MAURICE UNAL, sculpteur

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Maurice Una, pourquoi hésitez-vous en prononçant le mot "Unal" ? Un problème avec votre nom de famille ?

Maurice Unal : Non, c'est parce qu'avant cela s'écrivait "Houtrald", c'est un nom wisigoth. Au fil du temps, une partie du nom s'est perdu. Un de mes frères a fait des recherches, et a découvert qu'à l'origine le nom était allemand wisigoth et remontait aux comtes de Toulouse.

 

J.S-R. : Il a retrouvé tous les documents ?

M.U. : Non, certains seulement, mais c'était suffisant.

 

J.S-R. : Venons-en à votre création. Ce sont exclusivement des œuvres en bois ? Quelle est donc votre relation avec le bois ?

M.U. : Je le ramasse.

 

J.S-R. : Mais vous ne le coupez pas ?

M.U. : Non ! Je ne coupe pas le bois. Je le ramasse ou on me le donne. Le tronc d'olivier m'a été donné par le propriétaire qui savait que j'aimais bien ce bois. La branche de noyer avait été cassée par la neige. Je l'ai donc ramassée sous l'arbre, avant que la broyeuse à branches ne vienne la déchiqueter. Celle-là avait deux jambes et deux bras !

 

J.S-R. : Et ce sont des morceaux d'écorce que vous allez chercher dans une coupe de bois ?

M.U. : Non, je me promène. Je repère les morceaux qui ont été abandonnés. Si quelque chose se passe entre le morceau de bois et moi, je l'accueille chez moi.

Pour l'améliorer, le travailler. Pour cela, j'ai principalement l'Opinel. Et quand le morceau est trop gros, je travaille avec la gouge et le ciseau.

 

J.S-R. : Vous trichez, tout de même. Parce que, si je reviens à votre branche, je vous accorde qu'il pouvait y avoir un bras, mais il est impossible qu'il y ait eu la tête que vous avez placée.

M.U. : Si, je vous assure qu'elle était là !

 

J.S-R. : Je vois les traces de votre outil, où vous êtes intervenu.

M.U. : C'est que la tête s'est cassée ! Mais c'était réellement d'une seule pièce !

 

J.S-R. : Si je regarde les masques, ce sont des écorces ?

M.U. : Il s'agit d'écorce de cerisier. L'autre est de l'amandier. L'écorce était disparue. Et c'est l'aubier du bois d'amandier qui est resté. C'est un bois extrêmement dur. Il est si dur que je ne peux pas le creuser. Je joue donc sur les différences de couleurs.

 

J.S-R. : Vous dites que vous ne pouvez pas le creuser, mais cependant il a bien un trou ?

M.U. : Oui. Mais cela m'a pris un temps infini pour faire ce trou. Donc, le nez est très peu creusé. Il est tracé, mais pas creusé comme j'aurais pu le faire avec un bois moins dur.

 

J.S-R. : Quand je vois ce petit masque qui est fendu presque du haut en bas, cette fente ne vous pose pas problème ? Vous considérez que votre personnage est atrophié ? Qu'il est infirme ?...

M.U. : Non, il va tout simplement à la pêche. Je l'appelle "L'Ermite foudroyé sur sa droite" ! On voit bien qu'il n'a que la moitié du nez et une grosse balafre du côté droit.

 

J.S-R. : Pour certaines de vos oeuvres, vous avez travaillé réellement comme les Africains, vous avez joué sur des clairs et des foncés.

M.U. : Oui.

 

J.S-R. : Pour les parties foncées, vous avez teint le bois ?

M.U. : Je les ai brûlés. Quand je fais mon feu de cheminée, dès qu'un tison est rouge, je le passe sur le bois qui devient noir. Ce sont des procédés un peu artisanaux !

 

J.S-R. : Et avec un seul tison, vous arrivez à faire toute une bande régulière, comme sur l'une des surfaces ?

M.U. : Naturellement, cela me prend des heures ! Le temps de remettre le tison au feu, le repasser sur le bois… cela me prend tout l'après-midi.

Mon bois est du bois blanc, donc très léger, ce qui fait qu'il brûle très vite ! Si j'avais fait la même expérience avec un bois d'amandier, il n'aurait pas brûlé aussi vite. Tout dépend du bois que j'ai choisi !

 

J.S-R. : Vous décidez donc du motif que vous allez composer, en fonction de ce que vous savez du bois ?

M.U. : Voilà. Selon que le bois répond ou non au couteau, je peux creuser ou rester en superficie. Sinon, je n'arrive pas à creuser, et même je mets la structure du bois en danger. C'est le bois qui me dit dans quel sens je dois aller.

 

J.S-R. : Je vois que sur tous les personnages que vous avez accrochés, vous avez laissé les bouches ouvertes ; par contre pour ceux qui sont posés, les bouches sont travaillées. Ne me dites pas que les dents faisaient partie du bois originel !

M.U. : Non, non ! Les dents sont en aubier vif. L'aubier est la partie de l'arbre qui se trouve sous l'écorce, avant le cœur. L'if est un bois rouge ; mais on trouve du blanc avant l'écorce, et c'est un blanc qui rend bien. Les yeux blancs, ce sont des galets de la Durance. Et le noir est une graine d'acacia coupée en deux. Cueillie à Marseille, dans un parc pour enfants où je gardais ma petite fille.

 

J.S-R. : Tous ces détails sont importants ? Ou vous auriez aussi bien pris des graines d'acacias ailleurs ?

M.U. : Ailleurs, oui. Jusqu'à ce jour-là, je n'en avais jamais vu ; et depuis j'ai du mal à en trouver.

 

J.S-R. : Revenons à vos œuvres. Pourquoi choisissez-vous de mettre des dents à certains personnages ; et à d'autres pas ? D'autant qu'ils n'en ont que deux !

M.U. : Je me suis rendu compte que certains avaient toutes leurs dents, parce que je trouve que les dents en ivoire sont très belles ; mais que ceux qui n'avaient que deux dents étaient beaucoup plus remarqués ou remarquables ! Ce qui confirme que les gens bizarres sont toujours regardés !

 

J.S-R. : Vous n'avez jamais eu de problèmes à travailler le bois d'if où tout est poison ?

M.U. : Ce sont des ifs que je trouve au bord des chemins ou dans les ruisseaux et qui ont passé des dizaines ou des vingtaines d'années déjà morts ; qui ont tellement d'âge que, peut-être, les substances toxiques ont disparu ?

 

J.S-R. : Ce travail qui est donc du travail de récup', vous pensez que c'est de l'artisanat ou de l'art ?

M.U. : Ce n'est pas de l'artisanat. Je pense que c'est de l'art, parce que le principal de cet art, c'est le bois qui l'a fait ! Je ne suis là que pour mettre en relief ce que la nature m'a montré. La forme est déjà là, et je ne fais que l'accentuer. Mettre en lumière le travail de la nature. C'est en fait un art paresseux, parce que le vrai sculpteur travaille, lui, transforme le matériau pour en faire une œuvre originale.

 

ENTRETIEN REALISE DANS LA SALLE DES FETES DE SAINT-PAUL LE JEUNE, AU COURS DU FESTIVAL BANN'ART, LE 11 MAI 2013.