CHRISTOPHE LACHIZE

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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         Jeanine Rivais : Question habituelle : Comment en êtes-vous venu à cette forme de création ?

      Christophe Lachize : J’ai été photographe, dans une vie antérieure. Mais j’étais très frustré…

 

          J. R. : Vous semblez bien jeune, pour parler « de vie antérieure » !

          C. L. : La mienne remonte à il y a trois ou quatre ans ! La photographie ne me satisfaisait pas. Faire des tirages en noir et blanc, était agréable ; mais d’une banalité et d’une répétitivité incroyables. Les formats carrés, brillants, ras le bol ! Il me manquait vraiment quelque chose. Je suis donc allé piocher dans de vieux procédés photographiques. Un des premiers procédés que j’aie travaillé, c’est de la gomme micromatée. C’est de la gomme arabique avec des colorants. Mon cheminement a consisté à travailler autour de la terre. Mon sujet est donc l’arbre ; le support, de la faïence blanche, mate, très belle pour ce procédé. Les colorants que j’emploie sont des oxydes de fer, rouges, noirs, des ocres, pour obtenir ce côté sépia, toujours ancien et couleur terre. Je badigeonne cette gomme sur le support que je viens de cuire. Et je pose dessus de grands négatifs que j’ai faits moi-même. Il me faut donc des négatifs photos. Et j’expose le tout au soleil. En fait, je les fais durcir par les UV du soleil. 

 

          J. R. : C’est donc un procédé proche de la lithographie, puisque vous cachez certaines parties en mettant dessus de la couleur ; et vous laissez sécher. 

           C. L. : Je ne connais pas la lithographie. J’appelle cela une « cuisson faite », qui durcit les parties visibles. Les parties non visibles sont toujours présentes, mais je les trempe dans l’eau très longtemps. Avec un pinceau, des brosses souples, je crée des effets de flous, des trames, des diffusions. Il y a donc là un réel travail plastique par rapport à la photo que je pratiquais autrefois. 

 

          J. R. : Vous êtes toujours dans un monde végétal ? Et en automne à cause des couleurs sépias ?

          C. L. : Oui, même quand j’ai pris des oliviers en photos. Ils ont un feuillage très sobre et je cherche toujours à avoir le squelette d’arbres que je trouve intéressants parce que, comme nous, ils ont toujours de petits soucis, ils sont trop grands, trop gros, trop chauves …

 

          J. R. : Et quand vous prenez des personnages humains, ce qui semble effectivement très rare, vous les choisissez dans des situations apparemment difficiles, un peu désespérées ?

          C. L. : Pas désespérées. J’ai travaillé des positions fœtales, des situations très intimes. Je les avais faites pour une exposition sur l’intimité. J’avais eu beaucoup de mal à m’intégrer à cette exposition parce qu’à travailler sur le végétal, je n’obtenais rien. Seul le fait de travailler sur le jardin intime a déclenché le travail. 

 

        J. R. : Voulez-vous me réexpliquer comment vous faites ces effets de brume qui nous emmènent en pleine littérature du XIXe siècle ? On imagine très bien la diligence perdue dans le brouillard, avec de temps en temps un arbre que le gel fait tomber, etc. 

         C. L. : Je ne sais pas ! Mon travail consiste en fait à isoler totalement les arbres ; mais en même temps à ne pas les rendre très nets. 

 

        J. R. : Quand vous en avez plusieurs sur un même support, ce sont en fait plusieurs négatifs que vous avez collés les uns à côté des autres ?

          C. L. : Oui, pour obtenir des décalages. Parce que je ne voulais pas le paysage classique, côte à côte…

 

       J. R. : En fait, bien qu’on voie un peu les limites du négatif d’origine, vous donnez l’impression d’avoir recréé un paysage avec une perspective.

       C. L. : C’est sans doute ma vision de photographe qui revient. Je laisse apparents des papiers collants ; parfois, il y a plus d’encadrements que de paysage…

 

          J. R. : Et quand vous choisissez des fleurs seules, sont-elles, comme les carreaux de Delft, uniquement décoratives ?

          C. L. : Oui. C’est un travail qui me tient moins à cœur que le travail sur les arbres. Mais, lorsque je les ai réalisés, je travaillais sur un nu féminin, et la fleur s’y prêtait le mieux. Je fais, aussi, souvent des nus masculins au milieu des arbres.

 

        J. R. : Par endroits, vos couleurs sont beaucoup plus foncées. Est-ce pour créer par contraste, des effets de neige ? 

           C. L. : Non. En fait, je ne maîtrise pas automatiquement l’effet final. J’ai une idée de ce qui va se produire, en fonction de l’épaisseur de gomme micromatée que je pose sur la place. Mais le résultat dépend du soleil, de l’accroche de la céramique. Il y a de multiples facteurs qui entrent en jeu et que je trouve intéressants parce qu’ils vont définir le flou ou le tramé.

