Jeanine Rivais : Vu que vous êtes assez jeune, depuis combien de temps créez-vous ? Et diriez-vous qu’il s’agit de peintures en relief ou de sculptures plates ?
Françoise Popilarski : Je dirais que pour moi, ce sont des objets poétiques.
J. R. : C’est une autre définition. Mais soyez plus bavarde vous concernant.
F. P. : Je me considère comme une débutante. Voilà à peu près deux ans que j’ai osé montrer mon travail. C’était à Luis Marcel qui m’a encouragée à continuer. Je me consacre maintenant presque exclusivement à la création. Mais je préfère que vous me posiez des questions, ce sera plus facile pour moi !
J. R. : N’ayez crainte, c’était mon intention ! Mais je trouve bien qu’auparavant, vous développiez un peu ce qui vous concerne. Lorsque vous me dites « ce sont des objets poétiques » : sont-ils peints ; faits avec des assemblages ?
F. P. : Je dirai que j’ai là deux familles : ce que j’appelle « mes boîtes à rêve », que j’ai totalement fabriquées sur des supports en bois. Et un autre travail réalisé cette année, qui est à mon avis d’esprit très différent et fait partie de la série que j’ai appelée « Mes sept filles ». J’ai réalisé cette série à partir de bustes glanés lors d’une brocante. C’étaient des formes en plexiglas utilisées pour présenter des maillots de bain dans les vitrines.
J. R. : Il semble que votre première série soit entièrement fantasmagorique. Cette utilisation de bustes pré-fabriqués vous a amenée à des réalisations plus réalistes. Une obligation de formes, en fait. Comment reliez-vous les deux ?
F. P. : Ce que j’ai aimé, surtout, dans ces formes, c’est d’exprimer plusieurs aspects d’une même femme. Une sorte de déclinaison de la féminité. J’ai bien peur de ne pas répondre à votre question ?
J. R. : Si. Tout à fait. Mais pourquoi vous lancez-vous dans cette double création ? Vos petits personnages fantasmatiques, sont humains certes, mais non réalistes, pas plus que vos petits arbres : sur eux, il est possible de rêver. Par contre, ces bustes sont résolument évocateurs. Sur ces grands personnages, il est impossible de plaquer le moindre imaginaire. On peut vaguer sur le fond, sur cette décoration que vous avez ajoutée, mais pas sur les objets eux-mêmes. Quel est l’intérêt de se fixer un tel carcan ?
F. P. : Il est vrai qu’il s’agit de carcan. Mais ces formes m’intéressaient. Et je n’aime pas faire toujours les mêmes choix. Cette série sera sans suite. De même que les boîtes à rêves. J’ai envie d’explorer d’autres formes, d’autres idées.
J. R. : C’est rassurant. Deux ans sont bien courts ! Et vous êtes encore en train de fouir. Si au bout de deux ans vous étiez sûre d’avoir trouvé « le trésor », vous n’auriez plus qu’à vous coucher et mourir ! Même si elle apporte des questionnements et des impatiences, votre attitude est porteuse d’espoir.
Si je considère ces femmes, elles pourraient être dénonciatrices de la femme-objet. Mais vous avez tellement cultivé l’esthétique qu’elles ne sont plus, en fait, elles-mêmes, « que » des objets.
F. P. D’autant qu’elles n’ont pas de visages. A la limite, elles sont pour moi, peut-être des sortes de dépouilles, d’armures, de carapaces. Elles relèvent du monde de l’apparence, du costume.
J. R. : Par contre, la partie de votre œuvre la plus attrayante, est celle qui propose vos petits tableaux pleins de rêve, de tendresse. Quels contes narrez-vous ?
F. P. : Des histoires jolies. Peut-être ce mot vous paraîtra-t-il désuet ?
J. R. : Non. Il est des mots agréables à entendre.
F. P. : Ces petits contes me semblent très agréables à cultiver. C’est une petite porte ouverte au rêve.
J. R. : Vos œuvres ont-elles des titres ?
F. P. : Oui. Et comme je travaille aussi l’écriture, les titres sont toujours intégrés dans les œuvres. Par exemple : « Je suis descendue dans mon jardin
Pour y cueillir des lendemains ».
J. R. : En somme, vous prenez une comptine que vous détournez légèrement. Mais sans en prendre le contre/sens, sans en faire une parodie ?
F. P. : Oui.
J. R. : Vos œuvres, boîtes ou tableaux, où les personnages sont placés gentiment côte à côte, sont donc pleins de tendresse, de poésie, de complicité.
