ALAIN PLATET, sculpteur

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Alain Platet, est-ce que je peux dire que vous êtes "africanisant" ?

Alain Platet : Qu'entendez-vous par là ?

 

J.S-R. : Vos œuvres me font penser à des boucliers africains, des barques africaines, etc.

A.P. : On me l'a déjà dit, mais ce n'est pas forcé ! C'est un travail spécial que j'ai apporté pour le festival. Mais je ne fais pas que ces sortes de sculptures. Il est vrai que ces œuvres-là ont une connotation "ethnique". Mais ce n'est pas ma préoccupation principale.

 

J.S-R. : Dans ce cas, pourquoi les avez-vous apportées ?

A.P. : Parce que c'est mon dernier travail, et je pensais intéressant de le montrer.

 

J.S-R. : Ce sont des œuvres très grandes. Vous travaillez toujours ainsi, en grandes dimensions ?

A.P. : Oui, et de plus en plus grand. J'ai un nouvel atelier, très grand, qui me permet cela. C'est comme les poissons : vous les mettez tout petits dans un aquarium. Vous les transférez dans un bassin, ils grandissent. Il en va de même pour moi. Maintenant que je suis dans un grand atelier, je fais des œuvres de plus en plus grandes, de plus en plus intransportables. Et immettables chez les gens.

 

J.S-R. : L'un de vos objets m'a fait penser au périscope d'un sous-marin, bien que je me doute qu'il n'en est rien. Mais comme je n'arrive pas à le définir, dites-moi ce que c'est ?

A.P. : Ce travail est parti d'un tamis. C'est l'objet qui m'a amené à réaliser cette œuvre. J'ai pris une plaque de tôle que je martèle, de façon à la modeler petit à petit. C'est du métal neuf que j'achète. J'utilise un marteau très dur qui permette de marquer nettement son impact sur la tôle.

 

J.S-R. : Vous martelez sur l'envers ?

A.P. : Oui, pour faire le relief. Il prend peu à peu la forme arrondie. Et comme, au départ, je l'avais découpé en ovale, il a pris cette forme finale. La plupart du temps, je découpe en dents de scie, avec un appareil spécial et au final, cette forme, je l'ai appelée "Burka".

Ce qui est amusant, c'est que le nom m'est venu facilement, quand je l'ai eu fini. A ce moment-là, on parlait beaucoup de la burka aux actualités. Et, quand je montre cette œuvre lors d'expositions, beaucoup de gens me disent qu'elle leur fait penser à une burka.

 

J.S-R. : Je n'y aurais pas pensé parce qu'elle est trop étroite ! Il n'y a pas de place pour des épaules. Seriez-vous tortionnaire, par-dessus le marché ?

A.P. : N'oubliez pas que, dans la burka, les femmes sont complètement coincées, qu'elles ne peuvent pas bouger !

 

 

J.S-R. : Une autre de vos œuvres est composée à partir d'une scie de scieurs de long. Est-ce un appareil de musique ?

A.P. : Pas du tout !

 

J.S-R. : Décidément, j'ai tout faux !!!

A.P. : C'est une scie, en effet. J'ai travaillé pendant longtemps sur les scies. Le côté agressif de la scie m'attire ! Le côté coupant. Je trouve très belle la découpe de la scie. J'ai travaillé avec des morceaux de ceps de vigne parce que je suis aussi très attiré par les éléments de la vigne. Et les petits liens qui sont sur le côté sont des petits liens anciens qui ont vieilli avec le soleil et la pluie et qui sont devenus roses ou blancs, alors qu'ils étaient rouges au départ. Ce ne sont donc que des éléments de vigne sauf la scie. J'ai trouvé que l'assemblage était intéressant. Mais je ne me pose pas plus de questions. Il s'agit simplement pour moi de détourner un objet de sa fonction. Ici, la scie. Après, chacun pense ce qu'il veut. Mon seul problème est de bien assembler les objets. Que l'assemblage soit harmonieux, esthétique, et qu'il "fonctionne" bien. Que lorsque quelqu'un le voit, l'harmonie soit pour lui évidente.

 

J.S-R. : Je déclare forfait pour définir les autres !

A.P. : Pour moi, effectivement, ce sont des boucliers. Des gens y ont vu des masques, d'autres des pirogues ! Chacun a une forme dans la tête qui est prête à surgir. Beaucoup pensent à des boucliers parce qu'ils en ont déjà vu de très proches. Et la couleur et la matière amènent à conclure que c'est tribal. Africain. Pourquoi pas ? Mais quand j'ai fait ces œuvres, je n'avais pas cette idée en tête ! Hier, en installant mes lumières sur les œuvres, j'écoutais attentivement les commentaires. Et j'ai entendu une dame dire à son mari : "Je te dis que c'est un Black qui a fait ça !". J'étais un peu gêné, moi tout blanc sur mon échelle ! Et tout à coup, elle me demande si je connaissais l'artiste ? Je lui ai dit : "Je risque de vous décevoir, mais c'est moi !". Et effectivement, je l'ai un peu déçue de ne pas être un grand Noir ! Du coup, ils sont repartis un peu vexés.

 

J.S-R. : Ce que je trouve impressionnant, c'est la patience qu'implique le nombre de petites coches qui se trouvent sur chacun…

A.P. : Oui, il me faut plus d'une semaine.

 

J.S-R. : Je le crois volontiers. Par contre, sur l'un d'eux, vous avez laissé des passages plus clairs. Comment les avez-vous faits ?

