LUDOVIC DAMAY, sculpteur

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Ludovic Damay, quand je vois votre travail, je me dis qu'il s'agit presque d'un vide-greniers…

Ludovic Damay : Oui, ce pourrait en être un ! Il y a là, en effet, des choses qui ont été collectées dans des vide-greniers. Mais l'idée est plutôt de faire un Cabinet de Curiosités pour toutes ces créatures que l'ont peut appeler des "cryptides", parce qu'elles viennent de la cryptozoologie (¹).

Beaucoup de recherches ont été effectuées. Il y a des maîtres dans cet univers. Certains ont écrit des livres comme Bernard Heuvelmans qui est un peu le père de la cryptozoologie puisqu'il a vraiment donné ses lettres de noblesse à cette discipline.

Ce que je présente ici serait de la cryptozoologie, mais un peu différente, parce que je présente un univers qui n'est pas connu. Ce sont des animaux qui pourraient sans doute exister. Mais pas ici. Nous rappellerons des animaux qui peuvent être là, des apparentés, des familles, poissons ou mammifères, insectes, etc.

 

J.S-R. : Vous montrez ici des animaux qui, même s'ils n'existent pas dans la réalité, ont l'air plus vrais que vrais. Où vous procurez-vous ces fourrures… Est-ce que vous les reconstituez complètement à partir d'éléments disparates ? Ou bien est-ce que vous trouvez des squelettes à partir desquels vous les créez ?

L.D. : Tous les matériaux pourront avoir une utilité puisque je peux mélanger du minéral avec du végétal, etc. Toutes les combinaisons sont possibles, il n'y a aucun interdit. Tout de même, il y a des choix lorsque l'on veut utiliser des matériaux organiques. Prenons l'exemple d'un petit animal qui a des pinces de crabe, on va souvent ajouter des terres, des pâtes à modeler… on va les faire cuire au four, ou les laisser sécher…

 

J.S-R. : Quand vous dites "on", c'est parce que vous travaillez à deux ?

L.D. : Oui, ma femme collabore souvent. Elle m'aide dans les teintures. Elle a aussi sa perception personnelle, et du coup elle m'est précieuse.

 

J.S-R. : Vous avez donc des animaux qui semblent vivants. Leurs yeux, en particulier, sont féroces. Où vous les procurez-vous ?

L.D. : C'est un taxidermiste qui travaille aussi pour des musées. La taxidermie est une très vieille discipline. Vous parliez tout à l'heure de vide-greniers, j'y trouve souvent des étoles que les dames portaient au siècle dernier…

 

J.S-R. : A chaque fois, vous les avez formés comme s'ils étaient vraiment vivants ! Ces trompes que vous leur mettez parfois, c'est pour qu'ils ressemblent à certains animaux connus, comme le tapir, par exemple ? Ou c'est au contraire tiré uniquement de votre imagination ?

L.D. : Quand je fais cela, je n'invente pas grand-chose : il y a des fourmiliers, des éléphants, des insectes qui disposent de trompes. Finalement, tout est déjà sous nos yeux ! Ce qui est ici, c'est mon interprétation de ce qui existe déjà. Il n'y a pas vraiment de création. La nature le fait déjà très bien ! Si je parviens à leur ajouter des textures végétales ou animales, j'obtiens quelque chose de surprenant.

 

J.S-R. : Quand vous laissez un animal à l'état de squelette, c'est pour montrer aussi la mort ?

L.D. : C'est un vrai squelette. Un squelette d'autruche. Rien à voir avec la mort. C'est une créature qui pourrait exister. Il porte accroché un insecte. Ce pourrait être un exosquelette, et serait donc vivant.

 

J.S-R. : Vous présentez vos créatures en vrac, si j'ose dire. Vous est-il déjà venu à l'idée d'installer votre planète et de les placer dessus en les organisant en fonction de leurs possibles relations ? En fait, faire une installation ?

L.D. : Oui. Aller plus loin. Dire où ils se trouveraient géographiquement. C'est un peu l'idée : un explorateur qui aurait pu rapporter toute cette faune au début du siècle dernier, à l'époque où l'on pouvait encore penser que le monde réservait bien des mystères… Toutes ces expéditions qui sont parties à la recherche du yéti, du monstre du Loch Ness… Prouver l'existence de mammouths résiduels dans des endroits non encore explorés. La diversité des animaux présentés parle de tout cela. Tout le monde a vécu, enfant, des aventures, trouvé des trésors… C'est tout cela !

 

J.S-R. : A Châteaudun, près de Chartres, dans le même esprit, il y a eu un explorateur qui rapportait des oiseaux. Il en a fait don à la ville et il y a depuis ce temps un Musée des Oiseaux. C'est bien l'attitude que vous venez de décrire ?

L.D. : Oui, oui !

 

J.S-R. : Il y a longtemps que vous avez commencé cette collection ? Car il s'agit bien d'une collection ?

L.D. : C'est assez récent. Mais je fais depuis vingt-quatre ans du modelage et de la sculpture. Cette collection est exposée pour la première fois.

 

J.S-R. : Vous avez aussi des archéoptéryx…

L.D. : Ce seraient plutôt des petits reptiles ailés. Pas vraiment des dragons.

 

J.S-R. : Avec tous ces beaux et étranges animaux que vous avez, vous n'avez jamais eu l'idée de créer un conte qui les ferait vivre ?

L.D. : Tout est possible ! Il y a là la matière, et on peu s'amuser avec de bien des façons ! Partir d'une créature pour raconter une histoire. La situer dans un temps, un univers… Oui, tout cela est possible. Mais je n'ai pas encore eu le temps de faire tout cela ! Un jour, peut-être ?

 

J.S-R. : Vous devez avoir une grande maison ou un grand atelier pour héberger toutes ces créatures ?

L.D. : Oui ; et une bonne organisation pour ne rien briser parce que certains animaux sont fragiles. Mais il faut que la présentation soit cohérente ; qu'elle s'adresse à tout le monde. Que ce soit aussi parlant qu'un marsupilami ou un Gremlin !

 

J.S-R. : C'est en pensant à tous ces films qui ont été tournés avec des animaux imaginaires que je vous posais la question concernant le conte !

L.D. : Récemment un ami me parlait de Popeye qui est très ancien. Déjà, une petite créature surréaliste l'accompagnait. En littérature, on pourrait retrouver les lutins, les fées. En fait, ces créations permettraient de retrouver tout un monde féerique. Cabinet de curiosités, donc, mais sur la cryptozoologie !

 

ENTRETIEN REALISE DANS LA GROTTE DU ROURE DE BANNE, AU COURS DU FESTIVAL BANN'ART, LE 11 MAI 2013.

 

(¹) la cryptozoologie est un domaine de la biologie qui étudie les animaux dont l’existence n’est pas avérée. L’exemple du yéti est celui illustrant le mieux cette discipline, mais on peut également citer la monstre du Loch Ness.

Les cryptozoologues se basent bien souvent sur des témoignages, des découvertes d’ossements atypiques ou sur des photographies dont la valeur est contestable pour appuyer leurs dires.