ROMANA TEODORA COMAN, dite ROMANA TEODORA, peintre

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Romana Teodora, à votre petit accent, je conclus que vous êtes originaire d'Europe de l'Est ?

Romana teodora : Oui, je suis roumaine.

 

J.S-R. : Et vous vivez en France ?

R.T. : Oui, je vis en France depuis 2007. Je suis venue en France pour mes études. J'avais obtenu une bourse pour l'Université de Lettres, donc, je n'étais pas du tout dans les arts plastiques. Je suis arrivée à Nantes, et depuis je suis restée.

Je pratique la peinture depuis l'âge de douze ans. Puis, j'ai commencé à prendre des cours dans l'atelier d'un peintre roumain. C'est là que j'ai découvert le dessin. Au début, j'ai fait beaucoup de dessins, puis un peu de peinture, mais je trouve cette discipline très longue, les œuvres sèchent trop lentement ! Alors que, ce que j'aime beaucoup, c'est la spontanéité du trait.

 

J.S-R. : Apparemment, vous ne faites plus que des dessins ? Ils sont à l'encre de Chine ?

R.T. : Oui, encre de Chine et brou de noix.

 

J.S-R. : Il est évident que votre travail est très gestuel, très linéaire. Et il me semble que la marge est aussi importante que le dessin ?

R.T. : Oui, tout à fait. J'ai une technique un peu à part, que j'ai apprise plus tard, lorsque j'étais à la fac. Je participais à un club de peinture, et on nous a fait découvrir une nouvelle technique qui permet de laisser libre cours à la main. Elle permet de se libérer de toute cette réflexion que l'on a au début ; et de la peur de la feuille blanche. On est totalement libre de faire ce que l'on veut. Et cette liberté de la main donne des courbes tout à fait naturelles.

Cela me permet d'avoir quelque chose sur une feuille sans que j'aie réfléchi. Ensuite, comme je fais un travail figuratif, je vois toujours un visage, avec les contours d'un corps. Si je ne vois pas le visage, je fixe un point où je sais que je peux le faire partir ; et après je trace à l'encre de Chine avec ma plume, le contour du corps que je vois dans les entrelacs.

C'est ainsi que j'ai débuté avec cette technique. Plus tard, j'ai appris que cela s'appelait "le dessin à l'aveugle". Cela se fait beaucoup en Art-thérapie, pour des gens qui ont besoin de créer mais qui ne s'en sentent pas capables parce qu'ils n'ont jamais appris à dessiner. Pour moi, ce n'était pas le cas, mais cela me permet de créer ce que j'ai envie de faire. Et qui est différent de ce que j'avais l'habitude de créer avant, qui était beaucoup plus réaliste, plus proche de ce que j'avais devant les yeux. Maintenant, ce n'est plus le cas.

 

J.S-R. : Vous dites "je vois toujours un visage". Ne trichez-vous pas un peu pour que ce visage se loge absolument entre les courbes que vous avez faites ?

R.T. : Tout à fait ! Je ne vois pas toujours le visage ; je vois surtout le contour et la forme du corps. Quant au visage, je vois plutôt sa place sur la feuille.

 

J.S-R. : Cette technique vous empêche presque à chaque fois, d'avoir un corps complet. Sauf peut-être celui que vous avez placé au milieu, et dont je ne vois pas le titre.

R.T. : Je ne donne pas de titres. Je vois ce personnage comme un clown qui danse. Mais effectivement, le corps a plus d'importance.

 

J.S-R. : C'est qu'ici, vous êtes parvenue à avoir deux bras, un corps et deux jambes.

R.T. : Ce qui n'est pas le cas dans les autres tableaux. Là, je révèle deux ailes qui se déploient sur les deux côtés, et qui partent en oiseau.

En fait, il n'y a rien de sûr dans mes dessins. Je pars de gestes spontanés, Le trait part avec la plume ; et une fois lancé, avec l'encre de Chine, il ne peut plus s'effacer !

Pour le brou de noix, c'est différent, j'arrive à diluer avec de l'eau, à faire des lavis qui sont beaux et différents. Mais puisque je ne peux pas revenir sur les traits à l'encre de Chine, je dois tenir compte de ce qui part pour créer autre chose. Tout se crée donc au fur et à mesure.

