MONIQUE LE CHAPELAIN

Texte de JEANINE RIVAIS

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      Lorsque  échappée à la tornade qui a ravagé sa maison elle s'endort, le film passe à la couleur, et la fillette se retrouve dans les jardins remplis de fleurs du Magicien d'Oz ! Là, commence l'aventure... C'est celle de Monique Le Chapelain qui, à peine sortie de l'adolescence a fui le carcan familial et refait sa vie au gré de sa fantaisie ; une vie ornementée de jouets en peluche, de bijoux de pacotille, de somptueuses robes espagnoles... et de peinture. La peinture a été sa façon toute personnelle de remonter le temps vers l'enfance, vers un passé qui lui conviendrait, se créer  une vie dans des mondes parallèles !

       Des mondes, tout de même, pas si innocents qu'il y paraît ! Car la plupart de ses créatures y sont seules, statiques au milieu des fleurs. Et les rapports de force y sont évidents dès que deux "personnes" sont supposées "vivre ensemble" : la femme, déclinée sous tous les apanages de la jeunesse (gentille princesse, gente fée, belle épousée...) y  mène toujours le jeu ! Dans Le mariage de Lucifer, par exemple, titre qui pourrait être emblématique de l'humour de l'artiste, la mariée a une tête de dragon, tandis que Lucifer n'est qu'un jeune homme banal, chargé de tenir le bouquet ! L'idée du couple revient souvent, d'ailleurs, dans l'oeuvre picturale de Monique Le Chapelain, présentée chaque fois sur un mode ludique et dérisoire, dans une complicité paradoxale qui fait s'épanouir Madame Chat immense au milieu des fleurs, et se réfugier Monsieur Chat minuscule en haut des arbres ; chacun chez soi, sur  des toiles, reliées certes, mais différentes !

           Lorsqu'elle ne marie pas ses jeunes filles, ni ne les envoie au bal bien campées sur leurs jambes-fleurs, en longues robes à crinoline,  Monique  Le Chapelain traite de son  bestiaire ! Faune étrange, en vérité, pour laquelle l'artiste "sait" qu'il s'agit d'un dindon "parce qu'"il a une caroncule, ou d'un mammouth "parce qu'"il a une trompe ! Pourtant, le visiteur aurait plutôt cru voir un paon-biche au cou et à la queue démesurés, ou un oiseau puisqu'il a des ailes... Pour lui, le jeu consisterait donc à ne pas "reconnaître" l'animal, malgré le désir du peintre de le convaincre ! Mais qu'importe, au fond, puisqu'il se retrouve dans un univers multicolore d'animaux-fleurs en lévitation, où les végétaux sont si bien intégrés aux anatomies qu'ils sont crêtes, voiles ou ailes ; que les feuilles deviennent pattes raides, etc.

       C'est que, tel le Magicien, Monique Le Chapelain voyage dans l'imaginaire, "rêve" l'oeuvre à venir, redescend sur terre et peint les feuilles ! Elles sont l'élément premier de toutes ses créations. Ce sont elles qui installent raidement la scène en un  déséquilibre que contrebalanceront  les êtres "vivants", oiseaux, bêtes ou gens ! Et la créatrice se lance dans sa grande débauche de coloris, surligne les pétales, ajoute des antennes "pour communiquer avec l'au-delà", des pointillés ou de minuscules carrés pour varier les effets... Bref, après avoir généré le désordre, accentué le foisonnement, elle ne s'arrête qu'une fois l'ordre  rétabli, tous les éléments bien rangés, en parfaite harmonie immobile, la toile vibrante de toutes les couleurs ! Toutes les couleurs ? En fait non ; car le peintre  n'en utilise que trois ou quatre par toile. Mais elle a un tel talent pour les juxtaposer, les mêler, travailler par couches monochromes séparées de petits liserés de teintes mixtes délimitant les "plages", qu'elle donne l'impression d'une palette infinie !

      Alors, autodidacte, Monique Le Chapelain ? Naïve, sa peinture ? Sûrement ! Obsessionnelle ? Incontestablement ! Mais avec tant de tendresse, un caractère si primesautier, une telle joie de vivre sabordant les angoisses existentielles, que l'enchantement se renouvelle chaque fois ; que, dans son a ura, le spectateur retourne à sa propre enfance, aux petits pincements de cœur ou aux menus bonheurs liés à ses propres fantaisies animalières depuis longtemps oubliées, aux fleurs de son jardin de longue date fanées, aux fragments restés en mémoire, des contes qui l'ont naguère bercé !

 

CE TEXTE A ETE ECRIT APRES LE DU FESTIVAL DE BANNE  2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.