ABIY GEDIYON, dit Abiy , Peintre

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Abiy Gediyon, vous êtes d'origine éthiopienne. Vous vivez en France depuis longtemps ?

Abiy : Depuis 2008.

 

J. S-R. : Vous parlez un français impeccable !

A. : J'essaie, du moins !

 

J. S-R. : Si vous êtes éthiopien, il ne reste pas grand-chose de votre Ethiopie dans vos œuvres ! Elles me semblent se situer plutôt dans une banlieue française !

A. : Ah bon !? Je ne sais pas quelle image vous avez de l'"Ethiopie ; mais je n'ai pas eu l'intention de faire des tableaux de là-bas ! J'essaie de faire des tableaux qui viennent de l'intérieur de moi. Nous sommes en France, chacun est forcément influencé par le lieu où il habite.

Mais je crois quand même que l'on retrouve des traces de mon pays. Parce que j'ai vécu presque toute ma vie là-bas. Je ne fais pas exprès de le faire, mais je pense que l'on trouve des couleurs, des atmosphères d'Ethiopie, mêlées aux atmosphères d'ici. Chacun est un témoignage des périodes de vie, donc je pense que les deux sont dans mes œuvres.

 

J. S-R. : A part l'un de vos tableaux où l'on pourrait se demander si ce sont des Blancs ou des Noirs, Il me semble que tous vos autres personnages sont blancs. Alors, est-ce que vous n'êtes plus sur vos œuvres ?

A. : Même quand j'étais en Ethiopie, je n'ai jamais calculé par rapport aux couleurs que doivent avoir ces personnages. Je mets les couleurs qui me semblent convenir en fonction du thème que j'ai choisi. Les gens blancs, les gens noirs : ce n'est pas par rapport à cette notion que je travaille, c'est par rapport à la composition. Ici, ils sont donc un peu verts, là ils sont jaunes, mais jamais blancs !

 

J. S-R. : Ce que l'on peut dire, en tout cas, c'est qu'à part un petit personnage qui remplit tellement l'espace qu'il n'y loge même pas complètement, tous vos personnages sont en groupe. Il y a un instinct grégaire de leur part à tous !

A. : C'est souvent vrai, en effet. Il y aurait, je pense une explication, c'est le fait qu'en Ethiopie, on vit en famille, en groupe. On est toujours avec des gens. Peut-être que cela a joué dans mes choix. Maintenant, je suis dans la campagne, tout seul, pas entouré. J'habite seul. Peut-être est-ce le manque d'entourage qui m'amène à peindre des groupes ?

 

J. S-R. : D'autant que chaque groupe comprend une mère –à tout le moins un personnage féminin- qui emmène tout son petit monde autour d'elle.

A. : Je n'ai jamais connu mon père, il est mort quand j'étais trop jeune pour m'en souvenir. Je ne connais donc que ma mère. Mais comme je vous l'ai dit tout à l'heure, je ne reproduis jamais ma réalité dans mes tableaux. Mes tableaux ne sont pas faits pour me représenter. Mais malgré cela, je pense que tout ce que j'ai vécu ressort dessus. Même si je n'en suis pas conscient. Sans doute le fait que j'aie été élevé par ma mère explique-t-il que je peins rarement des hommes ; ce sont toujours des enfants ou des femmes. Mais jusqu'à présent, je n'ai jamais cherché à comprendre mes motivations.

 

J. S-R. : En tout cas, quels qu'ils soient, vos personnages ont profondément le sens du groupe. Ils sont parfaitement intégrés au groupe. Ils sont là, et apparemment ils y sont bien.

A. : C'est une question difficile pour moi. Je joue toujours avec les couleurs et les compositions. Sans calculer vraiment de raconter une histoire. Mon vécu est là d'une certaine façon, mais sans jamais être précis sur un sujet donné.

 

J. S-R. : Il y a quelque chose d'autre, qui est récurrent dans vos tableaux : c'est le véhicule. En général, ce sont des vélos, donc des véhicules très rudimentaires. Mais il n'empêche que vos personnages sont tous en train d'aller quelque part. Où vont-ils ?

A. : C'est la question vraiment intéressante ! On ne sait pas où l'on va ! J'ai vécu ma vie sans savoir que je viendrais ici. Et je ne sais même pas où j'irai après. Pour moi, on est toujours dans un mouvement d'aller quelque part. A l'arrivée, pour être mère, être père, avoir un but précis. Mais ce peut être aussi aller vers la mort, vers la dépression… Etre constamment en mouvement.

