STEPHANIE BESSON, alias FANN

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Stéphanie Besson, parlez-nous de votre itinéraire.

Stéphanie Besson : J'ai travaillé dans la photo et dans la publicité. En 2010, alors que je faisais des expositions depuis une dizaine d'années, j'ai pris le virage, et je me suis installée comme artiste indépendante. Je travaille principalement en technique mixte, c'est-à-dire collages et peintures ; et mon thème de prédilection, c'est le féminin. Le féminin plutôt voluptueux. Et comme je suis aussi très sensible à tout ce qui est typo, lettres et mots, j'en joue ; et depuis deux ans, je suis également revenue à la sculpture que je pratique depuis très longtemps. En transposant ma technique sur du volume, je fais des Nénettes en papier, parce que ma série de femmes s'appelle des Nénettes.

 

J.S-R. : Vous êtes donc en compétition avec Agnès Baron qui a réalisé des milliers de Nénettes. Mais, pour elle, ce sont la plupart du temps des têtes. Pas de corps.

S.B. : Je ne la connais pas, ni ce qu'elle fait. Moi, c'était un clin d'œil à Nikki de Saint-Phalle, en fait. Elle a fait ses nanas, moi je voulais des Nénettes !

 

 

J.S-R. : Cela m'évite donc la question suivante, que je voulais vous poser.

Mais concernant la femme, vous la mettez dans un contexte très contemporain, du fait qu'elle est sur des affiches, alors que de nos jours il est si difficile de s'en débarrasser, ainsi que de la publicité !

S.B. : Je travaille beaucoup d'après des modèles vivants, et je pars de mes croquis pour m'inspirer des poses, etc. L'idée, c'est de retrouver l'éternel féminin, avec une certaine sérénité et la symbolique de la femme. Je n'ai pas envie de les mettre dans un cadre très romantique… J'ai envie de les mettre dans notre monde actuel, au milieu des affiches, des couleurs vives, des coulures. Faire des choses de tous les jours, qui nous marquent quotidiennement. L'idée est donc l'éternel féminin au milieu de notre monde contemporain. "Un peu de douceur dans ce monde de bruts"…

 

J.S-R. : Vous n'avez jamais eu de remarques désobligeantes de la part de personnes qui penseraient que vous illustrez la femme-objet ?

S.B. : Non, pas du tout ! On me fait parfois des remarques parce que j'aime bien faire des femmes plantureuses. Mais en général, c'est plutôt apprécié ! Mais sur la femme-objet, jamais !

 

J.S-R. : Elles sont, effectivement, plantureuses ; et pour la plupart, elles sont très sereines.

S.B. : Oui, en fait, l'idée –comme dans mes sculptures, d'ailleurs- est de retrouver le côté Vénus ancestrale ; et la femme, éternelle Vénus se doit d'être un pilier de calme et de quiétude.

 

J.S-R. : En même temps, ces femmes ont généralement le buste assez fin, alors qu'elles ont des hanches larges. Sont-elles toutes prêtes pour la maternité ?

S.B. : J'aime beaucoup tout ce qui est sculptures ancestrales, la Vénus…

 

J.S-R. : La Dame de Brassempouy…

S.B. : Voilà ! Où les hanches sont exagérées. Mais le côté "grosse poitrine" n'est pas vraiment ce que je recherche, parce que ce n'est pas cela que je veux mettre en avant. C'est le côté stable, pérenne. Il y a certainement l'idée sous-jacente de la maternité. Je ne veux pas le "montrer" en tant que tel, mais je pense que c'est dans mon idée de la féminité.

 

J.S-R. : Par ailleurs, dans le cas où sa posture met son sexe tout à fait en avant, il est réduit au plus simple Y. Ce n'est pas un passage que vous avez travaillé plus que les autres ?

S.B. : Non, parce que je stylise beaucoup. J'ai beaucoup été influencée par la BD noir et blanc. Quand je fais un croquis d'après modèle vivant, mes dessins sont presque réalistes. Mais quand je les reprends ensuite, j'ai tout un travail de stylisation, où j'épure la forme, où je la retravaille, où j'essaie de retrouver des formes un peu éternelles, qui sont simples et évidentes.

 

J.S-R. : Venons-en à vos sculptures. Effectivement, elles sont conçues sur le même principe des hanches larges. Mais, en même temps, elles sont légères.