 

          J. R. : Jusqu’où pouvez-vous accepter l’aléatoire ?

          C. L. : Jusqu’au bout, forcément. Parfois, les plaques sont fendues parce qu’elles ont cédé à la cuisson. Ou bien j’ai serré trop fort et elles sont brisées sur les côtés…

 

          J. R. : Comment les faites-vous cuire ? Comme les sculptures traditionnelles ou seulement au soleil ?

          C. L. : Elles cuisent dans un four, bien sûr.

 

         J. R. : Nous sommes donc dans le monde de l’inattendu, de la surprise. De loin, nous voyons une très belle fleur, et puis en nous approchant, nous voyons que le cœur est une femme couchée ou un homme dans des positions assez intimes. Comment faites-vous pour intégrer ainsi vos personnages dans la fleur ?  Etait-ce une vraie fleur ? Ou l’aviez-vous dessinée a priori ?

       C. L. : Non. Tout est photographique. C’est moi qui fais toutes mes images. J’ai donc photographié une fleur, puis posé le second négatif dessus pour en obtenir un seul. Il y a un petit travail informatique à ce niveau-là. Je suis moderne dans mon temps, mais sans plus.

 

           J. R. : Etes-vous, pour des raisons techniques, obligé de rester ponctuel comme vous le faites ? Ou bien pourriez-vous envisager de raconter toute une histoire ? Et dans ce cas, comment vous y prendriez-vous ?

              C. L. : Ma démarche, c’est de créer des images qui ne seront jamais répétées. L’intimité est créée, et c’est fini. J’essaie de présenter des choses différentes à chaque exposition. Je sais que je peux travailler longuement mes arbres, mais qu’ils resteront beaucoup plus décoratifs que si je travaille sur des thèmes.

 

          J. R. : Nous sommes donc dans le monde de la décoration, plutôt que dans celui de la psychanalyse ou de la psychologie ?

          C. L. : Cela dépend. Je dirai que j’ai deux facettes. J’ai mon côté « beau » car j’aime la photographie, j’aime les belles images, les belles photos et je ne peux pas m’empêcher de les reproduire. Et à ce niveau, la réponse des gens est très forte. Par contre, quand il s’agit de « m’exprimer », la réponse est moindre. Pourtant, il faut que je le fasse. Mais sans heurt. Ainsi tous les travaux sur l’eau, sur les problèmes actuels et futurs en relation avec l’eau seront présentés de façon très ludique. J’ai déjà traité le problème de populations disparues par manque d’eau où tous portaient des bottes de pluie ou des parapluies…

 

            J. R. : En fait, vous détournez le problème : vous refusez d’être militant pour être simplement ludique ? 

              C. L. : Oui. Pour moi, c’est une forme de militantisme. Mais je ne suis jamais agressif. Le procédé me paraît toujours très doux. Il faudrait qu’il soit criard pour être agressif, mais je n’en suis pas là. 

 

          J. R. : Je parle très rarement de mon travail, mais je sens entre votre travail et le mien une conformité de démarche qui m’amène à l’évoquer : je réalise des livres en terre dont les pages, très fines, craquent parfois. Et le jeu consiste à assumer ces cassures comme on accepte de recoller les déchirures d’un vieux livre déniché dans un « vide-grenier». Or ; je vois que vous aussi acceptez les cassures. Pour vous, elles ne posent pas non plus problème ?

          C. L. : Non. J’aime bien utiliser ce qui m’est donné. Je ne suis tout de même pas comme certaines personnes qui récupèrent tout ; mais je récupère toujours ce que je brise. 

 

         J. R. : Et une fois que vous avez ainsi récupéré les bris, vous arrive-t-il de les recoller différemment pour faire un nouveau tableau ? Il me semble qu’alors, vous arriveriez à une sorte de non-sens qui changerait de toute cette sagesse que vous avez posée sur le mur ?

          C. L. : Je ne l’ai pas encore fait. Mais il m’arrive de penser que je pourrais le faire. Serais-je pour autant moins sage ? 

 

          J. R. : Voulez-vous ajouter quelque chose que nous n’aurions pas traité, en parcourant votre travail ?

          C. L. : Non. D’ailleurs j’ai parlé plus que cela ne m’était jamais arrivé ! 

 

          J. R. : En conclurai-je que j’ai de la chance ?

          C. L. : Non, c’est tout simplement que vous arrivez bien à faire parler les artistes. Et que je me suis senti en confiance.

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DU FESTIVAL DE BANNE 2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.