LARA MEDILANSKI

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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          Jeanine Rivais : Lara Médilanski, vous êtes suisse. Comment une jeune Suissesse arrive-t-elle à Banne ?

          Lara Medilanski : J’avais trouvé dans la revue Artension un reportage sur le Festival de Banne. Cela m’avait paru intéressant, et je me reconnaissais dans le travail de plusieurs artistes ; alors que souvent je trouve les œuvres proposées trop conceptuelles, trop intellectualisées et hermétiques. J’aime le côté ludique. J’aime jouer en sculptant, travailler avec mes mains. Quand j’ai découvert cette revue, j’étais très contente de me sentir en communauté d’idées avec les gens qui y étaient présentés. Je me suis sentie un peu moins seule. J’ai donc envoyé un dossier.

 

          J. R. : En fait, votre façon de structurer vos « poissons » me semble très intellectualisée. Nous parlons de poissons, est-ce une série ? Ou bien le poisson a-t-il pour vous un sens obsessionnel particulier ?

          L. M. : Non. J’ai fait des poissons parce que je passe chaque année un mois à la mer. Mais je savais que cette année, je n’aurais pas l’occasion d’y aller. En fait, tout ce que je fais en sculpture est imprégné des moments que je vis. J’ai donc eu une période où je ne faisais que des poissons ! Mais j’ai eu aussi toute une série avec des selles de vélos. Avec des roues, des bascules… Quand j’en suis lassée, je pars sur un autre élément que l’on retrouve partout. C’est de cette façon que j’en suis venue aux poissons…

 

          J. R. : Vous vous êtes donc offert des vacances de substitution ?

          L. M. : Un peu, oui ! 

 

        J. R. : Mais alors, pourquoi les avoir pareillement stylisés, enfermés, serrés, les faire entre-dévorer ?

        L. M. : Parce que mon souci est de ne pas les casser dans des transports. Avec les poissons, c’était évident de les faire assez compacts.

 

          J. R. : Peut-on en conclure qu’en d’autres circonstances, vous les auriez réalisés de façon très différente ?

          L. M. : Oui. Il n’y a aucun caractère de gravité dans ces expressions. Chacune m’amène à quelque chose de complètement différent. Finalement, je ne regrette jamais rien, parce que cela me permet de travailler des matériaux différents et ces sculptures compactes vont assurément me donner des pistes pour faire autre chose. 

          De toute façon, je me sens encore tout à fait en recherche. J’ai le sentiment d’avoir besoin d’explorer plein de pistes. Cette situation n’est pas forcément consciente, je ne me donne pas des consignes pour travailler de telle ou telle façon. Mais les circonstances pèsent apparemment assez sur moi pour décider à ma place. Et quand je travaille, le résultat est toujours très spontané. 

 

          J. R. : Vous avez dans cette série des dispositions verticales, ce qui est paradoxal pour ce qui semble être des aquariums ? Est-ce hasard ou volonté qu’ayant associé deux doubles piranhas en train de se dévorer, ils forment un personnage humanoïde ?

          L. M. : C’est tout à fait aléatoire, parce que pour moi il s’agissait plutôt de silhouettes. Je suis partie de l’idée de poisson. Mais quand je travaille, je trouve toujours quelque chose qui ne va pas : ici, c’est trop long, là la silhouette est trop évidente… J’ai donc élargi l’ensemble, mais elle était alors trop carrée, j’ai voulu revenir à l’idée de colonne ce qui a donné une autre sculpture… à l’idée de totem. Les piranhas sont alors apparus. Je ne sais pas si je m’exprime bien?

 

          J. R. : Oui. Vous voulez dire que vous êtes une puriste, et que ce qui, chaque fois, vous déplaît dans une sculpture vous amène à corriger et à faire autre chose sur la sculpture suivante ? C’est bien. Cela peut vous faire progresser pendant longtemps ! 

          L. M. : Je l’espère. 

 

          J. R. : Je voulais en venir à vos bronzes. Le bronze, matériau noble. Est-ce vraiment un matériau typique de l’Art singulier ?

