NICOLE RENAULT-BIDAUD

Entretien avec JEANINE RIVAIS

********************

Jeanine Rivais : Parlez-nous un peu de vous et dites comment vous vous situez dans le monde Singulier ?

Nicole Renault-Bidaud : J’ai étudié la peinture à l’école des Beaux-arts de Rouen. J’ai été professeur d’Arts plastiques. J’ai animé un atelier pour enfants avec mon mari qui est sculpteur et peintre. Toute la famille est très impliquée en art. Je m’adaptais très mal au caractère répétitif de l’enseignement qui me donnait l’impression de mourir à petit feu. J’ai quitté l’enseignement dont je pense qu’il dessèche. J’avais besoin de plus d’ouverture. J’ai monté une entreprise de décoration qui tournait autour de l’univers de l’enfant, du mobilier aux jeux et aux jouets de bébé… 

Après ces quinze ans, nous sommes parvenus encore à saturation, et je suis revenue à la peinture qui était ma première vocation.

 

J. R. : Peut-on dire, parlant de votre peinture : « la femme au quotidien » ? La femme dans ses occupations banales, qui peuvent consister à se reposer, s’occuper d’elle…

N. R-B. : Oui, dans ce qu’elle a de plus naturel, je crois. Prendre le soleil, s’occuper de son enfant, danser, rêver, s’habiller…

 

J. R. : Soit votre fille est une émule assez fidèle, soit vous êtes allée sur sa lancée, mais toutes les deux vous avez un trait commun, c’est l’énormité de vos personnages. 

N. R-B. : Je ne pense pas que nous nous soyons influencées, parce que nous travaillons à mille kilomètres l’une de l’autre. Ou très peu…

 

J. R. : C’est donc génétique !

N. R-B. : Oui, je crois ! 

 

J. R. : Même si l’on peut dire qu’il s’agit de leur quotidien, vos femmes sont toujours très coquettes ?

N. R-B. : Oui, parce qu’il faut séduire. C’est agréable de se sentir belle. Je préfère montrer la beauté que la laideur. 

 

J. R. : Cependant, elles sont placées de telle façon qu’on ne les voit jamais en entier. Elles sont la plupart du temps un peu repliées sur elles-mêmes, les jambes croisées…

N. R-B. : Pas toujours. Du moins, je n’en ai pas l’impression. Ici, il s’agit d’une série sur le thème de « la chaise ». Sinon, le corps de la femme me séduit parce qu’elle est tout en rondeurs, tout en volumes, tout en couleurs, tout en volupté… 

 

J. R. : Sur certains tableaux, vous les avez tellement structurées que vous semblez avoir découpé les différents éléments de leurs anatomies.  

N. R-B. : Oui. C’est, je le répète, une série sur le thème de « la chaise ». Il y avait donc une structure rigide, sur laquelle je devais poser mes femmes et une opposition entre cette structure et le corps de la femme qui est tout en courbes. 

 

J. R. : Il me semble que vous avez choisi la femme hors du temps, hors de tout contexte social ou géographique, hors des modes. Elle a toujours le même âge… La femme intemporelle, en fait.

N. R-B. : Oui. Je crois que c’est juste. Elle n’est ni jeune ni vieille. Ce sont surtout les situations qui me séduisent. Ce que ces femmes représentent n’est pas important pour moi. Ce qui est important, c’est de jouer avec la courbe, avec les volumes, avec les raideurs, avec la couleur. Ce qu’elles représentent est l’ « après ». L’important, c’est la matière, la couleur, jouer avec les oppositions de formes… Après, chacun trouve ce qu’il veut dans ce que je représente.

 

J. R. : Oui, bien sûr. Et chaque tableau confirme cette volonté d’être évasive, de ne situer la femme dans aucun contexte. Dans le meilleur des cas, vous la placez devant un rideau ponctué…

N. R-B. : C’est ce que j’appelle le jeu. En effet, j’aurais pu mettre des fleurs sur ce rideau, il se trouve que ce sont des étoiles. Parfois, ce sont des feuillages, elle est dans une pièce, dans une boîte…

 

J. R. : Le fait qu’elle ait ou non des bijoux pourrait-il impliquer que, malgré tout, elle est parfois d’un milieu social particulier ?