A.P. : Le support est traité avec des produits qui attaquent le métal. Ou alors, je stocke les tôles dans l'herbe pour que le dessin des herbes, des végétaux se grave dessus. J'essaie de trouver diverses techniques pour marquer le fer. A l'origine, il est brillant parce qu'il est tout neuf. Petit à petit, je le vieillis. Mais pas simplement en le laissant à l'eau, à la rouille en laissant faire le temps. J'essaie d'agir là-dessus. Pour y créer des graphismes, des entrelacs… Même si c'est très léger, je veux toujours investir la matière.

 

J.S-R. : Et comment faites-vous les petites boules autour ?

A.P. : Les boules sont de la récup'. Sur ces grandes pièces brutes, j'ai toujours besoin de rajouter de petits détails. Sur certains, je me suis amusé à faire avec des petits poinçons, des petits trous.

 

J.S-R. : C'est vraiment un jeu de patience !

A.P. : Mais je passe plus de temps à faire tous ces petits détails. Et j'aime le labeur, j'aime bien travailler le bois d'arbousier en enlevant l'écorce au cutter. Je l'épluche pendant des journées et des journées ! Je pourrais le faire avec des machines, mais cela ne m'intéresse pas ! Et ce travail artisanal se retrouve dans l'aspect final du bois qui serait complètement différent à la machine. Ce qui m'intéresse, c'est ce travail. Tous ces petits détails que j'ajoute. Chaque fois que je fais des œuvres imposantes, un peu brutes, un peu difficiles d'approche, j'ai besoin de rajouter toutes ces petites choses.

 

J.S-R. : Quant au décolleté de votre "personnage", qui est tout vermiculé, comment l'avez-vous réalisé ?

A.P. : Ce décolleté est du pneu, c'est de la chambre à air. La partie pointue est faite de perles en bois. Pour le reste, c'est du fer qui a été traité d'une certaine manière avec un appareil plasma qui permet de le découper. Cela fait des sortes de trous de vers !

En fait, tout est en fer, mais travaillé différemment. Du coup, par endroits, il donne l'impression de bois, ailleurs d'un autre matériau…

 

J.S-R. : Et la petite merveille, le bouclier suivant…

A.P. : C'est le bouclier pour les enfants. Parce que les enfants vont à la chasse, aussi ; et ils se battent. Celui-ci a été travaillé différemment : il a été à l'intérieur tout ajouré avec l'appareil qui permet de travailler le fer. Il y a ensuite des ajouts de pièces en cuir qui viennent de harnachements de chevaux. Et puis, au milieu, il y a toujours de l'arbousier…

 

J.S-R. : Mais vous êtes d'origine corse ?

A.P. : Non, pas du tout, je viens de Toulouse. Mais je vis en Ardèche depuis des années, et il y a beaucoup d'arbousiers. Mais je ne tue pas les arbres. Je ne prélève que ceux qui sont déjà morts, bien secs. L'arbousier est un bois très dur, très difficile à travailler. Par contre, il a un intérêt, c'est qu'il ne sera jamais attaqué par les bestioles. Je mets tout de même des produits pour que les gens n'aient pas de soucis, mais je le trouve très sec, très dur et pas du tout abîmé. Ce bois vermoulu n'existe pas ! Et un autre intérêt, c'est qu'il n'est jamais droit. J'ai horreur des bois droits.

 

Quant au petit dernier, il est formé de bobines de fil, et de divers éléments de harnachement et de ceps de vigne. Il s'intitule "Osculatoire", un mot qui a rapport à la religion (¹) J'aime aussi, dans certaines de mes œuvres, le côté religieux, le côté mystique. .

 

J.S-R. : Vous avez beaucoup parlé de la vigne. Je m'étonne qu'avec les éléments à votre disposition, vous n'ayez pas fait des mises en scènes autour de la vigne et du vin !

A.P. : Non, du tout. Cela ne me tente pas.

 

J.S-R. : Dans ce cas, vous parliez tout à l'heure de vos autres travaux qui n'ont rien à voir avec vos boucliers. Qu'est-ce que vous créez ?

A.P. : Je fais de la peinture, de la gravure, je travaille le bois, la pierre… Ce travail sur les boucliers a été circonstanciel. Néanmoins, quand on regarde l'ensemble de mon travail, il y a un lien. Mais je ne fais jamais de grandes quantités dans une série. Je peux être plus tard amené à retaper sur du fer, mais pas forcément pour faire des boucliers. Je peux faire beaucoup d'autres choses.

 

J.S-R. : Quelle définition donneriez-vous de vous-même et de vos créations ?

A.P. : Je suis un bricoleur !

 

 

            ENTRETIEN REALISE DANS LES ECURIES DE BANNE, LORS DU FESTIVAL BANN'ART LE 10 MAI 2013.

 

(¹) L'osculatoire, du latin osculum (le baiser), plus communément appelé baiser de paix, instrument de paix ou Agnus Dei, est un objet utilisé de manière facultative dans la liturgie catholique, d'usage peu répandu.

Pendant la célébration de l'Eucharistie, le baiser de paix est le rite liturgique qui précède la communion sacramentelle. En fonction des pays, des coutumes et des sensibilités chrétiennes, par une accolade, une poignée de main ou encore sur un osculatoire.

Il s'agit d'un objet de petite taille - une vingtaine de centimètres - en matériau noble (ivoire, métal, bois, etc.), dont la forme, variable, comporte généralement une base rectiligne qui permette de le faire tenir debout en l'appuyant sur une poignée, fixée au dos, destinée à en faciliter la préhension. Sur le recto de l'objet figure une représentation religieuse qui rappelle le sens du rite et l'origine de la paix qu'il transmet; le plus souvent il s'agit du Christ en croix, de l'Agneau de Dieu, du Sacré-Cœur de Jésus ou encore d'une représentation de la Nativité.