MAMAZ'A

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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         Jeanine Rivais : Première question, évidemment, d’où vient cet étrange pseudonyme ?

           Mamaz’a : Un jour, j’étais sur la plage, et je trouvais très amusant de creuser le sable de plus en plus profondément, en faisant des grosses « Mamas ». J’aime bien les Mamas, j’aime l’opulence. Tout cela est peut-être lié à l’instinct maternel ? 

 

          J. R. : Oui, mais ce « z’a » ? Est-ce pour angliciser votre nom ? Exercer un côté naïf de quelqu’un qui aurait mal appris la langue et ferait un mauvais cas possessif ? 

          En tout cas ce mot est lourd, il est massif, il a l’air de ce qu’il veut montrer, de la Mama à l’italienne ; il implique par ses sonorités, une matrone. Votre création appartient au monde de l’obésité. Nous sommes donc dans un paradoxe où votre pseudonyme définit non pas vous-même mais votre œuvre ; parce que vous ne correspondez pas du tout physiquement à ce nom ! 

             M. : Je ne sais absolument pas pourquoi je l’ai choisi. Sauf que le Z et l’apostrophe sont là pour agrémenter le mot ! 

 

          J. R. : Pourquoi cette obsession de l’obésité animale ou humaine ? Et pourquoi vos animaux sont-ils toujours absolument pleins, alors que vos personnages ont un creux à la place du visage ?

            M. : La femme est très présente, parce que j’ai toujours vécu dans un monde de femmes. Mon enfance s’est déroulée parmi ma mère, ma grand-mère, mon arrière-grand-mère… Et il y avait quelque chose de réconfortant, une plénitude relative à ce groupe. C’était un milieu «rempli». 

 

          J. R. : Il s’agirait donc d’un transfert ? Mais votre bestiaire n’a rien à voir avec ce matriarcat ? 

          M. : J’ai commencé par la terre, matériau avec lequel je ne faisais que des femmes très rondes. Ensuite, j’en suis venue au taureau.

 

          J. R. : Pourquoi ? Vous avez eu peur, un jour, dans un pré ?

          M. : Non, mais je le trouve tellement courageux, brave ! Il est synonyme de défi à la mort. Je ne suis pas du tout mordue de corridas, je n’y vais jamais. 

 

          J. R. : C’est la raison pour laquelle votre toréador a la tête creuse ?

          M. : En fait, je ne sais pas l’expliquer ! C’est arrivé un jour tout à fait par hasard. J’ai mis en forme du grillage. Une forme assez massive. C’est devenu un taureau. C’est-à-dire que je me laisse surprendre par ce que je fais. C’est la forme qui « décide » de ce que je vais faire, et non pas moi qui prends la décision.

          Par contre, je n’ai pas non plus d’explication quant aux têtes creuses des personnages. Il est exact que je ne leur fais jamais de visage. 

 

          J. R. : Ils ont une coquille de visage. Ils ont surtout une bouche. On peut dire, je crois, que vous créez des « épisodes », des fragments, des bribes de visages. La logique voudrait donc que votre taureau ait la tête en filigrane. 

          M. : Oui. Mais c’est à chaque visiteur, placé devant mes sculptures, d’improviser un visage ! Chacun voit cette sculpture et peut la terminer à sa façon. Ainsi est-il aussi créateur. Et il a le choix de mettre à chaque personnage un visage qui lui convienne.

 

          J. R. : Là encore, vous faites un transfert, cette fois de vous sur le spectateur. Vous ne craignez pas que celui-ci n’ait pas « envie » de créer ce que vous ne lui montrez pas. Il est venu pour regarder « votre » travail, pas forcément pour jouer avec. Ne craignez-vous pas qu’il ressente ce trou comme un manque ? 

          M. : Oui, c’est possible. Mais au contraire, c’est une liberté pour moi. A lui de se débrouiller avec ce que je lui propose. La plupart du temps, c’est vraiment un échange. Au cours duquel il va mentalement finir cette sculpture. Mais il est vrai aussi que cette absence de traits gêne certaines personnes ! 

