PEPE DONATE

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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          Jeanine Rivais : Voulez-vous nous dire quelques mots pour vous situer, expliquer comment vous en êtes venu à cette forme d’art ?

     Pepe Donate : Mon art est une continuation de l’Expressionnisme espagnol. J’aime beaucoup tous les peintres de notre histoire, comme Goya ou plus près de nous Saura. D’une certaine manière, j’ai intuitivement mélangé tous leurs styles, en y ajoutant celui de l’Art rupestre. J’aime beaucoup retrouver tous les arts primitifs.

 

          J. R. : Mais par rapport à l’Art primitif qui était extrêmement plat, votre peinture est un travail sur la matière, avec une profondeur.

         P. D. : Mais l’artiste primitif dans la grotte avait une parfaite utilisation de la matière, des formes, de la pierre qu’il a employée pour donner corps à ses créations! 

 

          J. R. : Bien sûr, mais lui exploitait l’élément naturel sur lequel il appuyait sa peinture, tandis que vous, vous créez ce fond. La première évidence dans votre œuvre est que vous êtes « un matiériste » ? 

           P. D. : Oui. Mais j’utilise esthétiquement l’Art primitif avec absolument les mêmes scènes, les mêmes « ressentis » ; parce que les formes me donnent ce que je veux : les animaux qui se retrouvent dans mon œuvre sont pour moi immuables, une sorte de mur sur lequel appuyer ma vision du futur. Les animaux ne sont pas pour moi une question positive. Au contraire, ils sont complètement négatifs par rapport à ma vision positive. Je n’ai une vision optimiste ni de moi ni du futur. 

 

          J. R. : Vous voulez dire que ce que vous avez voulu montrer, c’est la violence entre les animaux qui symboliseraient les hommes ?

         P. D. : Oui, bien sûr. C’est même très évident. J’ai voulu reconquérir les mystères de la Création. Je suis athée, je ne crois pas en Dieu. Mais mythologiquement,  peut-être Dieu a-t-il fait la Création. Ce serait là ma vision optimiste. Ma pierre, dans cette composition est couleur de mort, de la matière en décomposition, etc.

 

          J. R. : Ce qui me semble tout à fait impressionnant, c’est, j’y reviens, votre travail sur la matière, le temps que vous devez passer en jouant des surimpressions... Et le paradoxe : ce travail, dont vous dites qu’il est très noir, très pessimiste, l’est effectivement du fait des couleurs morbides. Néanmoins, l’ensemble génère une impression de vie : votre Dieu peut être un soleil que l’on retrouve de façon récurrente sur vos toiles. Vos animaux (qui ressemblent à des mouflons, bien que vous affirmiez qu’il ne peut s’agir d’animaux réels) bondissent en même temps ; et cohabitent avec ce qui ressemble fort à des chiens. Certes, vous avez placé un cadavre dans le coin. Mais le cadavre fait partie de la vie. Et, autre paradoxe que je trouve remarquable, c’est qu’avec ces animaux aux statures extrêmement raides, vous placiez les pattes de telle façon que le spectateur a là encore une impression de mouvement.

          P. D. : Peut-être, oui. Il est vrai que j’aime la matière. Elle m’intéresse par ses vibrations. Parce qu’il est très difficile dans ma culture de trouver une limite concrète. Comme dans la nature où il est impossible de trouver des délimitations. De même n’y a-t-il pas de délimitation entre la vérité et l’aventure. Toute chose est une part de son contraire. Vous avez raison, en cherchant à démontrer que, malgré ce que je viens de dire, il se produit dans mes œuvres une sorte de vibration de la matière. 

 

          J. R. : Il semble, et c’est assez surprenant, que vous ayez deux parties dans cette création : Certains tableaux que l’on pourrait en effet rapprocher des peintures rupestres à cause de la violence et de l’absence de complicité entre les personnages. Et puis, une autre partie, où votre personnage duel est partagé de façon très symétrique par une colonne vertébrale évidente ; qui est un peu poisson du fait de ses bras-nageoires, un peu homme parce qu’il en a la tête ; un peu animal parce qu’il a en même temps des griffes. Vous avez fait là un travail extrêmement sophistiqué, précis, plus « narratif » que le précédent.

          P. D. : Sans doute. Vous avez raison. Avec le taureau, c’est autre chose. Mais vous pouvez voir que la délimitation de l’être n’est pas très concrète. Il faut lui donner cette espèce de vibration de vie, même de légende. Ainsi, pour ce corps que l’on voit, il s’agit des couleurs de l’arène, du sang, de la course de taureaux. Sol y sombre. Le taureau, c’est la vie, c’est la mort. Le taureau, c’est le masque, mais c’est aussi la femme. Le torero, c’est le tueur, mais c’est aussi parfois le tué. La course de taureau est un champ d’expérimentation absolument fantastique. J’aime beaucoup la corrida, malgré la cruauté des scènes. C’est pour moi une contradiction car dans les courses de taureaux, j’aime voir la cruauté. C’est une recréation des Parques de la Mythologie. Mais au lieu de couper la vie avec des ciseaux, je le fais avec une allumette et l’homme a l’air absolument débile.

 

        J. R. : Je voudrais revenir sur l’aspect sexuel de votre travail. Alors que sur certaines œuvres, vous dessinez souvent des scènes de copulation ; sur d’autres, chaque personnage est seul. Cependant, si on le regarde, il donne l’impression d’être en fait hermaphrodite… D’avoir, en évidence, deux sexes.

         P. D. : Non. Ce n’est pas un sexe, c’est un enfant en train de naître. Ce n’est pas une allusion sexuelle, c’est seulement l’aspect fort de la vie. Je pense que si Dieu existe, c’est la Femme. Et alors, la vie est aussi la mort.

 

          J. R. : Vous êtes de nouveau, avec cette naissance, dans un paradoxe : vous dites qu’il s’agit d’un homme. Or, il a tous les attributs de la femme. Que vous le vouliez ou non, c’est un sexe. Or, ce sexe est en évidence pour montrer l’extrême jouissance que prend ce personnage à en torturer un autre tout petit…

         P. D. : Non, pas par là ! C’est une interprétation que j’ai pour la vie, la mort. J’ai fait des séries de poètes perplexes et de poètes masturbateurs. Pour moi, les poètes perplexes sont ceux qui, dans leurs poèmes montrent de la compassion pour les mystères de l’univers. Les poètes masturbateurs sont ceux qui sont uniquement attentifs à la figure, à la couleur, à la rime, la musique, etc. Par exemple, un poète masturbateur serait Garcia Lorca. Un poète perplexe pourrait être Fernando Pessoa. Un poète que j’aime beaucoup, est l’Espagnol du XVIIe siècle, Dom Luis de Gongora. Il a écrit sur la solitude.

 

         J. R. : Comment alors vous définissez-vous ? Diriez-vous que vous êtes un poète un peu onirique ? Un peu militant à cause de cette façon de craindre la fin du monde ? Comment définissez-vous votre travail ?

         P. D. : Comme une approximation du mystère de la vie. Avec la conscience de mon absolue perplexité à son égard. 

 

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DU FESTIVAL DE BANNE 2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.