SOPHIE MILLOT ALIAS PHOSI, peintre

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Phosi, collages ? Uniquement collages ?

Phosi : Oui.

 

J.S-R. : Collages de quelle nature ? Et pourquoi ?

Phosi : Collages avec tout ce qui me passe sous la main ! Papiers, magazines, etc. Parce que j'aime coller ; j'aime les images que j'accumule depuis longtemps. Et que j'avais du mal à manipuler la peinture. Les couleurs des éléments que je découpe existent déjà, je n'ai donc plus qu'à assembler.

 

J.S-R. : Mais quand vous dites "les couleurs existent déjà", et que vous faites un personnage qui parfois prend beaucoup de place, placez-vous d'abord les principaux éléments et ensuite vous collez dessus le personnage ? Ou l'inverse ?

Phosi : Je compulse les images, je sélectionne toutes celles qui me plaisent. Je choisis sur une thématique, ou sur une esthétique. Ensuite j'assemble. J'ai en fait deux manières de faire. Parfois, je vais faire l'assemblage avant de coller. C'est plus compliqué, parce qu'après il faut que je déplace tout et que je remette en place en collant. Sachant que le personnage principal arrivera à la fin.

L'autre manière de faire est en improvisation. Le tableau est plus fragmenté, chaque pièce étant collée au fur et à mesure. C'est alors un jeu d'équilibre.

 

J.S-R. : A ce moment-là, vous n'avez plus de personnage central occupant une place prépondérante ?

Phosi : Cela dépend. Le personnage peut rester à côté jusqu'à ce que j'éprouve le besoin de le mettre. J'évolue avec toutes les images que j'ai sélectionnées, et à un moment donné, je vais le placer. Et remettre des choses dessus ou non.

 

J.S-R. : Vous parlez de journaux : c'est pour le côté glossy des pages ? Ou bien vous choisissez n'importe quel journal qui vous tombe sous la main ?

Phosi : Il faut que ce soient des papiers de qualité, parce que s'ils sont trop fins, ils ne donnent pas forcément un bel effet. Ou ils froncent, ce qui peut être intéressant, mais n'est pas toujours joli,

Ensuite, il y a la résine que je mets dessus et qui donne cet aspect brillant. Résine époxy.

 

J.S-R. : Il faut, en somme, que vous trouviez chaque élément, le découper, le placer et trouver l'élément suivant qui va convenir à côté de celui que vous avez déjà sélectionné ?

Phosi : Cela ne se passe pas tout à fait de cette manière. Quand j'ai suffisamment d'images –j'ai deux boîtes énormes remplies d'images- l'idée vient et je commence. S'il m'arrive –rarement, mais cela peut se produire- que je sois à court d'images parce que, comme dans le grand tableau devant nous, je veux du noir et blanc et du noir et blanc jauni, (c'est sur le thème du cinéma), je ne peux pas finir le tableau. Je ne choisis aucun papier au hasard !

 

J.S-R. : Que faut-il pour que dans cette progression, l'image suivante convienne ?

Phosi : Cela dépend. A un endroit, j'ai mis des rayures noires et blanches qui rythment un peu le tableau. Et j'ai travaillé sur l'éclatement, c'est-à-dire que je suis partie du centre pour aller vers l'extérieur. Et je veux que ce soit contrasté. D'où la nécessité d'images de grande qualité.

 

J.S-R. : Dans l'un de vos tableaux, vous avez mis beaucoup de têtes. Or, dans ceux qui ont un thème central, il y en a beaucoup moins. Est-ce que vous avez agi ainsi parce que le sujet était le cinéma ?

Phosi : Oui.

 

J.S-R. : Et ce sont tous des acteurs ?

Phosi : Et des metteurs en scène/réalisateurs, oui. Pour certaines choses, je suis la seule à savoir ce que c'est ! Par exemple, dans le coin gauche du tableau que nous venons d'évoquer, il y a la bouche d'Al Pacino ! Il y a ainsi une foule de détails non reconnaissables parce que j'ai coupé les yeux ou le reste du visage, etc.

 

J.S-R. : Quand vous découpez ainsi, vous faites apparaître ou disparaître selon votre gré, ou selon un rythme ?

Phosi : Plutôt selon un rythme. Cette recherche se fait plutôt par rapport au rythme de la toile. C'est le cas, en particulier, avec cette toile où j'ai collé des éléments similaires.

 

J.S-R. : Oui, je l'avais déjà longuement remarquée. On pourrait dire que le collage conçu par vous tient de la manie, mais sur cette toile, il s'agit vraiment d'une obsession ! Ce genre de collage est puissamment psychanalytique. Il y a près de Murano, une chapelle avec tout un mur couvert d'yeux ! Quand on l'observe, c'est vraiment impressionnant ! Il en va de même pour votre tableau ! Il faut vraiment une motivation particulière, d'abord pour trouver tous ces yeux ; et ensuite pour les coller comme vous l'avez fait !

