DICAN SKI

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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          Jeanine Rivais : Voilà un drôle de pseudonyme. Pouvez-vous l’expliquer ?

          Dican Ski : C’est en effet Dican Ski comme le ski. En fait, c’est Dican où le C est entouré d’un petit rond comme dans « copy-right » ! Cela symbolise mon attachement à l’imprimerie, aux caractères graphiques qui sont une partie de ma personnalité. 

 

          J. R. : Parlez-nous maintenant de votre création. Avez-vous toujours peint ce monde un peu christique, orthodoxe ?

           D. S. : Non. J’ai toujours dessiné et fait de la musique. Pour moi, c’est la même écriture. J’ai commencé à peindre des choses fantastiques, avant les Beaux-arts. Puis j’y suis entré et j’ai appris à dessiner. Je suis parti dans des collages… La thématique spirituelle varie un peu selon les années… 

 

          J. R. : Quand vous changez de sujet comme vous semblez le suggérer, comment en revenez-vous toujours à une thématique aussi éminemment connotée ?

            D. S. : J’ai commencé à percer dans les années 80 où je faisais partie de la Figuration libre qui est toujours anecdotique. Ce sont des peintures de rues, des petits Mickeys, de l’humour… J’ai voulu faire quelque chose de plus solennel. Il y avait longtemps que j’avais envie de travailler sur le thème des icônes. J’ai donc réactualisé l’icône, en lui enlevant son caractère un peu trop grave et en mettant une touche de douceur : les fonds sont donc très chargés ; et ces visages iconiques sont un peu des havres de paix dans le tumulte. 

 

              J. R. : Ce faisant, vous n’êtes pas dans le monde rutilant des iconostases. Mais dans celui des icônes familiales, longtemps touchées, usées, dont il ne subsiste parfois que des fragments…L’icône humble, celle des petites gens…

          D. S. : Oui. En même temps, je suis fasciné par le temps qui passe. J’ai donc voulu introduire cette idée : ce sont alors les fresques, Pompéi, les sarcophages, les peintures murales cubaines qui s’effritent le long des rues… 

 

          J. R. : Il y a cependant plusieurs aspects dans votre travail : Si nous considérons les quatre saints que vous intitulez « Artfund of Palma »…

            D. S. : Ah oui, ce sont de fausses affiches. C’est un clin d’œil portant sur de faux lieux avec de faux noms. Je trouve cette démarche amusante.

 

          J. R. : Mais dans ce cas, si vous voulez être un peu ironique, étiez-vous « obligé » de mettre des saints ? Il me semble que le titre est paradoxal par rapport à l’image ?

           D. S. : Oui, mais nous sommes des humains, avec des côtés sérieux et des côtés « fun ». J’aime mettre une touche ironique, mais sans que ce soit l’essentiel de l’œuvre. Il s’agit de désacraliser un peu le côté spirituel. Je trouve que cela est trop sérieux, et si on rend le sentiment trop sérieux, il perd de son sens, il perd en humanité. 

 

          J. R. : Ces croix que vous avez peintes sont des croix coptes ?

          D. S. : Non. En fait, ce sont évidemment des croix, mais je préfère parler du signe « plus ». La croix est connotée, il y a dans son symbole trop de souffrance. Et ce n’est pas ce qui m’intéresse. Je préfère donc parler de « plus » et de choses positives. 

 

          J. R. : Mais sur ce « plus » que vous voulez positif, vous avez peint des personnages aux visages gravissimes. La plupart sont même déjà à moitié délités. Si nous sommes dans la lutte « contre » le passage du temps, l’évidence est absente. 

          D. S. : Une petite fille est passée, l’autre jour, et elle a dit à sa maman : « Maman, ce sont des choses qui ont été trouvées dans les Ecuries ». Comme si c’étaient des reliques qui aient été trouvées sur place ! Cette réflexion m’a semblé super, parce que c’est exactement ce que j’aimerais faire transparaître ! Des objets du passé revisités. Des objets étranges, en fait.

 

          J. R. : J’en reviens à la notion de croix, parce que je suis persuadée que pas une personne sur mille ne va y voir un « plus ». Je crois que, comme moi, tout le monde va tomber dans le panneau ! N’y avait-il pas d’autres signes possibles ? N’auriez-vous pas pu être inventif, et en intégrer d’autres ?

         D. S. : Si. Mais je dirai que la croix est la première forme avant de passer à d’autres signes. Rien ne m’empêchera un jour de remonter les parties centrales de la croix ; ou de les  descendre… En fait, la croix est le basique. 