 

          J. R. : Il ne semble par ailleurs, que vous ayez réinventé toute une iconographie espagnole?

              M. : Oh oui ! J’adore tout ce qui touche au flamenco. La musique, le rythme. Tout cela m’émeut beaucoup. Je ne saurai pas non plus vous dire pourquoi, si ce n’est que cette influence est arrivée soudainement. Je me laisse aller ainsi à des influences. 

 

          J. R. : Quelle est la relation entre ces petits personnages fildefériques que vous avez également réalisés,  avec ceux que nous venons d’évoquer, tellement lourds qu’ils en sont presque monstrueux ?

           M. : C’est un clin d’œil. C’est de l’humour, et j’aime aussi travailler le fil de fer.

 

          J. R. : Mais si c’est un clin d’œil, vous lui donnez une grande place ! Dans la mesure où vous les avez placés sur fond blanc, ces figurines sont plus lisibles que vos personnages de papier.

           M. : Oui, et ils ont un vrai visage. Je leur donne des expressions, contents, mécontents…

 

          J. R. : Nous venons de parler de l’obsession des taureaux. Tout de même, vous avez donné à ces animaux différentes connotations : j’en vois qui sont presque réalistes. D’autres très allusifs. Et puis celui qui est dans la boîte à malices et en jaillit au bout d’un ressort. D’ailleurs, tous sont au-dessus d’un ressort, même si vous ne semblez pas vouloir en jouer. Expliquez-nous cette récurrence du ressort dans votre création ?

         M. : Comme mes taureaux sont très lourds, très terre à terre, le ressort les élève un peu, leur confère un peu de légèreté. D’autant qu’ils ont des ailes. Peut-être y a-t-il un rapport entre les deux ? Et pourquoi le ressort et les ailes ne se conjugueraient-ils pas pour les faire monter au Paradis ? Vous voyez qu’il faut regarder mon travail avec humour ! 

 

           J. R. : Quand vous laissez le journal apparent, pourquoi ne faites-vous pas de même pour tous les éléments d’une même scène ? Si je considère le taureau et le toréador, l’animal est couvert d’écritures ; tandis que l’homme est bien peint, bien léché, sophistiqué. Il y a donc une différence de traitement entre eux, et ils sont regardés par une femme pour laquelle vous n’avez pas non plus agi ainsi. Pourquoi ?

          M. : Parce qu’elle est nue. Tandis que le toréador est habillé, et c’est la peinture qui délimite son habit. Parfois, j’emploie du kraft pour habiller mes personnages. 

J’aime aussi beaucoup réaliser des couples…

 

          J. R. : Je crois que les concernant, il faudra faire appel à Papa Freud : ils ont des corps complètement enlacés, ce qui implique une grande sensualité. Mais eux non plus n’ont pas de  têtes !

            M. : En l’occurrence, c’est pour donner plus de force au baiser, puisque l’on voit deux bouches collées l’une à l’autre. J’éprouve une grande émotion quand je les fais. Ce travail me transporte littéralement. J’aimerais vraiment communiquer cette émotion aux personnes qui le regardent. Ce serait pour moi un gage de partage. Je sens que sculpter, c’est donner, c’est partager avec les autres. Le plus beau cadeau que l’on puisse me donner en échange, c’est de sourire en regardant mes œuvres. 

 

          J. R. : Pour conclure, ne dirons-nous pas que nous sommes dans un monde à l’envers ; où les obèses sont en mouvement, et la plupart du temps en mouvements gracieux ; et où les filiformes sont raides et statiques ?

          M. : C’est sans doute parce que je n’aime pas trop les gens très minces, ce qui explique que je les raidisse ? Les gens plantureux me rassurent, alors qu’il n’en est rien avec les maigres. C’est pour cela que je les laisse tout figés ! 

 

          J. R. : En somme, votre création est un jeu, analogue à ceux auxquels vous jouiez enfant? 

          M. : Ah oui ! Cette notion de jeu est très importante ! Comme avec mes objets quand j’étais petite. Je me revois enfant. Il n’y a pas de questions à se poser, je joue ! Et c’est ce qui, pour moi, est très important !

 

Il est sans doute inutile de préciser que cet entretien s’est déroulé dans la plus franche bonne humeur ? 

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DU FESTIVAL DE BANNE 2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.