MICHEL PHILIPPON, sculpteur

Entretien avec JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Michel Philippon, êtes-vous depuis longtemps "dans" l'Art singulier ?

Michel Philippon : Depuis l'âge de neuf ans. Et j'ai soixante-six ans !

 

J. S-R. : Et que faisiez-vous, enfant, qui vous fait dire maintenant, qu'à l'époque vous "faisiez de l'Art singulier" ?

M.Ph. : Rien de spécial. Je n'ai pas beaucoup changé depuis, sauf que j'ai acquis et empilé un certain nombre de connaissances supplémentaires, de techniques, etc. Mais déjà, j'étais sans cesse en train de fouiner partout, récupérer des petits bouts de ceci ou cela ; et je commençais à combiner des objets de récupération. Tout simplement.

 

J. S-R. : Si je regarde vos œuvres, à part quelques dessins, diriez-vous que vous faites des sculptures presque plates ou des peintures en relief ?

M.Ph. : C'est plus grave que cela, dans le sens où j'ai fréquenté de quinze à vingt ans, un certain nombre d'écoles qui m'ont permis d'apprendre tout ce qui était Art graphique, gravure, litho, etc. en complément de ma formation première qui était plus plasticienne. A partir de là, j'étais capable de toucher à tous les matériaux, et de faire ce que je voulais. Ce que j'ai fait, puisque j'étais directeur de Centres culturels de cinéma et de théâtre. Je peux aussi bien présenter des travaux un peu classiques que des travaux d'Art moderne.

 

J. S-R. : Et votre cœur penche vers lequel ?

M.Ph. : Il est fait de mille facettes. J'estime que chaque matériau a son esthétique : et à partir de là, je n'ai plus qu'à imaginer l'esthétique possible avec le matériau que j'ai choisi.

 

J. S-R. : Art-Récup', bien sûr ?

M.Ph. : Absolument.

 

J. S-R. : Je vois du métal, du bois, ce qui me semble être des emballages d'œufs…

M.Ph. : Oui. Du verre aussi, de la terre… Mais là, ce ne sont essentiellement que des matériaux recomposés.

 

J. S-R. : Qu'entendez-vous par "recomposés" ?

M.Ph. : Je les utilise tels que je les trouve. Je n'y touche pas. Je ne fais que les peindre, les coller les uns sur les autres..

 

J. S-R. : Sur quelques-uns, je retrouve la trace du passage du temps. Sur d'autres, comme la femme africaine, vous avez caché ce passage.

M.Ph. : C'est un monsieur, le Monsieur à la Rose. Il est tout en béton et en tuile.

 

J. S-R. : Donc, là, vous cachez les matériaux d'origine.

M.Ph. : Pas tout à fait, parce que je les laisse dans leur forme. Je ne les ai ni martelés, ni rabotés… Je n'ai fait qu'en coller les éléments.

 

J. S-R. : Qu'est-ce qui fait que pour certains vous les laissez "crus" ; tandis que vous peignez les autres, vous les cachez sous de belles dentelles, etc. ?

M.Ph. : Parce que cela me semble évident, c'est tout. Ce n'est pas plus embêtant que cela !

 

J. S-R. : C'est le matériau qui appelle votre réaction ?

M.Ph. : Oui. La forme qui demande un graphisme, qui appelle de la peinture…

 

J. S-R. : Que faut-il pour que deux matériaux vous semblent, à l'évidence, prêts à cohabiter ?

M.Ph. : Je n'en sais strictement rien. Je fais des tas de ferrailles, de pierres… Une fois qu'ils sont là, certains sont restés dans le tas pendant vingt ans. D'autres ont été utilisés presque immédiatement. Je passe tous les jours devant ces tas ; jusqu'au jour où l'un d'eux me semble propice à être utilisé avec telle autre forme. Et c'est ainsi que l'œuvre se construit. Toutes ces œuvres sont des constructions ; sauf quand je travaille la pierre, où c'est de la destruction. Parce que, là, je vais taper dedans jusqu'à ce que j'aie la forme que j'ai décidé d'avoir.

