MOUSSA DIAKHITE,dit PACO

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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          Jeanine Rivais : Pouvez-vous nous dire qui vous êtes, et quel a été votre itinéraire artistique ?

          Paco : Je suis artiste sénégalais. Je suis né au sud de la Casamance, et je fais du batik depuis une quinzaine d’années.

 

          J. R. : Expliquez-nous ce qu’est « le batik » ?

          P. : C’est une technique de teinture du tissu avec de la cire et des couleurs. Je chauffe la cire, et avec la cire chaude et un pinceau, je fais mes dessins. 

 

        J. R. : En fait, la cire remplace le crayon ?

          P. : Oui. Elle permet de maintenir les couleurs à l’intérieur du dessin. Cela empêche que la teinture dépasse sur les parties que je veux garder vierges. Ensuite, j’emploie des pigments que je fabrique souvent moi-même, ou bien que l’on vend dans le commerce. Je fais un mélange des couleurs de terre et de celles que je crée.

 

          J. R. : Comment appelez-vous ces grands dessins muraux que vous présentez ?

          P. : Je dis « des tableaux » sur tissu.

 

          J. R. : Quand je regarde ce travail tout à fait inhabituel dans le monde de l’Art singulier, à part le tableau qui représente au centre une femme très belle d’ailleurs, et dont la présence est évidente, quel est le thème exprimé ?

          P. : C’est la case de la tradition. Mariage, vie en famille, etc.

 

          J. R. : Dans ce tableau, donc, et vous justifiez mon impression, je vous trouve fidèle à vos origines. Mais quand je vois les autres, je les trouve plus occidentalisés, même si je retrouve les symboles qui se rapportent à vos traditions, comme le poisson, etc.

Comment vous situez-vous par rapport à votre tradition sénégalaise et africaine ; et par rapport au monde occidental où vous semblez vivre. 

          P. : Je voyage beaucoup. Je découvre beaucoup d’artistes sur mon chemin. J’ai l’esprit ouvert ; et je suis prêt à accepter des idées nouvelles qui élargissent mon champ de création. Pour moi, cet autre tableau représente la Fécondité. Je l’ai fait en Afrique. D’autres ont été faits ici. Donc, ce sont chaque fois des tableaux différents. 

 

          J. R. : J’ai bien compris cette double origine. Dans l’un et l’autre cas, les couleurs sont très belles. Je vois sur l’un un cercle qui pourrait être à la fois la terre et un visage ? Et un personnage un peu couché au-dessus. Comment reliez-vous les deux ? J’aurais envie de parler de Picasso à propos des deux bougies dans le visage… 

          P. : C’était, en effet, un hommage à Picasso. Et je l’ai fait en collaboration avec ma femme. Il s’intitule "Niama-Niama" (¹) et représente les problèmes au quotidien. 

 

          J. R. : Une autre œuvre, que vous avez faite me semble plus abstraite. On retrouve certes, le poisson, mais les visages sont complètement perdus dans des détails qui pourraient être végétaux ?

          P. : Oui. Mais en fait ce sont des pensées qui me viennent quand je suis en Europe. Je vois les Africains, comment les gens vivent au Sénégal, des êtres qui ont faim… C’est un tableau de souffrance. 

 

          J. R. : Pourtant, c’est un des tableaux les plus colorés, aux nuances les plus harmonieuses. Donc, pour vous la souffrance est dans les sujets peints et non dans la couleur ? Il y a un paradoxe ?

        P. : Oui. Un contraste. C’est pour cela que je l’ai appelé World*. Ce n’est pas seulement l’Afrique. C’est le monde. A travers le monde, il y a la lumière, l’obscurité… Les couleurs se sont présentées d’elles-mêmes pour exprimer toutes ces nuances. 

 

          J. R. : Lorsque un autre tableau est dans des couleurs violines beaucoup plus dures que les précédentes, est-ce encore pour exprimer ce monde et ses nuances ? Mais vous n’avez là que des amorces de personnages, comme si en fait, ils n’arrivaient pas à trouver leur personnalité…

        P. : Oui. C’est "le Cercle de la Paix". Dans le monde où nous vivons, beaucoup de gens ne peuvent pas s’exprimer. Il y a le cercle, et derrière le cercle. Deux mondes qui ne peuvent pas communiquer. 

 

          J. R. : Vous définiriez donc ceux qui sont au centre comme « les Heureux », les nantis ;  et à l’extérieur, ceux qui se débattent dans les difficultés ? Nous en venons alors à la notion de militantisme ? En fait, pour vous qui avez quitté vos racines, et qui vivez en Europe, il s’agit de témoigner que vous restez sensible à la misère du monde ?

       P. : Oui. C’est cela ma pensée, ce qui me fait créer, vivre. Je ne peux pas croire que le monde vive sans le monde des arts.

 

          J. R. : Mais comment vivez-vous en Europe ? Vous êtes étudiant ? 

          P. : Non. Je suis autodidacte. Je viens d’arriver en France. Je suis marié à une Française. Je peins. Je fais aussi des tee-shirts que je vends pendant mes expositions. J’évolue un peu.

 

          J. R. : Revenons à Picasso. Pourquoi Picasso ? Même s’il a été très féru d’Art primitif, des milliers d’autres artistes ont manifesté un attachement beaucoup plus grand à la Casamance ? 

          P. : Oui… Mais celui qui me « donne » le plus, c’est Picasso. Son œuvre est tellement forte ! Je ne saurai pas vous dire pourquoi, mais c’est quelque chose que je ressens très profondément. Je l’exprime dans ce que je fais. En regardant ses œuvres, je me suis dit que je pouvais faire un petit bout de chemin vers lui. Pour lui rendre hommage. Parce que dans la vie, il a été tellement créatif.

 

          J. R. : Pour terminer, qu’aimeriez-vous ajouter à ce que nous venons de dire ?

          P. : Je pense que nous devons parler de choses importantes, par rapport aux autorités. Que nous devons réfléchir, essayer d’être ensemble, de communiquer. Parce que toutes ces divisions, aujourd’hui, sont liées à l’absence de communication. Si tu ne communiques pas, tu fermes ta porte, tu as peur de l’autre. Alors qu’il faudrait créer une relation beaucoup plus forte que celle qui existe actuellement. Il faudrait que le monde soit uni, que l’on respecte les autres, les femmes en particulier.  

 

(¹) Traduction phonétique du titre du tableau :  World =Monde.

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DU FESTIVAL DE BANNE 2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.