 

          J. R. : Il me semble y avoir un contraste saisissant entre les fonds qui sont faits à grands coups de pinceau chargé de peinture aux couleurs mélangées lancées de façon très gestuelle sur le support ; et un véritable travail d’orfèvre niellant son personnage sur ce fond un peu brut. Pourquoi ce contraste ?

          D. S. : Parce que j’aime en fait tous ces aspects, et que je n’arrive pas à me décider à faire l’un plutôt que l’autre. J’aimerais faire des choses très abstraites ; mais en même temps je suis très attiré par la figuration. Je fais donc une sorte de mixage.

 

          J. R. : Mais tout de même n’est-ce pas un manque de logique, voire de rigueur, de dire « je lutte contre cette notion christique » ; et de ne peindre que des saints et des croix ?

      D. S. : Mais je ne lutte absolument pas contre la notion christique ! Ce n’est ni du prosélytisme, ni une quelconque absence de rigueur. En fait, nous vivons une époque assez rude, qui pourrait être représentée par ces jets de peinture. Nous cherchons tous un havre de paix, et ces petites images de Christs –d’ailleurs, on peut y voir des Christs, mais ce pourrait aussi bien être Montesquieu ou je ne sais qui- pourraient les représenter. Il y a une relation avec la Renaissance qui n’est peut-être pas encore très aboutie…

 

          J. R. : J’allais y venir parce que certains de vos jaunes sont presque dorés, et évoquent les bas-reliefs de la fin du Moyen Age, les saints avec leurs auréoles, etc. En même temps, tout est sur un même plan, sans perspective, sans aucune mise en scène. Tout se passe comme si vous aviez posé ici ou là, de façon très aléatoire (mais au fait, est-ce bien aléatoire ?) un personnage. 

         D. S. : Oui. J’aime bien la magie. Je ne réfléchis pas à l’avance. Tout se construit à mesure. Cela se fait toujours dans l’urgence, car je ne quitte jamais un travail commencé. Je ne le reporte jamais au lendemain. Il est vrai que je ne cherche pas la profondeur, même si sur certaines œuvres elle est plus visible. Sans doute est-ce mon passé d’artiste d’arts appliqués qui fait que je ne cherche aucune perspective ? 

 

          J. R. : Mais quand, ailleurs, vous créez une scène, que vos œuvres se présentent comme des pulsions jetées sur la toile à un moment où quelque chose vous a tracassé, certaines ramènent malgré tout, en filigrane, le spectateur à une temporalité : l’une lui suggère en fond un château, une autre Saint-Martin partageant son manteau, etc. Il semble qu’alors, vous lui imposiez beaucoup plus ; qu’il soit obligé de prolonger votre « dit » avec sa propre culture et son propre imaginaire, certes, mais sans avoir la possibilité d’ajouter quelque chose? 

          D. S. : Oui. Et cela est très important. Ce sont deux techniques bien différentes. Et qui s’expliquent par le fait que je n’ai pas d’atelier. En fonction du temps, je travaille à l’intérieur ou à l’extérieur. L’été je travaille au bitume de Judée pour avoir ce noir avec lequel je peux obtenir des nuances que j’aime beaucoup, dans une thématique un peu hispanisante. Et l’hiver, ce sont des travaux d’impression. D’où cette ambiguïté. Mais pour moi, il y a assurément une continuité, seuls changent les matériaux. Et puis, j’ai des racines très chrétiennes, j’ai été enfant de chœur. L’influence a été forte. Et, actuellement, avec tous les problèmes internationaux, il me semble intéressant de montrer nos racines d’une part, de l’autre ce contexte de guerres de religions qui n’a rien d’anodin ! 

 

          J. R. : Je continue de penser que votre œuvre se situe vraiment dans le monde de la spiritualité, pas dans le monde du quotidien. Qu’il n’y a aucun hiatus entre ce que vous peignez et la réalité des vieilles églises où les murs se dégradent du fait de l’humidité…

          D. S. : Oui. En fait, je ne maîtrise pas tellement toutes ces idées. C’est le spectateur qui fait l’histoire. Simplement, j’enlève la symbolique « ennuyeuse », le rite. Je ne donne ni clef ni solution. A chacun de faire son histoire. 

          En ce moment, plutôt que la peinture, je fais beaucoup de collages, mais sans papier et sans colle, des sortes de décalcomanies où comme lorsque nous étions enfant, il manquait toujours un petit coin. Une sorte d’attraction, de Pop Art, de choses brutes. Je m’ennuie assez vite dans une « seule chapelle ». J’aime mener plusieurs idées à la fois.

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DU FESTIVAL DE BANNE 2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.