 

J. S-R. : Par opposition ou complément –à vous de me le dire- à ces personnages qui sont en groupes, vous avez un tableau où ne figurent que des habitations hyper groupées, et l'autre où ne sont que des voitures. Les vélos ou les voitures vous emmènent quelque part, nous venons de le dire. Mais les maisons vous retiennent quelque part ! En même temps, elles sont composées sur le même principe.

A. : Non, pas vraiment. Je travaille souvent par thèmes : à un moment, j'ai travaillé sur des scènes de vie ; à un autre moment sur des portraits. En ce moment, je suis sur les tableaux qui parlent des mouvements dans les transports. Au moment où je travaillais sur l'habitat, j'essayais de comprendre pourquoi il nous fallait être regroupés, vivre tous ensemble. Mais cela ne veut rien dire. Parfois on construit une ville pour permettre aux gens d'être tous ensemble et leur faciliter la vie. Mais souvent, ce n'est pas ce que l'on ressent, on ne connaît même pas le voisin qui habite sur le même palier. C'était ce problème qui m'inspirait lorsque je travaillais cette période-là. Mais comme je vous l'ai dit, je n'ai jamais une idée précise à expliquer à mes interlocuteurs. J'essaie d'évoluer dans mon travail, de partager ces moments-là. Mais je n'essaie pas de transmettre un message précis.

 

J. S-R. : Dans l'un de vos petits tableaux, vous avez un fond signifiant. Tous les autres fonds sont non signifiants. Dans les grands tableaux, vous avez simplement mis des ronds, quelquefois des espaces très nettement abstraits… Pourquoi ces petits ronds ? Qu'ajoutent-ils ?

A. : C'est juste une façon de travailler, d'équilibrer les couleurs…

 

J. S-R. : Vous voulez-dire que c'est du bouche-trou ?

A. : Non, ce n'est pas cela. Je savais ce que j'allais mettre, c'est pourquoi ils sont là.

 

J. S-R. : Mais pour vous, qu'apportent-ils ?

A. : Ils apportent la composition, l'équilibre. Et en même temps, le rond a une signification : C'est une forme parfaite. Et l'ensemble des ronds crée une sorte de mouvement qui s'ajoute à celui des personnages. Il y a toujours une raison qui m'amène à mettre quelque chose sur le tableau.

 

J. S-R. : Y a-t-il d'autres thèmes que vous auriez aimé traiter et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

A. : Pour moi, la meilleure façon de comprendre mes œuvres est de parler de moi en général. Et à partir de là, comprendre qui je suis, ce que je représente. Pour moi, c'est cela le plus important.

 

J. S-R. : Vous voulez dire que mes questions vous ont ennuyé ?

A. : Non, ce n'est pas par rapport à vos questions. Une interview de cette sorte apporte toujours quelque chose. Je ne sais pas vraiment comment répondre à ces questions.

 

J. S-R. : Mais, dans la mesure où vous avez une culture différente de la nôtre, Il n'est pas évident d'y entrer si nous l'avions faite comme le dictait votre culture. Ce qui est surprenant, c'est que certains détails que nous évoquons à instant, nous rappellent votre passé ; alors que si l'on ne savait pas que vous êtes éthiopien, la plupart de vos œuvres ne nous emmèneraient pas vers vos origines. C'est le mot "surprenant" qui m'intéresse.

A. : En même temps, je ne donne jamais de titres à mes tableaux. Et il arrive souvent que les gens interprètent mes œuvres autrement que je ne les vois. Quelqu'un m'a parlé de l'Asie, par exemple. Où je ne suis jamais allé.

 

J. S-R. : Peut-être vos yeux bridés ?

A. : Ou les transports en commun, en Asie ? En tout cas, pour moi, je resterai toujours éthiopien, parce que c'est imprimé en moi. Ce n'est pas quelque chose que je vais perdre, parce que c'est ce qui a créé qui je suis maintenant. Mais en tant qu'artiste, je suis influencé par ma vie actuelle, je suis un témoin du présent. Je laisse des traces du pays où j'ai vécu. Même la lumière, les plantes, les façons d'être des humains en font partie.

 

J. S-R. : Et si ce n'est pas indiscret, qu'est-ce qui vous a amené en France ?

A. : C'est personnel ! C'est l'amour !

 

ENTRETIEN REALISE A CHANDOLAS, AU COURS DU FESTIVAL BANN'ART, LE 11 MAI 2013.