 

J. S-R. : Vous concevez donc ces œuvres selon deux courants de pensée complètement différents ?

M.Ph. : Je suis gémeau ! Mais non, ce ne sont pas deux courants de pensée différents, c'est une évidence par rapport au matériau que je travaille.

 

J. S-R. : Pratiquement tous vos personnages sont humanoïdes. Certains sont complètement stylisés : l'un me semble même directement inspiré de Jean Cocteau ?

M.Ph. : Vous savez, nous sommes tous des enfants de Cocteau, Picasso…

 

J. S-R. : Pour d'autres, je ne vois aucune influence, vous voilà donc sauvé de ce côté-là !

M.Ph. : Ce n'est pas un problème pour moi. Je crée en fonction de mes compétences. Ce qui fait que si je fais ces choses-là maintenant, je ne les aurais pas faites à vingt ans !

 

J. S-R. : Vous pensez donc que la culture que vous avez acquise influence vos choix ?

M.Ph. : Absolument ! tous ces acquis font que je réalise les choses beaucoup plus vite ; que je fais mes choix de compositions possibles beaucoup plus vite:

 

J. S-R. : Vous allez me dire que c'est votre gémellité ! Il me semble quand même que vous avez effectué une ségrégation évidente, c'est que du côté où nous sommes vos matériaux sont nets, bien découpés ; alors que côté soleil, ils sont complètement corrodés.

M.Ph. : Oui, c'est vrai.

 

J. S-R. : Quand vous mettez votre petit personnage dans un cadre sur lequel vous avez travaillé, pourquoi, lui, a-t-il eu droit à un cadre ?

M.Ph. : Parce que c'est un petit enfant. Il fallait donc qu'il soit bien encadré ! Qu'il soit sur une couverture. Celui-là est conçu avec humour.

 

J. S-R. : J'aurais plutôt dit tendresse !

M.Ph. : Oui, on peut associer les deux.

 

J. S-R. : Pour terminer, y a-t-il des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ? Des thèmes que vous auriez aimé aborder et que nous n'avons pas visités ?

M.Ph. : Nous pourrions parler un peu de mon travail graphique. Je suis aussi graphiste. J'ai apporté ce travail, parce qu'il est à base de sachets de thé. Qui sont un peu colorés et que je laisse déposer sur les feuilles de papier. Puis, quand c'est bien sec, je travaille par rapport à la forme directement sur la couleur, au stylo-plume. Je trouve que c'est une démarche risquée, parce que si je rate tout est raté. Mais c'est ce risque qui est intéressant. Et puis, c'est un travail graphique qui est rigolo et qui demande beaucoup de concentration, d'imagination, et une grande rapidité de trait.

 

J. S-R. : Il me semble qu'ils sont conçus dans un esprit différent de vos sculptures, parce que vos sculptures sont toutes en élongation, alors que vos petits personnages sont très tassés. Je suppose que, partant de petits sachets de thé comme vous l'avez dit, vous n'avez pas pu leur donner le même air élancé ?

M.Ph. : Cela nous ramène à ce que j'ai dit tout à l'heure, que chaque matériau a son esthétique.

 

J. S-R. : Si je regarde la feuille de papier blanc, je ne vois pas que ce sont des collages !

M.Ph. : Ce ne sont pas des collages! Quand l'eau des sachets a été déposée sur la feuille, j'ai enlevé les sachets et j'ai dessiné sur les traits déposés !

 

ENTRETIEN REALISE A MARSAC LORS DE LA RENCONTRE INTERNATIONALE D'ART SINGULIER, LE 6 JUILLET 2013.

 

Voir aussi : Entretien avec Jeanine Smolec-Rivais, http://jeaninerivais.jimdo.com/ festivals Bann'Art 2012. Concernant des œuvres dans un registre complètement différent.