CORINNE PIERRE-DUPLAIX, sculpteure

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Corinne Pierre-Duplaix, il me semble que votre unique création, pratiquement, est l'humain, l'homme ? Mais plutôt l'homme ou la femme dansant ?

Corinne Pierre-Duplaix : Oui. Il y a aussi quelques couples. Mais il est vrai qu'elles sont assez aériennes. C'est comme imaginaire.

 

J.S-R. : C'est-à-dire ?

C.P-D. : Que ce n'est pas de l'art académique…

 

J.S-R. : Vos œuvres me semblent pourtant assez classiques ! Qu'est-ce qui vous fait dire que ce sont des corps imaginaires ?

C.P-D. : Par exemple, la femme-canard…

 

J.S-R. : Vous voulez dire que, pour certains, le corps est remplacé par un autre élément ?

C.P-D. : Oui. Et puis, souvent, je ne m'occupe pas de la place des membres…

 

J.S-R. : En effet. Alors que certains de vos personnages sont tout à fait "normaux", qu'est-ce qui fait qu'à un moment donné vous choisissez une place incongrue pour un bras, comme pour votre femme-serpent ou votre femmes-canard que vous venez d'évoquer ? Que j'aurais d'ailleurs appelée plutôt "Femme-barque" à cause de la forme de la proue. Est-ce une question gestuelle ? Une question d'humeur ? Quelque chose d'autre ?

C.P-D. : C'est l'appel à la vie, le fait que j'ai toujours des bras répondant à l'appel à la joie…

 

J.S-R. : Vos œuvres sont en terre ?

C.P-D. : Oui, avec différentes couleurs de terres. Et leur apparence dépend de la température de cuisson.

 

J.S-R. : Ce qui est intéressant, c'est le côté brut que vous leur avez donné. Cette peau "grenue" que vous leur laissez. N'est-ce pas un paradoxe par rapport au côté gestuel que vous voulez leur donner ? Par exemple, pour le couple de danseurs, vous avez vraiment laissé la chamotte en évidence. Or, instinctivement, l'idée de danse s'accompagne de l'idée de finesse, de sophistication ! Il me semble que, là, serait le paradoxe ?

C.P-D. : Je ne sais pas que vous dire, parce que c'est pour moi un "geste intérieur".

 

J.S-R. : Il serait bien de l'extérioriser !

C.P-D. : Avec mes mots ? Ce n'est pas facile !

Ce sont des émotions que j'ai vécues et que je traduis. Ils dansent parce que j'ai dansé. Ils se rencontrent parce qu'il y a eu rencontre !

 

J.S-R. : Cela devient donc autobiographique ?

C.P-D. : Oui, beaucoup !

 

J.S-R. : Pour certains personnages, il me semble que l'influence indienne est évidente ? Le couple que nous venons d'évoquer ; la femme-tulipe peut-être ; et pour la femme-serpent, c'est évident.

C.P-D. : Il paraît que j'ai fait le tour du monde, alors que j'ai très peu voyagé. Par contre, quand j'étais enfant, j'allais dans un musée d'Art primitif. Je pense donc que cela m'a marquée.

 

J.S-R. : Mais faites-vous une sorte de transfert ? Par exemple, cette femme-serpent, diriez-vous que c'est Shiva ? Parce qu'elle n'a pas tous les bras…

C.P-D. : Non, non !

 

J.S-R. : C'est simplement la posture ?

C.P-D. : Oui, voilà. Je mets toujours le titre après. Ce n'est pas l'idée d'un titre qui me guide pour réaliser ma sculpture. Et puis je ne fais pas de croquis avant, je pars directement. C'est la terre qui parle !

 

J.S-R. : Vos visages ont tous les éléments d'un visage. Mais cependant, les yeux ne sont que de tout petits points, la bouche une toute petite ligne. Seul, le nez est vraiment réalisé.

C.P-D. : Oui.

 

J.S-R. : Pourquoi ?

C.P-D. : Parce que je ne m'attarde pas sur le visage, c'est juste une expression passagère. Il se trouve que je fais aussi du clown, que mes sculptures ont l'âme du clown. Pour moi, elles ont des grands yeux et un grand sourire.

 

J.S-R. : Quand vous faites des vases, ou des fontaines, estimez-vous être dans l'art ou dans l'artisanat ?

C.P-D. : Mes fontaines sont vraiment des fontaines d'artiste. C'est l'architecture qui est travaillée pour cacher la pompe, mettre le tuyau. Non, je ne me sens pas du tout artisan.

 

J.S-R. : Ma question n'avait rien d'insidieux ! C'est simplement qu'à partir du moment où un objet devient fonctionnel, la question se pose. Comment fonctionnent donc vos fontaines ?

C.P-D. : Ce sont des petites pompes d'aquariums qui sont cachées dans le ventre. Je laisse, derrière, la place pour le tuyau. Par ailleurs, il a fallu que je réfléchisse comment allait tomber l'eau ? J'avais envie qu'elle sorte par les tétons. Mais le cœur est venu au moment où je faisais la fontaine. On me demande souvent des cœurs dans mes créations. D'ailleurs, l'autre fontaine s'intitule "Gargouille de cœur".

Sur mes petits bas-reliefs, également, le bassin de la femme est en forme de cœur.

 

J.S-R. : L'eau sort, et revient ?

C.P-D. : Oui, c'est un circuit fermé.

 

J.S-R. : : Y a-t-il des sujets que vous auriez aimé évoquer et dont nous n'avons pas parlé ? Des questions que vous auriez aimé entendre, et que je n'ai pas posées ?

C.P-D. C'est mon âme d'enfance qui ressort de mes sculptures.

 

J.S-R. : Pourquoi ? Avez-vous été empêchée de créer, lorsque vous étiez enfant ?

C.P-D. : J'ai commencé à faire de la sculpture à l'âge de trente ans.

Ce que j'aime et qui me touche, c'est qu'elles sont toujours très joyeuses ! Elles rient tout le temps et cela me fait du bien. Cela me permet de traverser les épreuves de la vie.

 

ENTRETIEN REALISE DANSLA SALLE DES FETES DE SAINT-PAUL LE JEUNE, LORS DU FESTIVAL BANN'ART LE 10 MAI 2013.