LAURENCE MALVAL

Entretien avec JEANINE RIVAIS

********************

 

Jeanine Rivais : Votre travail entre d’emblée dans la marginalité singulière. Mais il semble que vous vous sentiez un peu gênée aux entournures par cette fréquentation ? Dites-nous pourquoi ?

Laurence Malval : La définition de l’Art Singulier me semble respecter profondément l’artiste. Mais il faut être très conscient de cette définition. Et ici, elle n’est pas toujours respectée. Etre exposée avec un certain nombre d’œuvres qui ne semblent pas être de l’Art singulier me gêne profondément. 

Au cours de la nuit blanche que je viens de passer, j’en ai déduit que, puisque je ne me sens pas bien dans des groupes, je vais rentrer chez moi, chercher un travail, et me consacrer parallèlement à ma peinture, sans plus chercher à exposer. Je crois que je serai aussi heureuse de cette façon-là. En fait, ce qui m’intéresse, ce n’est pas de mettre des prix sur mes œuvres…

 

J. R. : Par cette décision, vous êtes en train de gagner votre liberté ?

L. M. : Oui. Et j’aimerais bien désormais assumer cette décision. Il faut vraiment que je décide de ma vie.

 

J. R. : Je suis tout à fait favorable à l’idée que l’artiste ait un travail. Même si ce travail n’est pas motivant, même s’il lui « perd » des heures au cours desquelles il pourrait peindre ou sculpter, il y gagne une liberté d’esprit qui lui permet de créer absolument comme il en a envie, et non pas pour avoir une chance de vendre. (Ce qui n’est, bien sûr pas incompatible). J’ai vu tellement d’artistes bifurquer vers du commercial, parce qu’il faut bien assurer l’intendance ! C’est pourquoi je respecte tout à fait une décision comme celle que vous semblez avoir brutalement prise !

L. M. : J’ai certains engagements à tenir. Mais je vais essayer d’être moins influençable, et de gagner ma vie autrement. D’être dans mon petit coin et de créer comme j’en ai envie. C’est une liberté que j’ai perdue ces derniers temps, et je le regrette. 

 

J. R. : Parlons de votre travail : Couleurs douces, sans heurts…

L. M. : Oui. Et pourtant, quand je les peins, j’ai l’impression qu’elles explosent sur la toile. Mais ici, je n’ai plus ce sentiment, je les trouve un peu fades. 

 

      J. R. : Pas du tout. Ce serait, en fait, comme un rêve un peu doux, où tous les éléments seraient en grande harmonie.

     L. M. : Oui. C’est l’envie que j’ai. Je n’ai aucun désir de brutaliser les gens, ni d’être provocatrice… J’aime la couleur, mais je ne veux pas qu’elle soit agressive. 

 

          J. R. : Peut-on dire, par contre, que vous êtes fâchée avec les angles droits ?

         L. M. : Oui, je m’en suis rendue compte. Et j’aime beaucoup les courbes. Elles sont pour moi le ventre de la femme. Avant, je représentais des roues de moulins. Ensuite, j’ai réalisé que dans d’autres cultures, la notion de temps s’exprimait en rond, et non pas sur des lignes. J’ai trouvé superbe de voir ainsi le temps qui tourne ; et non pas passé-présent-futur sur une même ligne coupée en trois. Les courbes, ce sont des cellules, des globules, toutes sortes d’éléments qui sont en nous et qui tournent…

 

          J. R. : Pour entrer moins psychologiquement à l’intérieur de votre « dit », on pourrait voir en chaque tableau un bouquet ?

        L. M. : Oui. C’est un bouquet. C’est un hommage à la nature. C’est une sorte de chant lyrique, d’offrande à la Mère Nature. C’est en tout cas une joie de faire, et c’est le plus important. Au point que le tableau compte pour moi au moment où je le réalise, et qu’après il est presque mort. 

 

         J. R. : Chaque œuvre me semble un fragment de rêve, un moment où un papillon rencontre un petit chemin qui lui-même rencontre un animal pas très déterminé.

