ALAIN JANICHON

Texte de JEANINE RIVAIS

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          Lorsque des archéologues découvrent des vestiges, ils sont parfois surpris que certaines parties supposées dures aient disparu ; tandis que d’autres considérées comme fragiles aient résisté au passage du temps. Cette référence convient à Alain Janichon et lui permet d’affirmer que, sous des dehors éphémères, ses sculptures sont extrêmement solides. D’où sa conviction que « la pérennité est un leurre » et qu’il lui suffit de créer, sans se soucier des implications temporelles de son oeuvre ; car il « sait » qu’elle témoignera longtemps de l’originalité de sa démarche.

    Pour le visiteur, cependant, surgissent certains questionnements concernant ses créatures étranges. Et, en premier lieu, la relation paradoxale, le déséquilibre récurrent entre les têtes et les corps. En effet, l’artiste manifeste pour chaque œuvre une évidente volonté de réalisme des têtes : parfois un peu tordues, certes ; d’autres fois singulièrement arrondies, larges et épanouies ; ou au contraire étroites et dures ; enturbannées, échevelées ou résolument chauves ; à visage d’oiseau ; couvertes de signes cabalistiques à l’instar des masques tribaux, etc. Mais toujours dotées de tous les éléments faciaux et sensoriels aisément reconnaissables. 

         Par contre, les corps, tantôt de bois, tantôt de papiers aux aspects et duretés variables, sont le plus souvent réduits à de simples rondins ou à des cubes. Comme si, pour Alain Janichon, seules comptaient les fonctions cérébrales et lui indifféraient les incidences matérielles de la vie d’un individu. Comme s’il lui était impossible de concevoir une définition de ces corps : les seuls cas (et encore, à de rares exceptions près, persiste-t-il à les priver de membres) où ses personnages ont vraiment l’air de ce qu’ils sont, se produisent lorsque, dans des revues de mode, l’artiste découpe vestes de sport zippées, robes élégantes, justaucorps sophistiqués… car il donne alors des reliefs à ses bustes, et les poses prises préalablement par les mannequins créent des avancées de la poitrine, des tombés d’épaules… et, subséquemment, ses petits individus arborent un air humain gentiment conquérant…

          Pourtant, même lorsqu’ils affectent cette apparence longuement élaborée, Alain Janichon se défend les concernant, de la moindre intention. Il affirme qu’à chaque forme choisie, une autre, dix autres, au gré de son humeur, aurait (ent) pu naître ! Et qu’il n’a, pour ces choix pulsionnels, aucune explication ! Tout au plus concède-t-il un goût pour le détournement de l’image ; un contentement à donner à ses créatures, par le truchement des découpages, par la modification des rythmes, voire le travail de la couleur, une connotation que n’avait jamais voulue le photographe. Par ailleurs, contrairement à la plupart des récupérateurs qui glanent des objets vieux et usés pour réaliser leurs œuvres, et condamnent le gaspillage et l’indifférence des gens face aux objets marquant leur époque, Alain Janichon, grand amateur de super-marchés où il trouve les ingrédients qu’il va combiner, ne choisit que du neuf. Et traverse son temps sans se soucier s’il y a quelque chose de gâté dans l’univers mercantile ; sans prise de position ni dénonciation qui lui sembleraient illusoires : Le pur plaisir de la création !  

     Le même refus de toute implication accompagne ses dessins dont certains sont des sculptures plates. Du personnage (Lézard Ier) linéal, peint en blanc sur fond noir moucheté de milliers de points également blancs, à celui en relief, chapeauté avec une sophistication de Carnaval vénitien, Alain Janichon effectue pour chaque œuvre un long travail complexe, de passages et surcharges d’encres de Chine ; de collages d’objets (pierres, capsules, craies, papiers…) ; de lissages et froissements… Une création qui ne relève pas de la peinture, malgré les apparences ; mais d’une sorte de mise en images d’individus proposés tantôt dans l’apparat, tantôt dans la désolation. 

     Désolation car –bien que leur auteur s’en défende avec une belle virulence—certains dessins sont griffés, raturés ; avec des visages aux grands yeux hébétés. Ils proposent alors au visiteur une évidente violence psychologique, à tout le moins un malaise indéniable. Pourtant, Alain Janichon affirme leur sérénité ; décrète que ces ratures défigurantes ne sont qu’esthétiques ! Que pour eux, il a renoncé à une démarche intellectuelle très poussée ; à l’écriture dans laquelle il était profondément impliqué. Que, de cette création antérieure, il a gardé pour le papier le plus grand respect ; qu’il est donc impensable qu’il puisse blesser ce matériau ou les formes qu’il y dépose.

     Sa sincérité ne saurait bien sûr être mise en doute ! Pas plus que la bonne volonté et l’ouverture d’esprit avec lesquelles  il accepte du visiteur toutes les interprétations ! Pourtant, ses personnages sculptés ne sont-ils pas tous bancals, incomplets, atrophiés… ses dessins ne sont-ils pas fripés, raturés… Alors, les êtres créés par cet artiste sont-ils heureux ? Sa démarche est-elle résolument optimiste ? Et finalement, cela a-t-il de l’importance ? A chacun de conclure selon sa subjectivité ! 

 

CE TEXTE A ETE ECRIT APRES LE DU FESTIVAL DE BANNE  2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.