Phosi : Je les ai collectés un par un. Et je suis en train de recommencer à en collecter, parce que je voudrais refaire un autre tableau dans le même esprit. Celui-ci est moins "mêlé". Je trouve que les yeux rendent un effet très impressionnant, en effet. Comme des petits poissons. Le principe du prochain serait de réunir des éléments qui, de loin, donnerait un effet esthétique, avec un rythme, un mouvement dans le tableau. Et plus mêlés de façon à ce que, de loin, on ne sache pas que ce seraient des yeux. Desquels il faudrait s'approcher pour s'en apercevoir. Je prends beaucoup d'yeux de magazines féminins. Mais évidemment, c'est un travail très long !

 

J.S-R. : Vous les découpez en gardant les paupières.

Phosi : Oui. Et je ne découpe que des yeux de femmes, parce que les yeux d'enfants et les yeux d'hommes ne se mêlent pas ; quelque chose ne fonctionne pas.

 

J.S-R. : C'est vraiment de la monomanie !

Phosi : Oui, tout à fait, mais dans ma boîte, il en va de même !

 

J.S-R. : Et vous avez analysé les raisons possibles de cette manie ?

Phosi : Il y a un fond d'intérêts dans ce que je fais sur le regard.

 

J.S-R. : En tout cas, celui-ci est vraiment un des plus originaux ! L'un des plus puissants !

Phosi : J'ai fait la même chose avec des bouches ! Et je voudrais faire la même chose avec des mains, mais je n'arrive pas à en trouver.

 

J.S-R. : Et toutes ces bouches gonflées au botox, vous les reconnaissez ? Est-ce possible de retrouver à qui elles appartiennent, à moins qu'il ne reste un morceau de visage ?

Phosi : Non, c'est impossible !

Un tableau comme celui avec la femme au visage déformé s'intitule "Princess, be strong" (Princesse sois forte). Et il me permet d'être moins fragile, par rapport au danger extérieur.

 

J.S-R. : Mais je trouve terrible de l'avoir ainsi mutilée ! Ce tableau est dur, parce que cette femme a des yeux tellement mélancoliques qu'on peut penser qu'elle a un gros chagrin ; et la question se pose de savoir si sa difformité en est la cause ?

En tout cas, ces deux derniers thèmes doivent être très prenants. Quand vous en avez fini un, vous devez avoir du mal à vous libérer de sa rémanence !

Phosi : Oui. Je ne suis pas encore vraiment séparée de ces deux tableaux !

 

J.S-R. : Tout de même, les autres, où les thèmes sont variés, doivent être beaucoup moins obsédants ?

Phosi : Oui, mais il y a des humeurs ! Par exemple, le "oui" au milieu" de tous les "non", est une humeur plus directe. Et puis, certains ont un aspect rétro, et je vais jouer avec les attitudes qui s'y rapportent. Parfois, je pars d'anecdotes, de petites histoires. Tout dépend de mon humeur. Certaines choses correspondent vraiment à ma nature, d'autres moins.

 

J.S-R. : Avez-vous déjà essayé de réaliser des compositions avec d'autres matériaux que le papier ? Avec des plantes séchées, toutes sortes de matériaux…

Phosi : Non, pour le moment je n'éprouve pas le besoin d'intégrer autre chose au papier. A un moment donné, je vais peut-être intégrer quelques reliefs, mais ce sera avec du carton.

 

J.S-R. : Pour certaines, il me semble que vous avez joué sur la publicité ? Ou vous vous êtes rapprochée des bandes dessinées ?

Phosi : C'est un peu mon univers. Je suis également metteur en scène et comédienne. Je fréquente une école de cinéma. J'aime infiniment les bandes dessinées dont je possède un très grand nombre. Certains tableaux ont d'ailleurs des "bulles".

 

J.S-R. : Vous avez déjà placé ces tableaux sur les murs de votre bureau, à votre lieu de travail ?

Phosi : Il y en a que je n'ai jamais montrés, parce que je les ai gardés : c'était trop personnel. Souvent, quand je regarde un tableau après coup, je me rends compte qu'il signifie pas mal de choses pour moi, et qu'il parle de la période où je vivais au moment où je l'ai réalisé. Heureusement, ce n'est pas toujours aussi évident !

 

J.S-R. : Vous voulez dire que certains tableaux ont été réalisés à un moment où vous étiez mal dans votre peau ?

Phosi : Pas forcément. Mais le choix des éléments se fait de manière instinctive, totalement subjective. Et, en collant, tout s'échappe. Comme une danse. Finalement, les choses s'assemblent avec une certaine raison. Qui devient plus flagrante encore quand on prend un peu de recul. En fait, ce sont des sortes de messages personnels.

 

ENTRETIEN REALISE DANS LES ECURIES DE BANNE, LORS DU FESTIVAL BANN'ART LE 10 MAI 2013.