen, quelquefois je suis lourd. Et ici, vous êtes fantasmagorique ?

          L. B. : Parfois aussi, en effet. Je suis tout cela à la fois ! 

 

          J. R. : Mais vous n’êtes jamais peintre ? 

         L. B. : Tous mes tableaux sont composés d’éléments de la nature. Il y a eu des périodes où j’ai travaillé avec de l’acrylique. Mais voilà vingt ans que j’ai laissé tomber la peinture. Je n’arrivais pas à m’y retrouver. Et comme je suis toujours en relation avec les gens en difficulté, les gens souffrant de l’exclusion, et par rapport au Brésil où il est difficile d’acheter de la peinture, des matériaux, j’ai pris l’habitude d’utiliser beaucoup de matériaux de récupération. Je peux donc assumer cette relation avec la matière, toute cette richesse du pauvre qui me permet de travailler dans ma démarche artistique. 

 

            J. R. : Et, si je considère la noix de coco aplatie qui se trouve sur un autre tableau, je suis désormais convaincue que vous transportez bien vos racines avec vous ! 

        L. B. : Oui. Quand je voyage, je rapporte avec moi tout ce qu’il m’est possible de transporter. Ainsi, l’an dernier, je suis allé au Kenya car je travaille pour une association qui est en relation avec les Masaï. A mon retour, j’ai rapporté toutes sortes de petits morceaux de bois, des petites pierres, etc. 

 

          J. R. : Et pour conclure, je vous demanderai si tous ces bois exotiques (nous revenons à notre point de départ) s’accordent bien avec nos modestes bois européens ? Et j’ai l’impression que dans tous les cas, vous intervenez très peu sur l’aspect de vos trouvailles ? Si vous intervenez, dans quel sens le faites-vous ?

          L. B. : Ici,  je trouve de très beaux bois également. Les bois ont déjà une forme originale, quelque chose de présent que je n’ose pas détourner. Tout ce que je peux faire, c’est d’ajouter un autre matériau. Ma démarche consiste plutôt à assembler, afin de parvenir, à partir de l’assemblage, à une autre dimension.

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DU FESTIVAL DE BANNE 2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.