Je reviens à l'idée de départ : il n'y a pas forcément des corps, mais je vois les traits comme des racines. Des racines qui nous lient à la terre, ou aux autres personnages, parce que, parfois, ils sont plusieurs. Qui apparaissent et qui ont des liens entre eux.

 

J.S-R. : Certains dessins sont beaucoup plus sophistiqués que d'autres, L'un d'eux occupe presque tout l'espace, un autre a trois têtes sur un seul corps… Cela signifie-t-il qu'à l'origine, vous aviez fait plus de traits ?

R.T. : Je fais toujours beaucoup de traits, mais parfois, en fonction du temps que je me donne, de l'envie que j'ai, j'en mets plus ou moins. Cela dépend aussi du résultat que je découvre. Finalement, il est vrai que certains dessins sont plus travaillés, mais je pense que cela dépend de ce que je vois.

 

J.S-R. : Vous m'avez dit que vous travailliez à l'aveugle, nous avons parlé de l'importance des marges, certains dessins sont complètement décalés par rapport au centre ; mais la plupart sont parfaitement centrés. Est-ce parce que vous effectuez une prospection tactile avant de commencer, pour vous repérer ?

R.T. : Quand j'ouvre les yeux, souvent la tête est quelque part en haut. Pas centrée, la tête ; plutôt dans les coins. Mais après, j'ai un point central qui va représenter l'axe du dessin.

 

J.S-R. : Mais puisque vous avez les yeux fermés, vous prospectez avec vos mains ?

R.T. : Non ! Au moment où je dessine les yeux fermés, je ne pense pas du tout ! Tout est aléatoire. C'est seulement quand je regarde que je place les éléments.

Mais peut-être est-ce parce que, après avoir fait quelques essais, au moment où je traite avec le crayon, je place plus d'accumulations au centre. Cette partie-là est donc peut-être un peu réfléchie ?

 

J.S-R. : L'autre série est traitée au brou de noix. Mais très léger, très dilué, parce que sinon, la tache serait beaucoup plus foncée.

R.T. : Très diluée, oui.

 

J.S-R. : Vous placez ce brou de noix sur les dessins ? Ou sur le fond ?

R.T. : Sur le dessin. Je prends une feuille pas tout à fait blanche, un papier Ingres plus épais que pour l'autre série. J'utilise aussi des peintures à l'huile. Pour la couleur. Je dilue, je fais des lavis avec de l'eau. C'est très agréable à travailler. Alors que dans l'autre série, j'utilise très peu d'eau, sauf quand je travaille à l'aquarelle. Et sur cette série, je n'utilise pas la technique à l'aveugle, c'est autre chose.

 

J.S-R. : Vous travaillez au pinceau ?

R.T. : Pour le lavis, oui, mais pour le dessin, je travaille aussi à la plume. Pour les peintures à l'huile, c'est au doigt.

 

J.S-R. : Je vois un "petit prince asiatique" qui est tellement travaillé que je me demande comment vous l'avez réalisé ?

R.T. : Là, c'est autre chose. Tout n'est pas fait à la plume. J'utilise une autre technique, j'utilise une dentelle que j'imprègne de brou de noix et que je presse sur la feuille. En fait, je retravaille les contours de la dentelle qui ne sont pas toujours très nets malgré la pression. Je les retravaille à la plume là où il me semble qu'il manque quelque chose.

Il arrive que je laisse très peu de courbes, pour préserver le côté évanescent de mes personnages qui sortent et s'évaporent un peu. Il y a certes le lien avec la terre, par "les racines", mais il y a aussi le lien avec le divin. Autour de ces personnages qui s'envolent, il se crée une auréole. Je crois que cela vient un peu de ma culture qui me rend proche des icônes. En fait, je n'y pensais pas au début, mais des gens me disent souvent qu'ils voient des icônes dans mes dessins. Ce n'est pas volontaire. Cela ressort automatiquement dans mes œuvres.

 

ENTRETIEN REALISE A LA SALLE D'ART ACTUEL DE BANNE, LORS DU FESTIVAL BANN'ART LE 10 MAI 2013.