N. R-B. : Non. Si elle a des bijoux, c’est pour me permettre de jouer avec les volumes, avec les matières… Pas pour « représenter » quelque chose. Il se trouve que tel petit cou rose serait triste s’il n’y avait pas le collier, mais j’aurais pu lui mettre autre chose…

 

J. R. : Donc, pour vous, la structure, la forme priment le « dit » ?

N. R-B. : Oui, tout à fait. Ce qui m’intéresse, c’est d’être devant ma toile, de la structurer, de dessiner, jouer avec les couleurs et les matières. Avec tout de même une idée de départ. J’ai évoqué le thème de « la chaise », ailleurs, c’était le thème « du cochon ». J’ai travaillé pendant plus d’un an sur cette idée. J’ai fait des croquis. Le cochon a dévié sur le manège, puis sur des farandoles de femmes. Chaque fois, j’essaie de triturer le thème, et voir ce qui en sort…

 

J. R. : Sur un tableau, vous avez dessiné ce qui, de toute évidence, est une femme, avec une tête de vache. Est-ce une œuvre d’humeur ?

N. R-B. : Non. Ce n’est pas dans mon tempérament, et c’est beaucoup plus subtil « quand je suis vache » ! J’ai travaillé également pendant plus d’un an sur les vaches. Et puis il s’est trouvé qu’à un moment, j’ai eu envie d’en faire une. Et c’est devenu ce que vous voyez, tout bêtement ! Mais quel que soit le tableau, ce que je dessine découle toujours d’une étude préliminaire. Parce que le dessin est ma respiration. 

 

J. R. : J’allais justement y venir : en fait, deux éléments essentiels caractérisent vos femmes, le côté très linéarisé, et l’autre que vous avez déjà évoqué, leur sensualité.

N. R-B. : Oui. Je pense que je suis une coloriste. Pour moi, c’est un jeu de trouver la bonne couleur, la bonne valeur, la mettre au bon endroit. C’est ma façon de « parler », que de bien trouver la nuance. 

 

J. R. : Il est vrai que vous êtes une excellente coloriste, même. Les couleurs sont dans des harmonies parfaites, et l’ensemble est joyeux, optimiste.

Etant donné que vous avez de grosses surfaces, je parle de ces cuisses plantureuses, de ces bras énormes… quelle est votre approche ? Qu’est-ce qui fait, par exemple, que L’Orientale a une cuisse à dominante jaune, l’autre rose, et cependant qu’il n’y ait pas de hiatus entre les deux. Quelle approche avez-vous pour ainsi rapprocher deux choses qui, au départ, n’étaient pas forcément compatibles ?

D’autre part, hormis dans la série que vous m’avez appelée Hommage à Goya, le noir est très rare dans vos œuvres.

N. B-R. : L’approche est toute simple. Quand on peint, il faut juxtaposer des éléments plastiques. Si j’avais fait les deux cuisses roses, cela aurait été monotone : tout est une question de dosage, et cela se fait au fur et à mesure des rappels des autres plages de couleurs, etc. Mais cela n’est qu’une question de métier.

J’aime bien le noir, les oppositions de noirs, mais toujours tempérés par des demi-teintes, parce que je n’aime pas les contrastes bruts…

 

J. R. : Pour en finir avec cette partie de leur anatomie, à regarder double cuisse après double cuisse, force m’est de constater qu’en effet, il n’y en a jamais deux pareilles ! En déduirons-nous que vous aimez les cuisses, surtout dissemblables ! 

N. B-R. : Oui. Et il est agréable d’y penser ainsi avec humour !

 

       J. R. : Nous dirons donc, en conclusion, que toutes vos femmes ont l’air très anodin ; qu’elles sont dans leurs occupations solitaires et que, cependant il s’en dégage une grande sensualité ; mais une sensualité bon enfant…

N. B-R. : Oui, tout à fait. Du moins, je l’espère. J’aime projeter cette image. J’espère seulement que les gens vont un peu au-delà de l’image, qu’ils vont fouiller plus loin. C’est pour cela que je place souvent mes femmes dans des « boîtes ». Parce que cela me donne l’impression qu’on peut y rentrer, aller de droite à gauche, et qu’on a l’impression de « rentrer dans le tableau ». C’est pourquoi aussi, je ne mets pas de cadres, mais des bords qui prolongent la scène et permettent à chacun de rentrer un peu plus dans l’atmosphère. 

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DU FESTIVAL DE BANNE 2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.