          L. M. : C’est vrai que cela se rejoint ; qu’il n’y a pas de séparation de mondes. Je rejoins chaque univers comme si ce qui est sous la mer était aussi dans le ciel… 

 

          J. R. : Il me semble que par moments vous ajoutez des collages ? Mais ils sont tellement intégrés dans la peinture que l’on ne les « voit » plus comme tels.

          L. M. : Oui. Je m’approprie des bouts de papiers qui génèrent une forme. Et je continue autour de ce fragment. Cela donne à mon travail un aspect plus figuratif. Sur une toile, j’ai fait une sorte d’icône, de Vierge à laquelle j’ai voulu rendre hommage. J’ai donc créé autour d’elle son « théâtre », son toit.

 

          J. R. : Ce tableau est composé de façon assez rare : d’habitude vous avez une masse importante au centre ; mais là, cette femme semble placée en haut de ce qui pourrait être un miroir et refléter un paysage. Derrière, s’enlace un véritable labyrinthe. Quelle est la relation entre ce personnage dont vous dites qu’il est virginal et ce chemin dont on ne sait pas d’où il émerge et où il va ?

          L. M. : Ce personnage est peut-être un guide ? Il décrit une multitude de boucles le long d’un chemin qui ne s’arrête jamais. Sans doute ce personnage est-il là pour rassurer ? En fait, je l’ai placé là, mais j’aurais pu aussi bien le placer à n’importe quel autre endroit sur ce chemin ?

 

          J. R. : Mais, du fait de sa position, il prend une allure presque christique. 

          L. M. : Oui. C’est aussi un hommage au religieux que j’affectionne, que je respecte dans la peinture et dans le cœur des gens en général. 

 

          J. R. : Qu’apportent ces collages par rapport aux dessins ?

        L. M. : C’est peut-être un attrait pour les motifs qui sont déjà dessus ? Des ronds, des carrés… Cela génère un côté un peu folklorique que j’aime bien. Une façon de me rapprocher des hommes. Je ne saurais pas dire exactement, mais pour moi ces papiers peints sont des liens que je trouve très évocateurs. J’aime les choses décoratives. Je trouve qu’elles font du bien.

   

          J. R. : Quant aux autres tableaux, la première impression est qu’ils sont complètement abstraits. Ensuite, lorsque l’on fouit les œuvres, ici apparaît une croix, ailleurs deux petits personnages qui semblent deux siamois de part et d’autre de la croix, têtes roses et corps bleus… un bateau qui avance sur des poissons, et apparemment sommes-nous là dans un monde à l’envers ? Ailleurs, des étoiles, des lunes. A mesure que l’on avance, on entre dans un monde de plus en plus onirique. 

          L. M. : C’est que je n’ai pas envie de représenter des visages que je connais. D’abord, parce que ce serait trop compliqué pour moi. Je ne saurais jamais le « décrire ». Et puis, je ne m’autoriserais surtout pas à le faire. Par contre, on retrouve des éléments que chacun connaît, des symboles récurrents comme les oiseaux ou les papillons. Pour le reste, je ne me sens pas assez intime avec les choses pour les représenter. 

 

         J. R. : Revenons à l’idée de rêve. Chaque tableau semble éclairé de l’intérieur. Il y a toujours une plage plus claire qui semble projeter à l’entour une orbe lumineuse. Pourquoi procédez-vous ainsi ? Puisque cet entour est généralement informe et plus sombre.

          L. M. : Je ne sais pas. C’est un mélange de précision et d’imprécision. Je me situe sur plusieurs plans parce que je n’ai pas envie de me limiter à ce que voit mon œil. C’est comme si je regardais plus loin, plus près et que tout se retrouve sur le même plan. Certaines choses sont donc hyper-nettes, d’autres à peine nettes, mais elles forment un tout.

 

          J. R. : Nous parlions tout à l’heure des tons très doux, mais cette façon de faire les rend extrêmement lumineux. Vous avez le talent de rapprocher les teintes de façon que chacune mette doucement en lumière la suivante. 

          L. M. : C’est mon harmonie. Une douceur à laquelle je dois toujours parvenir.

 

          J. R. : S’il fallait donner deux mots seulement pour définir votre travail, je dirais « onirisme » et « poésie ». Etes-vous d’accord ?

          L. M. : Oui. Cela me plaît bien. 

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DU FESTIVAL DE BANNE 2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.