ROBERT DESNOUX

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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Jeanine Rivais : Comment définissez-vous votre travail ? Diriez-vous que ce sont des peintures en relief, ou des sculptures plates ? 

Robert Desnoux : Ni l’un ni l’autre, en fait. Picasso disait : « Si je peins, c’est que je ne peux pas te parler ». J’ai bien compris cette idée. Et c’est mon cas. D’autant que vous me prenez à froid, que je n’ai pas eu le temps d’y penser ! Que pensez-vous des titres de mes tableaux ? 

 

J. R. : Si je les ai bien compris, vous tenez absolument à faire une œuvre militante ? Au moins de dénonciation de notre monde contemporain ?

R. D. : Voilà. Si je fais de la peinture, ce n’est pas pour décorer, faire joli, utiliser à tout prix certains objets. C’est pour dénoncer à tout prix.

 

J. R. : Il me semble que dans votre façon d’exprimer cette volonté, vous n’avez sur vos supports verticaux, que des personnages de profil.

R. D. : Non, certains sont de face.

 

J. R. : Pas vraiment, car le regard est toujours latéral. 

R. D. : En effet, oui. Celui-ci s’intitule « D’où vient ce vent dans nos veines ? » 

 

J. R. : Expliquez-moi ce titre. D’où vous vient une telle idée ? 

R. D. : De moi, bien sûr ! C’est le vent qui pousse mes deux personnages, l’homme et la femme, à se regarder. 

 

J. R. : Quand vous dites « le vent », faut-il le considérer symboliquement ? Dans ce cas, n’est-ce pas un peu désespéré, de supposer que si un élément extérieur n’intervenait pas, ils ne se regarderaient pas ? 

R. D. : Oui, ces mots sont bien sûr à prendre symboliquement. Et c’est vraiment désespéré. Mais, à supposer qu’il n’y ait aucun élément extérieur, ils se regarderaient forcément, parce que c’est le vent qui vient de l’intérieur d’eux-mêmes. 

J’ai beaucoup de mal à parler de mon travail…

 

J. R. : Regardons ensemble l’oeuvre qui est devant nous, qui me semble moins tracassée dans la mesure où les personnages semblent plus…

R. D. : Carnavalesques ?

 

J. R. : Non. Ce qui vous fait dire carnavalesques, c’est l’existence des masques ? Moi je pensais « plus épanouis » ?

R. D. : Ces masques symbolisent tous les gens qui sont isolés, différents… C’est cette différence que je veux expliquer. Le titre en est « Et c’est du vent qui les aveugle ». Je veux montrer comment nous vivons tous dans des milieux aveugles, avec des gens qui ne se regardent pas, qui n’acceptent pas les différences. En réalité, cela va plus loin… 

 

J. R. : Vous parlez de différence. Est-ce ce qui vous fait désorganiser complètement vos personnages ? Je ne veux pas dire que vous auriez dû les faire réalistes ; mais qu’ils sont complètement disproportionnés. L’un a une tête bien épanouie et un corps « taillé à coups de serpe » ; des bras immenses supportent une autre tête ; un autre… 

R. D. : Nous avons là tout le jeu de la peinture : pour qu’une chose soit grande, il faut en mettre une petite à côté. Il n’y a pas que l’idée dans ma peinture. Des idées, on peut en avoir tous les matins en allant aux toilettes. Ce n’est pas le problème. Après, il faut que ce « soit » de la peinture, que « ça marche », que ça se déchaîne, que les mises en scène correspondent. Que tout soit en accord, l’échelle, la mise en page, la lumière, le mouvement…

 

J. R. : Si je considère les deux douelles que vous avez mises côte à côte, sur lesquelles sont placés ces deux personnages inspirés par le vent, il me semble que ce tableau comporte le personnage dans le personnage, dans… de haut en bas ou de bas en haut. Soit il jaillit, soit il retombe… Ceci dit, ils semblent complètement interdépendants. Chacun semble être une sangsue sur le corps de l’autre…

R. D. : Oui, bien sûr. Puisque c’est un homme et une femme…

 

J. R. : Quand vous procédez ainsi, est-ce que vous choisissez le format pour vous imposer une certaine rigidité ?

R. D. : Oui. Et en fonction du format, je peins ce qu’il faut. C’est le format qui s’impose.

 

J. R. : Donc, la forme prime le fond. 

R. D. : Le format dirige, comme on dirige la composition. Dans l’esprit, non ; mais picturalement, c’est sûr. Après, l’esprit, c’est autre chose. Pour en revenir à lui, je veux redire qu’il s’agit bien pour moi de dénoncer. Pour moi, c’est la fonction de la peinture.

 

J. R. : Il est évident que vous êtes peintre. Mais par moments, il me semble –vous avez cité Picasso, tout à l’heure, ce n’est pas innocent- que souvent vos compositions ressemblent à certaines des siennes. Est-ce parce que vous avez besoin d’un référent ?

R. D. : Non. Le problème n’est pas là. C’est comme pour les Grottes de Lascaux ou d’Altamira, de tout le Haut Moyen Age, où le problème a été le même, jusqu’à Picasso. Le problème tient à la façon de s’exprimer en fonction du contexte social, économique, etc. Pour l’homme préhistorique, comment proposer ses fresques sur des parois… Picasso s’est heurté au même problème, et l’a résolu de la même façon. Avec une écriture différente. Et je suis à mon tour confronté au même problème. J’ai été l’élève de Bertol aux Beaux-arts, de Roger Blin en composition et Etienne-Martin en sculpture. Ces hommes m’ont montré cette continuité qui doit exister dans les éléments d’une création. J’ai la même préoccupation qu’eux. Le reste ne m’intéresse pas. 

 

J. R. : Justement, puisque vos oeuvres sont tellement structurées, (allant même parfois en trois dimensions, même si elles sont relativement plates), je voulais vous demander si vous êtes également sculpteur ?

R. D. : Elles ne sont pas plates. Et il est un élément que j’ai oublié, c’est l’espace. Mes œuvres tournent dans l’espace.

 

J. R. : Ce que j’entends par « plates » c’est un découpage sur un fond. Et l’impression de relief vient de la peinture… 

R. D. : Oui. La relation entre la couleur et la forme. 

 

J. R. : Vous m’avez parlé d’un toit que vous venez de couvrir, de travaux que vous avez effectués récemment, qui sont peut-être agréables, bien que pénibles ; mais en même temps très formateurs. N’y a-t-il pas, par ces ajouts d’objets du quotidien, (et cette question n’est nullement péjorative), un côté tâcheron dans votre création ? Toutes ces besognes n’interfèrent-elles pas avec votre création ? Sont-elles à l’origine de votre côté militant ?

R. D. : Oui, en partie. J’ai fait mes études à Paris. J’y ai fait quelques expositions. Puis j’ai tout laissé tomber là-bas, et je suis revenu dans la région voici quatre ans. Depuis, je peux me colleter à n’importe quels travaux. C’est un choix de vie que j’ai fait. 

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DU FESTIVAL DE BANNE 2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.