JOËL BRESSAND

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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          Jeanine Rivais : Commençons par la question traditionnelle : Qui êtes-vous ? Que faites-vous ? Depuis quand êtes-vous artiste?

          Joël Bressand : Je viens de Sainte-Egrève près de Grenoble. Je vis donc depuis toujours très près de la nature. Et depuis toujours je suis fasciné par les formes naturelles, les matériaux naturels. Je suis grand récupérateur de morceaux de bois, de cailloux… en somme de tous les éléments naturels qui sont les matériaux de départ de ma création. 

           Je ne travaille jamais dans la masse, à partir d’un bloc, je travaille toujours à partir d’une forme préexistante. Le point de départ détermine donc le sujet de l’œuvre.

 

          J. R. : Peut-on dire alors que vous êtes non pas sculpteur, mais «compositeur» ? Et comment en êtes-vous venu à cette forme de création ? 

           J. B. : Comme je viens de le dire, j’ai depuis l’enfance, collectionné des objets trouvés dans la nature. Mais un jour, je suis parti aux Beaux-arts, je me suis rempli de culture et j’ai un peu oublié tous ces objets. J’ai beaucoup regardé, beaucoup lu. En fait, je me suis tellement gavé de cette culture, et de technique que je me suis un peu oublié moi-même. Ce n’est que dix ans après les Beaux-arts, dix ans que j’ai passés à ne rien faire, dix ans pendant lesquels je me suis heurté aux accidents de l’existence, à la mort de personnes proches, que je me suis repris. Et vers la trentaine, j’ai éprouvé le désir de faire enfin « quelque chose de ma vie ». C’est alors que je suis tombé sur toutes ces traces de l’enfance entassées dans le grenier ; et que j’ai commencé, comme beaucoup de Singuliers, à me rendre compte qu’avec eux, je pouvais créer des objets. 

          Pour revenir à votre remarque précédente, il y a quand même une partie de sculpture, parce que j’essaie au cours de l’élaboration, de prolonger (avec, d’ailleurs plus ou moins de bonheur), la forme de départ. Et je procède pour ce faire à l’assemblage de divers matériaux. 

 

            J. R. : Il me semble que vous ne travaillez que sur bois. Avec quelques ajouts de métal ici et là. Est-ce exact ? 

       J. B. : Il y a quelques exceptions, semelles de chaussures, etc. Mais la base est généralement le bois. 

 

          J. R. : Vos œuvres s’accrochent ou sont présentées sur des piquets : quand décidez-vous de l’un ou de l’autre ?

          J. B. : Cela dépend de la forme plus ou moins longiligne, du lieu qui se prête à l’un ou à l’autre. Je m’adapte en fonction du contexte.

 

          J. R. : Vous placez ensuite ces objets côte à côte, mais ils ne sont pas interdépendants. Vous n’essayez pas de faire des mises en scène ? Chaque œuvre est autonome, aucune ne peut pas être rattachée à une quelconque narration où plusieurs entreraient collectivement en ligne de compte, dans une relation qui générerait une « histoire » ? 

       J. B. : Non. En fait, chaque objet a pour moi sa petite histoire personnelle, mais indépendante de celle des autres. Je fais très peu de séries, du fait de ce parti-pris de conserver une forme originelle.

 

          J. R. : Est-ce parce que, dans l’ensemble, ce sont des personnages ? 

          J. B. : Personnages, oui souvent, mais aussi animaux. C’est très varié. 

 

        J. R. : Mais l’humain ne prédomine-t-il pas ? Quand je vois, par exemple, votre tête de vache, je lui trouve un air très humain. 

          J. B. : Oui, parce qu’en fait, sa tête ressemble à un  masque. J’aime l’idée du masque, dans mes créations, les variations qui me permettent, lorsque la forme ne se suffit pas à elle-même, de faire des assemblages. Je prends alors ici des petits morceaux de métaux, là de la ficelle traitée, une passoire, et pour les nœuds, les protubérances, des branches de frênes que je fais pousser dans mon jardin… 

 

          J. R. : Vous dites : « Je récupère des objets… » Quelles qualités doivent avoir ces objets pour que vous les ramassiez. Et à quel moment vous vient l’idée de la façon de les utiliser ? 

       J. B. : Au moment de la découverte. Au moment du plaisir de la « rencontre ». Peu m’importe alors, l’état de l’objet, du moment que sa forme m’enchante. 

Ensuite, l’assemblage dépendra de la manière dont se conjuguent les ajouts. Deux formes peuvent se rencontrer à des années de distance. Ce que j’essaie de faire, c’est de me tenir au sujet suggéré par la silhouette originelle. 

 

          J. R. : Parfois, pourtant, vous intervenez fortement sur la composition de la sculpture ?

          J. B. : Il peut arriver, en effet, que le travail de sculpture soit plus important. 

 

       J. R. : Dans ce cas, comment reliez-vous ce travail très sophistiqué, très  poli, avec la définition que vous m’avez donnée au début de notre entretien ?

        J. B. : Pour moi, il n’y a guère de différence. Tout est une question d’évidence de départ. Cette évidence conditionne l’importance de mon intervention, mais ne change pas l’esprit de ma sculpture. 

 

          J. R. : Vous avez dit à un moment qu’il n’était pas important que les matériaux que vous ramassiez témoignent du passage du temps. N’êtes-vous pas en décalage par rapport à vos collègues d’art-Récup’, (mais je devrais sans doute dire « accumulateurs », pour suivre la mode ?) qui, eux, aiment les objets burinés, patinés, brassés par les flots, etc. ? Ce qui est surprenant, c’est le « côté tout neuf » de votre création. 

          J. B. : J’ai en fait envie de donner aux matériaux une seconde vie, qu’ils aient été ou non précédemment usés. J’ai envie qu’ils paraissent neufs. Je n’arrive pas à garder les matériaux bruts. Il faut que je les ponce, que je les frotte… Je veux chasser justement les traces d’usure.

 

          J. R. : Vous procédez donc à l’inverse des autres : vous oblitérez délibérément ce qu’ils recherchent sans arrêt. 

         J. B. : Oui, disons que je suis pour le « renouveau » ! Je n’aime pas ce qui est gris. Je recherche en fait, le vivant sous ce gris. 

 

          J. R. : J’ai lu dans votre curriculum que vous réalisez aussi des sculptures dans la neige. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ces créations éphémères alors que vous voulez sans doute pérennes, vos sculptures en bois ?

         J. B. : Oui, bien sûr. Mais il s’agit alors d’un travail de groupe. Et quand on est en montagne, on a un rapport presque ludique avec la neige. Ces créations sont en fait pour moi, des vacances qui me changent du travail solitaire auquel je suis habitué. 

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DU FESTIVAL DE BANNE 2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.