F. P. : Oui. Tendresse et humour.
J. R. : Dans le même temps, vos femmes sont plantureuses, bien rebondies. Par contre, le garçon n’a pas de bras visibles. Pourquoi ? A moins qu’il ne s’agisse des légers reliefs que vous avez placés par-dessus ? Dans ce cas, est-ce parce que vous êtes autodidacte et que vous n’avez pas le sens de la perspective, que vous procédez de cette façon ?
F. P. : Ce n’est pas un garçon, c’est une petite fille. Et, en effet, je suis entièrement autodidacte ; je n’ai aucun sens de la perspective. On n’a pas voulu de moi aux Beaux-arts. On m’avait demandé de dessiner de mémoire un vélo ! Je me souviens encore de l’entretien, du cri de l’examinateur quand il s’est exclamé : « Mais enfin, vous avez vu la tête de votre vélo ! » Je n’ai vraiment aucune technique. Je travaille toujours au jugé.
J. R. : Je trouve cela très sympathique. En même temps, vos personnages ne sont jamais dans une disposition qui permettrait de les situer géographiquement, socialement, temporellement… Ils sont faits d’accumulations, d’une véritable décoration obsessionnelle de perles, de dorures, de fleurs… générant un contexte complètement onirique. C’est parce que vous vivez dans un jardin enchanté ?
F . P. : Non. Mais c’est pour moi l’occasion d’y pénétrer un peu, de croiser des petites plages de bonheur.
J. R. : Peut-on dire alors que ces œuvres sont des projections de votre vie, de vos aspirations, de vos rêves ? Ou bien est-ce simplement votre imaginaire qui vous emmène dans ce monde ?
F. P. : Je crois que c’est simplement mon imagination.
J. R. : Venons-en à vos angelots dont l’un est intitulé « Tendre est la nuit ». Pourquoi des ailes à vos personnages ? Pour répondre à l’idée tutélaire et religieuse que les anges en possèdent ?
F. P. : Vous posez des questions difficiles ! Je ne pense pas à tout cela quand je les réalise!
J. R. : Alors, je vais en poser une autre : à quel moment estimez-vous que le tableau est terminé ? Quelles qualités doit-il posséder ? Prenons comme exemple cet arbre avec deux personnages : Le spectateur va se demander : Est-ce Adam et Eve ? Sont-ils au Jardin d’Eden, avec l’arbre au milieu. Mais, il n’y a pas le serpent qui correspond à nos mythologies. Subséquemment, il nous manque… Il n’est pas là, pourquoi ? Parce qu’en fait, il ne s’agit pas de ce genre d’allusion ? Mais de rêve, de féerie ? Parce que vous êtes dans un jardin enchanté ? En même temps, cet arbre chargé de présents semble, comme dans les tribus indiennes ou africaines, un arbre ex-voto. Vous avez ainsi créé, sans le vouloir peut-être, une sorte de situation géographique, ajoutant des feuilles de lierre et plaçant vos personnages dans un décor champêtre. Par contre, à l’arrière, vous avez fait des compositions complètement hétéroclites : grappes de raisin, bulles, petites pendules, motifs de broderie… Quelque visiteur se dira : Elle aurait pu s’arrêter avant. Ou, au contraire continuer à l’infini : pourquoi à tel moment s’est-elle arrêtée ?
F. P. : Je fonctionne à l’instinct. A un moment donné, il m’apparaît évident que l’harmonie est établie. Alors, j’arrête.
Il s’agit en fait d’une création du monde. Chaque jour a un enfant. Et je suis allée jusqu’à huit. J’ai donc ajouté un jour à l’idée que tout le monde a en tête, parce que c’est MA création. C’est mon plaisir d’accumuler des foules d’objets ; marier des formes, des couleurs…
J. R. : Contrairement à vos collègues qui laissent aux objets leurs couleurs originelles, vous ajoutez abondance de dorures, de perles brillantes… Pourquoi cette volonté de clinquant ?
F. P. : J’ai plutôt pensé à l’idée de préciosité. De choses qui vont à la fois attirer, donner envie de les toucher, tout en se demandant si on a le droit de le faire.
J. R. : En somme, en donnant ce caractère précieux, vous souhaitez imposer une distance par rapport au spectateur ? D’autant que chacune de vos boîtes est en fait une cabane avec un toit, comme pour préserver une intimité. Vous entrez de ce fait dans une sorte de jeu de cache-cache, en plein domaine ludique. Et vous êtes, avec ces boîtes, sur le fil, toujours à la limite de la beauté extrême et du criard. Là encore, quelles sont vos frontières ?
F. P. En fait, j’essaie d’attirer le spectateur comme un enfant, et en même temps cacher mes personnages dans les boîtes pour garder une sorte de mystère. C’est sûrement cette volonté de secret qui crée mes limites.
CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DU FESTIVAL DE BANNE 2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche