ROGER FERRARA

Texte de JEANINE RIVAIS

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Toutes les œuvres de Roger Ferrara ont une géographie commune, un « lieu » sans définition sociale, sans géométrie ni perspective. Là, sur le devant de la scène, se serrent jusqu’à être répartis dans des compartiments différents pour multiplier les combinaisons, jouent, prient, admirent leurs fleurs, caressent leurs animaux… des groupes de singuliers individus. Ils ne se regardent pas, parce que tous leurs regards convergent vers un même point situé droit devant eux. Ils « posent », dans l’attitude faussement naturelle des gens qui, face à l’appareil, attendent la sortie « du petit oiseau ». Etranges instantanés de non moins étranges figures stylisées, intemporelles, conçues en des tailles différentes, mais toutes se ressemblant comme issues d’une même appartenance : têtes à l’ovale accentué, sourcils et nez d’un seul trait en V fermé, yeux lourdement fardés. Quant aux lèvres, elles se conjuguent en trois variantes : romantiques, en trèfle à quatre feuilles ; fendant le visage d’une ligne pour y créer, selon la courbure, une expression dubitative ou souriante, insolente ou timide ; vulgaire, « en cul de poule », pour manifester l’horreur ou le désaccord ! Le crâne est chauve ou coiffé de bigoudis, bicornes, chapeaux de cotillon, inénarrables calottes, voire coiffes d’Indiens ou de cérémonial aztèque…

Et tout ce petit monde peint sans souci de réalisme mais incontestablement humanoïde, est doté de corps-bouteilles généralement dotés de membres inférieurs. Sans bras, par contre, ou alors tronqués, minuscules, soudés perpendiculairement au tronc. Est-ce parce que leur géniteur admet qu’ils puissent aller quelque part ; mais que, les plaçant là, contemplatifs, il ne voit pas l’utilité des bras ? Pourtant… au fil des ans, quelques-uns ont « poussé », semblent même devenus « opérationnels » ; et leurs possesseurs les mettent à profit pour s’envoler à dos d’oiseau ; faire des galipettes à la queue-branche de quelque bizarre volatile… Faut-il voir là, chez Roger Ferrara, le signe d’une ère nouvelle encore à ses  prémices, ou d’un désir de « liberté » de la part de quelques trublions ? Encore que la « majorité » demeure sans ambiguïté dans cette osmose évoquée plus haut ! Et, au fond, pourquoi voudraient-ils s’en libérer, eu égard à la grande attention que leur porte leur concepteur ? Leurs vêtements richement ouvragés témoignent, de sa part, d’un éminent souci d’ornementation : pictogrammes répétitifs devenant de fantaisistes sarabandes ; carrés coupés par des diagonales, telles les frises enfantines qui, autrefois séparaient les jours d’école ; boules empilées ; losanges ; sinusoïdes… fleurs à profusion, fleurs-fleurs, fleurs-têtes, fleurs-papillons… et mille petits détails saugrenus et savoureux par leur naïveté : cravates-sucettes ; bavoirs-ectoplasmes ; cerfs-volants-cœurs… Tout cela s’accumulant, s’entrecroisant, pour donner aux œuvres de Roger Ferrara, une connotation à la fois baroque, humoristique, insolite et pleine de tendresse. 

De puissante sollicitation, aussi ! Car soudain, alors que, jusque-là, il ne s’était préoccupé que des détails racontés au long de ces « pages » de plâtre ou de bois dont les accidents, les griffures, les couleurs douces et la texture surannée lui rappelaient quelque vieux livre mille fois relu oublié depuis longtemps dans son grenier, le visiteur s’aperçoit qu’il a quitté son monde ; qu’il est entré dans un univers fleuri et vibrant de chants d’oiseaux : que sans y prendre garde, il a pénétré dans le jardin enchanté des petits allochtones qui l’avaient si fortement intrigué… Et réalise que c’est LUI qu’ils dévisagent, accourus d’un même élan, côte à côte, jouant, caressant leurs animaux… se demandant sans doute si cet étranger apparu inopinément dans leur conte, saura y trouver un rôle ? 

 

CE TEXTE A ETE ECRIT APRES LE DU FESTIVAL DE BANNE  2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.