DIDIER JEAN-LUC

Texte de JEANINE RIVAIS

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Jean-Luc Didier n’a ni un esprit simple, ni un cœur léger ! En attestent ses « assemblages peints » chargés de psychologie, qui révèlent son mal-être existentiel ; son intérêt angoissé pour autrui et les aléas de son environnement ; et sa volonté d’être le révélateur de la beauté dans une nature où, pour lui, « tout est vivant ».

Toutes ces préoccupations se retrouvent dans ses œuvres, lourdes compositions élaborées sur fonds lépreux de couleurs appliquées en couches épaisses, ou au contraire avec un pinceau sec, regrattées pour laisser apparaître les accidents du bois… Le tout, dans ce qu’il est habituel d’appeler des « couleurs malades », violines éteintes ; gris mêlés de verts et de jaunes qui en altèrent les nuances ; noirs frottés sur les arêtes des reliefs… Parfois, il ajoute des ponctuations de rouges incertains, de noirs et de jaunes appuyés du bout du pinceau déformé, aux contours irréguliers, comme effacés, érodés par le temps… L’artiste ne devient lyrique que s’il « décrit » un élément de la nature : ce sont alors de belles teintes de gris rosés incrustés d’empreintes de feuilles, comme ces minéraux fossilisés où apparaissent les traces de végétaux ou d’animaux antédiluviens.

Car Jean-Luc Didier a le plus grand respect pour ces « témoins », ces réminiscences passéistes de vies depuis longtemps éteintes. Ainsi, dans l’œuvre intitulée Je gambade, le « personnage » central –sans doute un « mouton »- semi-dressé sur fond de cratère lunaire, ressemble-t-il à un ptérodactyle à l’encéphale énorme et aux pattes asymétriques… réalisé avec une racine torse dont l’écorce bosselée constitue le pelage brun foncé, tandis qu’un nœud du bois « arrive » opportunément pour figurer un œil latéral, et une nervure courbe pour circonscrire une oreille… et que, plus fines, les radicelles constituent une toison hirsute. 

Le naturel dont témoignent cet animal et les créatures peuplant les autres tableaux « affirme » que l’ « œil » de l’artiste d’Art-Récup’ est capable de discerner, parmi les mille branchages épars dans une forêt ;  ou parmi les galets d’une grève, voire les détritus d’une décharge, celui qui est parfait pour le sujet qui le hante. Et qu’il entretient avec chaque trouvaille, un puissant rapport affectif…

       Cependant, il serait « impossible » à Jean-Luc Didier de réaliser une œuvre idéalement esthétique où chaque élément serait le prolongement évident du précédent. Il lui faut, pour assouvir ses angoisses, générer des heurts, des oppositions, des antithèses, voire des paradoxes : dans cette logique négative, les pattes de l’animal, de Je gambade, semblent « étrangères » à la merveille naturelle évoquée plus haut, raides et grossièrement équarries, « anormales », en somme ! Pour les mêmes raisons, chacune des œuvres de ce créateur présente semblable mal-gestation, qu’il s’agisse des ramures tourmentées au-dessus d’un corps massif de Légende… ou, Dans la forêt, du groin aplati de l’individu par opposition à l’énormité du crâne (de putois ou de renard ?) aux dents acérées irrégulières… ou encore, dans Le baiser, l’impossibilité de déterminer si les « bras » qui entourent les deux (galets) amoureux serrés l’un contre l’autre, sont de protection ou d’emprisonnement… ou surtout, concernant cette Mademoiselle (qui) n’est pas très jolie, le petit non plus, le scénario plus socialement engagé et le plus « lourd » psychologiquement, où la  mère a la tête cabossée, et les deux yeux étrécis vides de globes oculaires ; tandis que « le petit » est manifestement cul-de-jatte et dépourvu de bras… etc.

          D'oeuvre en œuvre, le visiteur avance, perplexe, sans avoir jamais la certitude de détenir la bonne clef ; sans que les titres dont l’importance semble évidente lui permettent de comprendre pourquoi un tableau s’intitule La grosse tête en bois, attirant donc le regard sur cette partie, alors qu’il s’agit d’une parturiente en train, à l’évidence, d’accoucher dans la douleur ; ou qu’avec Des pierres plein la tête soit proposé un Christ grêlé de mille trous (à moins que, dans ce cas, l’artiste ait voulu un décalage et qu’il ait peint le Christ APRES qu’il ait été lapidé ?)… Progressivement, ce visiteur prend conscience de la profondeur des interrogations de Jean-Luc Didier ; de sa difficulté à trouver un équilibre dans le monde et de s’y installer ; de l’âpreté avec laquelle, comme tant d’autres créateurs d’Art-Récup’, il fouit les objets communs, vulgaires ou banals pour en tirer la quintessence, découvrir, comprendre comment ils ont été pour d’autres (qui les ont aimés puis rejetés) des générateurs d’harmonie ; comment ils ont, dans certains lieux participé d’une grande beauté ; comment les stigmates dont tous sont désormais porteurs peuvent être rassurants… Alors, surgit peut-être (toujours « peut-être, dans ces supputations !) en lui une lueur d’espoir : à force de les unir et de tenter de les réconcilier ; à force d’engranger ce qu’ils lui donnent ou lui affirment… peut-être trouvera-t-il quelque repos, et qui sait, l’âge venant, enfin sa place bien définie, un peu de sérénité et d’optimisme ?

          En attendant, cette œuvre noire, puissante et provocatrice, porteuse de si « sombres dedans » perturbateurs et énigmatiques, est à voir absolument.

 

CE TEXTE A ETE ECRIT APRES LE DU FESTIVAL DE BANNE  2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.