DENIS BONNES

Texte de JEANINE RIVAIS

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          Mais pourquoi donc, alors qu’ils affectent des rigidités de personnages corsetés, les robots de Denis Bonnes sont-ils tous cambrés, bandant des ventres de milords ? N’évoquent-ils pas, par leurs raideurs d’automates, des gens qui ont trop fait honneur à la bouteille ? C’est qu’en effet, cet artiste apprécie le vin, qu’il en use et en abuse sans modération. Mais pas en gougnafier n’aimant que le clap du bouchon : sa démarche est une approche friande de la « dive bouteille » et il traque dans les moindres recoins les effluves viniques qui roulent dans sa gorge comme roulent sur sa langue les « r » fleurant bon l’Occitanie. En gourmet perfectionniste, il suit de A à Z les arcanes de cette boisson ; pourchasse à travers chais et fûts le bouquet de ce breuvage ; collectionne pour se le mettre bien en bouche les douelles de barriques de toutes contenances... Puis, comme pour prolonger le plaisir de cette dégustation, il utilise ces dernières pour la conception de ses personnages, comme autant d’ingrédients pour le moins inattendus. Mimétisme ? Hommage à des générations de vignerons ou de tonneliers qui sont, le verre à la main, passés du douvain au vin ? Toujours est-il que, se pliant aux limites imposées par la courbure spécifique du bois, Denis Bonnes donne corps à de pittoresques et gouleyants robots que ne renierait pas Bacchus ! Et histoire de ne rien perdre se rapportant à cette aventure, il a, dès l’origine, vinifié ses créations sous l’appellation de Pin’Art. 

          Et les voilà, côte à côte, véritable saga d’une unique morphologie humanoïde et parfaitement géométrique, campés sur leurs jambes raides. Leurs corps rectangulaires sont tatoués de couleurs vives qui leur donnent l’air de s’être échappés de que quelque lumineux arc-en-ciel. Mais ils sont dépourvus de bras (machiavélisme de l’artiste qui peut ainsi tenter de les empêcher de trinquer ?). Quant à leurs têtes, naines, elles se retrouvent perchées à l’extrême bout d’un cou filiforme sans articulations (tout là-haut, pour qu’elles ne voient rien de ce que font les ventres ? ou au contraire pour qu’elles dominent la situation et donnent alors à ces personnages uniquement conçus en verticalités, des allures de totems ?). Mais il est, concernant ces têtes, un problème dont Denis Bonnes semble inconscient : C’est qu’au sommet des bustes, là où se trouvent les poitrines, il organise les seins ou les absences de seins (selon que les personnages sont féminins ou masculins), de telle sorte que mamelons et petits carrés colorés donnent l’impression d’une autre tête ! Ses robots seraient-ils donc bicéphales ? Et quelle serait la fonction de chaque tête : l’une penserait-elle « avec le cœur », tandis que l’autre serait cérébrale ? Et laquelle des deux commanderait aux sexes, disposés en une évidence criante sur chacun des ventres, générant un érotisme récurrent, l’air de dire : « Le bon vin m’endort » (mais) l’amour me réveille encore » ? (¹)

          Face à tant de bien-vivre, de truculence, l’artiste a-t-il des remords ? Sinon pourquoi apposerait-il sur chacun de ses robots des plaques sombres et sévères apparemment métalliques, porteuses de minuscules plots autour desquels sont enchevêtrés des circuits compliqués de fils multicolores ? S’agit-il pour lui de rappeler que ces êtres n’ont d’humain que l’apparence ? De dénoncer au contraire chez l’homme des automatismes qui n’ont plus rien de généreux ? Quelle que soit la réponse, la présence insolite de ces ajouts électroniques instaure un véritable paradoxe : la fantaisie contre la rigueur ! La spontanéité contre la robotisation… 

          Et il faut en venir à ce qui, en fait, constitue la quintessence de l’œuvre de Denis Bonnes : les titres qui accompagnent les sculptures, morceaux d’anthologie aussi indispensables que la couleur ou la forme. Dérisoires ou ludiques ("Bogue(²) de lantroimil", "les Bo-b", "Rosine naine de jardin géante", etc.) ; souvent rattachés à une histoire personnelle comme ce masque du Purquina Caro (³), ils semblent corroborer l’idée que l’artiste n’est pas au mieux avec la civilisation contemporaine, mais que l’amitié et l’amour lui permettent de ne jamais boire la vie jusqu’à la lie. En même temps, ils donnent à la création de ce sculpteur une connotation littéraire où domine l’humour.

          Alors, quand le vin est tiré, il faut le boire. Et, de la coupe aux lèvres, pour Denis Bonnes et ses robots, le chemin n’est jamais très long ! Qui s’en plaindrait, puisqu’il s’agit d’un grand cru ?

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(¹) Chanson populaire. 

(²) Bug, mais Denis Bonnes n’aime pas les anglicismes.

(³) ( jeu de mots africano / hommage à un vieil ami appelé Caro, qui a depuis  toujours fait macérer pour lui les herbes destinées à concocter son quinquina….)

 

CE TEXTE A ETE ECRIT APRES LE DU FESTIVAL DE BANNE  2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.