          L. M. : Pourquoi pas ? 

 

          J. R. : Parce que, réaliser un bronze est tellement hors de prix que cela relève du rêve et non pas de la réalité des moyens des créateurs Singuliers ! 

          L. M. : Cela dépend. Pour moi, être singulier n’a rien à voir avec le prix. Certains artistes n’ont pas beaucoup de moyens et travaillent avec des matériaux pas chers. Mais ce qui est important, c’est le travail. Le langage, en fait, pas la matière. J’ai réalisé ces bronzes parce que j’ai eu l’occasion de travailler dans une fonderie ; et je les ai faits en cire directe. Je me dis que puisque nombre d’artistes utilisent la pâte à modeler, pourquoi pas en cire directe ? Après, c’est exact que c’est une question de moyens. Mais je ne sais pas si c’est ce qui les arrête ? D’ailleurs, je ne sais pas non plus si j’entre dans la catégorie des artistes Singuliers ? J’essaie de chercher ma catégorie. Je ne me retrouve pas du tout dans l’Art contemporain. Et je trouve que cet art me correspond davantage, me touche davantage, c’est pourquoi je m’en suis rapprochée. Peut-on, pour autant, dire que j’en fais partie ?

 

          J. R. : En quel matériau sont vos poissons, pour avoir l’air si lourds, si denses ? Et pourquoi ce parti pris de les peindre en noir, même s’il s’agit d’un noir lumineux ?

          L. M. : Ils sont en ciment. Parfois mélangé avec d’autres matériaux. Je fais cela pour changer la texture, pour que la sensation du toucher soit différente. Pour eux, j’ai choisi le noir pour délimiter leurs silhouettes. De là, je suis partie dans une démarche de pierres de couleurs. 

 

          J. R. : J’ai cru comprendre que vous êtes autodidacte ?

        L. M. : Non, j’ai fait les Beaux-arts à Genève pendant quatre ans, puis une année de sculpture en Italie. Maintenant, je travaille dans mon atelier.

 

          J. R. : Venons-en à vos jeux d’échecs. 

          L. M. : Non, ce ne sont pas des échecs. C’est un jeu de dames et un jeu d’hommes.

 

          J. R. : Ah ! Excusez-moi ! Je me demandais de quelle sorte de jeu il pouvait s’agir, puisque tous les pions étaient semblables ! Expliquez-nous un peu le principe de ce jeu où vous avez remplacé les damiers par des plots. 

          L. M. : En fait, ce sont des boîtes à œufs. C’est un jeu un peu symbolique, parce que les femmes s’enfilent sur les piques et les hommes se glissent dans les trous. 

 

          J. R. : Donc, une fois déployés ces jeux, nous sommes dans une symbolique sexuelle qui n’apparaît pas dans le reste de votre travail. Pourquoi cette démarche qui a l’air ludique et innocente et qui, au fond, va très loin ?

           L. M. : J’avais tout simplement envie de jouer avec ces boîtes à œufs. 

 

            J. R. : En quel matériau sont vos personnages ? Vous les avez sculptés apparemment en un geste très rapide. Ensuite, vous avez passé à grands traits de la peinture.

          L. M. : C’est de la résine. Je les ai d’abord modelés en terre ; puis j’ai fait un moule en silicone dans laquelle j’ai ajouté de la résine, enfin je les ai peints.

 

          J. R. : Nous sommes donc non plus dans l’idée d’un exemplaire unique, mais de la série ? 

          L. M. Pour ce jeu-là, en effet.

 

          J. R. : Venons-en à vos bouteilles. Elles sont conçues sur le même principe que les jeux évoqués à l’instant. A quoi jouez-vous avec vos bouteilles ?

         L. M. : J’ai choisi les bouteilles à cause de leur forme facile à créer des personnages rigolos. C’est autre chose que la sculpture, il s’agissait de créer quelque chose de sympath, sans trop de réflexion, en fait. A côté de mon travail de sculpture. Parce que, comme je l’ai dit tout à l’heure, j’aime jouer en créant.

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DU FESTIVAL DE BANNE 2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.