MONIQUE LAGANIER, dite LAMO

Texte de JEANINE RIVAIS

********************

          On parle toujours de la dent qui fait mal et que l’on remet de jour en jour d’aller faire soigner. Longtemps, la dent douloureuse de Lamo eut nom : peinture. Désirant dessiner depuis l’enfance, elle a vécu comme un manque le fait de ne pouvoir s’y consacrer, pour des raisons familiales, puis à cause de ses obligations professionnelles. Un jour, à bout de souffrance, elle a jeté aux oubliettes toque et tablier, troqué ses casseroles contre pinceaux et couleurs… Voilà la dent oubliée et Lamo peintre à plein temps ! Peintre ? Certes oui, mais pas seulement. Sculpteur, en même temps, d’Art-Récup’ ; réalisant des peintures en reliefs, des sculptures plates et des sculptures tout court !

     Désormais, boulimique de créer, peignant jour et nuit, elle s’est lancée dans une aventure narrative mettant en scène un petit monde pittoresque, saisi sur le vif ; Un monde appartenant à son quotidien… transformé, enjolivé… jusqu’à tenir davantage du conte que de l’histoire banale. Progressivement, elle s’est tellement impliquée dans cette relation au jour le jour, que la psychologie s’est mise à y jouer un rôle capital : Peindre, par exemple, sa fille accroupie n’a pour Lamo, rien de dramatique, au contraire, il y a là une belle preuve d’amour. Mais peindre sa fille un jour où elle-même est triste, et voilà l’enfant bossue… Pire, elle perd dans l’esprit du peintre sa connotation filiale, devient une Nigériane sur le point d’être lynchée, tandis que sur une œuvre voisine, avance comme un raz-de-marée, la foule, avec en premier plan, une manifestante hurlant à pleins poumons. Le plus émouvant est alors cette victime, seule, recroquevillée sur elle-même, tenant entre ses mains crispées un minuscule oiseau. Et sa bosse porte désormais toute la misère du monde.

          Bien sûr, ces envolées lyriques ne sont pas monnaie courante. Et même si, parfois, Lamo est entraînée au-delà de sa pensée première, en fait, elle se sent bien, surtout, quand elle « reste chez elle » ; qu’elle participe à La tuade du cochon… qu’elle réalise en buste ou en pied des portraits individuels (clown, fillette…) ; ou des groupes dans lesquels les protagonistes présentent un incontestable « air de famille » : nez volumineux entre des yeux ronds et perçants aux pupilles noires ; bouches minuscules, réduites à un O souvent tordu ; cheveux raides dressés sur des crânes en forme de poire ; vêtements sans âge, sans connotation sociale. Parfois, poussée peut-être par une intention fictionnelle –à moins que le conte ne se mue en fable et que la morale n’entre en jeu—les visages sont animaliers. Lourds becs et yeux exorbités de rapaces ; mufles canins ; têtes de pandas… surmontent alors, ni embellis, ni déformés, des corps qui, eux, restent humains. Ou bien, inversement, l’anecdote redevient conte avec l’intervention d’un monde carrément animal, comme cette télévision explosée sous l’action conjuguée de chats multicolores ; comme cette basse-cour ("Le poulailler à Lamo") où une bande de poules tiennent salon… 

          Car l’humour est parfois très présent, très noir, dans l’œuvre de Lamo. Surtout lorsqu’elle montre les travers de ses semblables. Du marin en goguette sale et barbu, à la ménagère en robe-sac sans grâce et aux gros croquenots éculés, rapportant ses provisions dans un filet, ou au couple (Salut) en train de picoler, vautré dans des fauteuils… elle semble octroyer peu de sympathie, du moins peu de complaisance à cette gent marginale et improductive. Par contre, elle accorde manifestement le plus grand respect aux travailleurs, comme ce mineur avec sa pioche, où l’on sent le pinceau passé et repassé pour nouer les muscles dans l’effort, dire les plis du pantalon, le désarroi des yeux dans le visage noirci…

          Narrer, montrer, dénoncer… Ainsi Lamo avance-t-elle, dans sa facture un peu naïve. Soucieuse de dire. Trop soucieuse, peut-être car cette artiste est comme tous les créateurs qui se veulent militants : à force de vouloir refaire le monde, l’action de peindre passe au second plan. Nul doute qu’au fil des années, elle sentira que la grande peinture n’a pas besoin de prouver. Qu’il lui suffit d’ « être », pour « dire ». En attendant, cette œuvre est éminemment sympathique, la vocation de la créatrice incontestable et il sera agréable et intéressant de la suivre.

 

CE TEXTE A ETE ECRIT APRES LE DU FESTIVAL DE BANNE  2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.