NICOLAS SALMON

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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          Jeanine Rivais : Voulez-vous vous présenter, et situer votre travail ?

          Nicolas Salmon : Je travaille dans l’édition, je fais des couvertures de livres. Par rapport à l’image, je suis en train de revenir à mes premières amours puisque malheureusement, les livres ne sont que des produits marchands, avec des cibles, où tout est donc balisé ; d’où il est impossible de sortir. J’invente donc la littérature. 

 

          J. R. : Il me semble que vous devez aimer Andy Warhol ?

          N. S. : Entre autres, mais ce n’est pas l’artiste que je préfère. J’aime Jérôme Bosch passionnément. Des classiques, et les Surréalistes. La bande dessinée. Le Rock, le cinéma. Tout cela doit vous sembler très vulgaire ?

 

          J. R. : Non. Je ne dirai pas que «fréquenter» Jérôme Bosch ou les Surréalistes soit vulgaire ! 

          N. S. : Le Rock’n roll et la BD sont tout de même généralement ressentis comme moins intellectuels !

 

         J. R. : Ce qui semble évident, à regarder votre travail, c’est sa facture résolument contemporaine. Vous parlez de Jérôme Bosch, alors expliquez-nous comment vous pouvez ressentir cette influence dans votre travail ?

            N. S. : Jérôme Bosch est le père des Surréalistes, plusieurs siècles avant. C’est peut-être moins évident sur les travaux que je montre à Banne, mais mes premières pièces étaient des collages, avec toutes sortes d’images détourées. J’étais alors plus proche du Jardin des Délices, des compositions très chargées de Bosch. Qui sont éternellement modernes. 

 

           J. R. : Et comment diriez-vous vous rattacher aux Surréalistes ?

          N. S. : J’adore le paradoxe. J’aime, dans ces séries un peu métaphysiques, être sur le fil du rasoir entre l’adorable, l’épouvantable ou le choquant. En même temps, donner au travail un côté bonbon sucé, doux, presque enjoué. Que l’on puisse toujours le voir de deux façons différentes, selon sa culture. 

 

          J. R. : Il semble que si le mot « militant » est peut-être un peu fort, votre travail soit en tout cas dénonciateur de notre civilisation ?

          N. S. : Oui. Faire une œuvre privée de sens ne m’intéresse pas, me semble dérisoire. Il y a beaucoup de gens qui créent sans « sens », au sens de sensible, sans message derrière. Vouloir dire quelque chose me semble essentiel. Ce que j’ai apprécié à Banne, c’est de voir ces travaux très différents où l’importance de la matière crée ses propres profondeurs énormes. Jusqu’à maintenant, j’étais assez lié à  une certaine narration. Sans peut-être laisser assez de portes ouvertes aux gens ? Je suis, comme je l’ai dit, passé de collages avec de nombreuses images, à des œuvres ne présentant plus que trois ou quatre images. Et, maintenant, comme je passe beaucoup par l’ordinateur, je travaille sur la surface, j’essaie de créer la notion de matière, en effectuant un énorme travail sur les couleurs.

 

          J. R. : Si j’ai bien compris, vous faites vos découpages, vos collages… Vous scannez et vous reproduisez. Nous sommes donc dans un monde de création/disparition/reconstruction d’une chose différente. Parce que l’image qui sort imprimée n’a plus l’évidence du travail originel ?

          N. S. : Oui, tout à fait. Nous sommes dans un monde abreuvé d’images. Il y en a tellement qu’elles deviennent des symboles. Le Père Noël en est un. Au début, l’astronaute largué dans un coin était ma signature. Ils sont tous devenus des symboles, des phrases : Le Père Noël est pour moi devenu le bonimenteur, le charmeur… L’astronaute, le voyageur, l’artiste. Comme je suis dans la simplification, mon travail est devenu davantage photographique, avec plus de portes ouvertes. Avant, je voulais tout dire à la fois. A Banne, le contact avec les autres m’aura été très bénéfique. Car j’ai vu des choses qui me permettront de faire des effets sur la matière brute. J’attends cette « rencontre » dès que je vais rentrer. Peut-être sera-t-elle pertinente entre mes images qui sont du genre photos glacées, et du bois proposant des aspérités, ou d’autres matériaux. A voir…

 

       J. R. Mais vous ne serez plus du tout, alors, dans le monde de la construction intellectualisée à partir d’une idée. Mais dans celui où les mains vont jouer un grand rôle. 

          N. S. : Ne croyez pas que je vais larguer aussi facilement mon cerveau ! Je vais essayer de le garder et de conjuguer mes mains et mon cerveau ! 

 

          J. R. : Je voudrais en revenir à la notion de paradoxe, du moins dans les œuvres que vous avez apportées à Banne. Si je prends cet explorateur donquichottesque, et cette image « Je consomme donc j’essuie » les deux ne me semblent pas du tout appartenir au même registre. 

          N. S. : C’est bien Don Quichotte. Différentes au premier abord en effet. Mais je crois que l’une ne va pas sans l’autre. Que l’une est la récréation de l’autre. C’est une série assez récente où beaucoup de photos peuvent sembler narratives, parce qu’elles ont été travaillées en ce sens. Pour cette série, j’ai voulu absolument oublier mon travail d’édition, et faire ce que j’avais envie de faire. Mais beaucoup de gens m’ont suggéré que je devrais en faire un livre, du genre « Blagues salaces »… Finalement, ce qui devait dans mon cheminement le moins ressembler à un livre, va sans doute finir comme tel… Voilà des boucles qui n’arrêtent pas de se croiser…

 

         J. R. : Sur certaines de vos œuvres, vous traitez un sujet avec des rythmes qui pourraient sembler un peu neutres. Par contre, quand vous employez une maxime dénonciatrice de notre civilisation, alors que votre image est déjà très évocatrice puisqu’elle propose un grand nombre d’objets de consommation, ne pensez-vous pas qu’à ce moment-là, le texte fait redondance avec l’image ?

          N. S. : Non. Pas si je suis lu par un Italien, un espagnol ou un Portugais… J’ai trouvé cela drôle. J’étais content de mon titre, et je voulais qu’on le voie sans se dire que c’est du salace… J’avais envie en un mot, de mettre les pieds dans le plat. Je vois que c’est fait. 

 

          J. R. : Je vous entends beaucoup prononcer le mot « salace ». Pouvez-vous donner quelques-uns de vos titres que vous pourriez qualifier ainsi à brûle-pourpoint ? Et expliquer cette résonance typiquement anar, que vous leur donnez, si ce mot vous convient, quand vous parlez de « Têtes de culs », etc. 

          N. S. : Non, je dirai plutôt « de mauvais goût ». J’aime beaucoup le kitsch. Mais dans cette série je n’ai pas de titres évidents. Il n’y a ici que des petits bouts « Monsieur fuit en auto », « Je consomme donc j’essuie », « Papier mouche »… 

 

          J. R. : Qu’aimeriez-vous ajouter à notre entretien ?

         N. S. : Que j’espère que l’essentiel reste à venir. Que j’ai rendez-vous avec la matière… Et que je voudrais surtout ne jamais tomber dans le système ! 

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DU FESTIVAL DE BANNE 2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.