S.B. : Aériennes.

 

J.S-R. : Je n'irai pas jusque-là. Je dirai plutôt qu'elles sont très équilibrées. Elles ont la même sérénité que les peintures, mais en trois dimensions. Et surtout, il est possible d'en faire le tour et de les voir dans leur entier.

S.B. : Oui. J'en avais grande envie. Je fais beaucoup de terre cuite, parce que j'aime vraiment cette matière. Mais j'avais envie d'une autre matière qui me permette plus de folie dans l'espace : pouvoir les mettre en suspension, et la terre cuite ne convenait pas trop au niveau du poids, de la fragilité. Je me suis donc mise au papier et j'ai pris beaucoup de plaisir à le travailler. En plus, il y a le jeu avec les mots qui revient sans cesse. Dans mes sculptures également. Sur la dernière couche, je m'amuse avec tout ce qui est typo, C'est sensiblement le même travail que sur les tableaux, mais en volumes.

 

J.S-R. : A ceci près que le papier imprimé donne l'aspect d'un habit/corps.

S.B. : Il est vrai que la nudité dans mes œuvres, est symbolique. Je ne travaille pas le nu en tant que tel. Je travaille la femme, je ne veux pas l'habiller parce que ce serait superflu.

 

J.S-R. : Mais les sculptures ne me paraissent pas nues.

S.B. : Cela est dû aux écritures. Mais je prends un peu les écritures comme des marques du temps, des traces. C'est ce qui m'amuse. Sur le visage, il est tellement appuyé qu'on voit moins les écritures.

 

J.S-R. : Donc, vous ne prenez pas le même papier pour le visage que pour le corps ?

S.B. : Je mets moins de couleurs sur le visage pour qu'il reste lisible. Mais c'est tout du papier journal, avec des mots qui se croisent, qui se chevauchent, qui s'emmêlent… Parfois, j'ai de bonnes surprises ; et d'autres fois, je provoque un peu le hasard.

 

J.S-R. : Toutes ont, par contre, le visage très dégagé. Vos femmes peintes ont souvent une mèche lourde qui revient vers le visage, alors qu'il n'en est rien pour vos sculptures. Soit elles ont un chignon ; soit la lourde chevelure est en arrière. Rien ne barre le visage.

S.B. : En effet. En plus, j'aime bien donner le mouvement à la chevelure, mais je ne veux pas qu'elle soit imposante. Je n'ai pas envie de jouer avec elle. Elle n'est là que pour prolonger le mouvement. Je n'ai pas envie de l'imposer comme un accessoire féminin. Je suis, la concernant, toujours dans l'idée de rester dans l'essentiel.

 

J.S-R. : Je ne trouve pas, dans vos sculptures, la sensualité qui se trouve dans vos peintures. Je les trouves gymniques, vivantes, alors que les peintures ressemblent plus à des modèles stéréotypés. C'est pourquoi je vous ai posé la question sur la femme-objet, tout à l'heure.

S.B. : Je ne sais pas ! Pourtant je pars, pour les sculptures comme pour les peintures, de modèles vivants qui me renvoient à la même chose.

 

J.S-R. : Cela n'empêche pas le stéréotype !

S.B. : Peut-être ? Peut-être aussi cela tient-il au fait qu'il s'agit d'une série où j'ai envie de les mettre en scène ?

 

J.S-R. : Y a-t-il maintenant d'autres thèmes que vous auriez aimé traiter et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

S.B. : Non. Vos questions sont pertinentes. Il y a des choses où je n'ai pas d'explication, mais on ne peut pas non plus tout expliquer. Il y a pas mal d'instinct dans ce que je fais, et il est vrai que mon travail évolue au fil du temps, mais il y a un fil conducteur. Et, pour le moment, mon travail sur la femme me passionne toujours autant. Maintenant, il va évoluer. Je suis en train de commencer des œuvres que je voudrais faire pour l'extérieur. Des sculptures beaucoup plus grandes, en béton. Je vais travailler aussi les matériaux bruts. Mais on retrouvera le côté femme/Vénus que je travaille en ce moment.

 

ENTRETIEN REALISE DANS LA MAISON DE LA CHEMINEE DE BANNE, AU COURS DU FESTIVAL BANN'ART, LE 11 MAI 2013.