SYLVIE CALMETTE, sculpteur

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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L'Arche de Noé et Noah
L'Arche de Noé et Noah

Jeanine Smolec-Rivais : Sylvie Calmette, vos sculptures sont uniquement réalisées à partir de Récup' ?

Sylvie Calmette : Oui, de la Récup' et de l'argile peinte à l'acrylique.

 

J.S-R. : Vous travaillez depuis longtemps dans cet esprit ?

S.C. : Deux ou trois ans.

 

J.S-R. : Vous étiez sculpteur avant ?

S.C. : Non, pas du tout. Je n'ai aucune formation artistique. J'ai commencé par faire de la mosaïque, et puis j'ai eu envie de coller autre chose que des petits morceaux de carreaux ! L'envie s'est accrue, et je suis passée en trois dimensions. Et j'en suis venue à la céramique.

 

J.S-R. : Dans l'ensemble, on peut dire que vous mettez en scène les Gens du Voyage ?

S.C. : Pas seulement, non ! Toutes sortes de gens. J'aime raconter des histoires. Ici, en effet, ce sont les Gens du Voyage, mais la plupart du temps ce sont des histoires de rencontres. Rencontre avec soi-même quand il s'agit du miroir. Rencontre avec l'étranger pour ce qui est des Bohémiens. Rencontre avec le désert, dans 'A mille milles de toute terre habitée". Et puis, j'ai un autre pan d'imaginaire qui est "Les mythes et légendes". Dont fait partie "l'Arche de Noé". Et puis "Noah" qui est le héros d'un mythe que j'ai inventé et qui fait appel au sauveur de l'humanité, puisque la terre va bientôt ressembler à ce tableau qui s'intitule "Cataclysme" ; et qu'il va bien falloir aller vivre ailleurs. C'est ce moitié-robot, moitié-divinité africaine qui nous emmènera. Il a dans la main un homme et une femme qui vont bientôt aller peupler une autre planète.

 

Le Harem et Petra
Le Harem et Petra

J.S-R. : Vous êtes pessimiste !

S.C. : Ma foi ! Je suis réaliste, malheureusement. Mais en attendant, j'utilise les déchets des hommes pour en faire de l'art, donc les déchets sont pour moi le meilleur moyen de sauver la terre, Je ne jette rien !

 

J.S-R. : Non seulement vous ne jetez rien, mais vous ramassez les éléments usés ! Ce qui me semble important, dans votre travail, c'est que l'on puisse voir très nettement la trace du passage du temps.

S.C. : Oui, tout à fait. Et j'ai aussi la chance d'habiter près de la mer. La mer rejette une infinité de choses : pas seulement du bois, mais des plastiques tordus, des ferrailles rouillées. Le sable lui-même est un déchet de la mer, puisque ce sont les cailloux réduits à leur plus simple expression ! Evidemment, la mer m'inspire beaucoup, mais elle est un peu dangereuse ! N'oublions pas les tsunami et les tempêtes causes de tant de naufrages !

 

J.S-R. : Parfois, vous créez un lieu extrêmement sophistiqué, comme dans "Le harem" où vos deux personnages en train de se contempler dans des miroirs qui, de toute évidence, sont encadrés en or ! D'autres fois, comme ce pan de rempart…

S.C. : C'est Pétra !

 

J.S-R. : Ce tableau-là est très réaliste : mais nous sommes à la limite de la déconstruction ! A la limite de la ruine…

S.C. : Bien sûr, puisque Petra est en ruines !

 

J.S-R. : Qu'est-ce qui fait que vous avez envie de passer de l'un à l'autre ?

S.C. : C'est une bonne question ! Mais je ne sais pas exactement ! J'ai visité Pétra, et j'ai vraiment eu envie d'en faire quelque chose parce que c'est une œuvre d'art à elle seule ! C'est l'histoire que je me raconte qui fait le décor. Je me raconte une histoire et je la mets en scène. Quand je me raconte une histoire qui se passe dans des ruines, je crée les ruines. Quand elle se passe dans une forêt, j'utilise des écorces d'arbres. Quand c'est la terre tellement abîmée, j'utilise du métal rouillé… Tous les matériaux sont donc choisis en fonction de l'histoire.

 

 

Les Bohémiens et La Pépette
Les Bohémiens et La Pépette

J.S-R. : Tous ces gens qui se regardent, et sont non pas dans des huis clos -hormis le harem- puisqu'ils n'ont qu'un pan de mur, diriez-vous qu'ils sont indifférents au monde environnant ? Alors que, dans votre forêt, les génies des bois sont en train de regarder les Bohémiens.

S.C. : Je ne les ai pas vus comme les génies de la forêt : pour moi, ce sont des villageois. C'est la rencontre avec les étrangers : les villageois viennent voir ces Bohémiens qui se sont installés dans une clairière. Les Bohémiens sont colorés et vivants, alors que les paysans ne le sont pas ! Eux, ils ont peur ! Ils sont blancs de peur, en fait !

 

J.S-R. : Vous êtes aussi dans un monde de catastrophes ! Vous venez de l'évoquer avec les naufrages –qui sont peut-être dus à votre côté maritime ?-

S.C. : Oui, il faudrait sans doute que je cherche pourquoi la mer me fait peur ? J'ai réalisé certaines de ces sculptures au moment du tsunami !

 

J.S-R. : Vos personnages sont toujours en terre ?

S.C. : Oui.

 

J.S-R. : Tous, même quand ils ont l'air d'être de petites poupées en celluloïd ?

S.C. : Oui, c'est de la terre peinte à l'acrylique.

 

J.S-R. : Donc, vous les peignez après la cuisson ?

S.C. : Oui.

 

J.S-R. : Nous pourrions aussi évoquer la nature, avec "La Pépette" qui discourt avec les oiseaux ; le "Petit Prince" qui s'est crashé avec son avion dans le désert… En fait, vous avez une démarche très littéraire.

S.C. : Disons que la littérature peut m'inspirer, comme l'actualité, comme tout ce qui me passe par la tête à un moment donné. Je ne sais pas exactement ce qui m'influence ? Ce sont les objets qui m'inspirent. Quand j'ai trouvé ces carcasses que j'ai assemblées en avion, je ne savais pas a priori que j'allais faire un avion. Ce sont les formes qui m'ont guidée. Les objets déterminent l'histoire.

 

A mille milles de toute terre habitée et Cataclysme
A mille milles de toute terre habitée et Cataclysme

J.S-R. : Vous voulez dire que vous avez construit cet avion parce que les formes du métal s'y prêtaient, mais sans penser à un contexte ?

S.C. : Voilà ! Sans penser à un contexte. Puis, je me suis dit : "Mais c'est l'avion de Saint-Exupéry !"

 

J.S-R. : Donc, je confirme que votre démarche me semble tout à fait littéraire ! C'est votre culture qui, bien souvent amène aussi votre titre ?

S.C. : Oui, cela peut arriver.

 

J.S-R. : Pour être terre à terre, vos beaux socles bien usinés me choquent beaucoup ! Ils ont l'air tellement neufs !

S.C. : Ils sont pourtant faits maison ! Il faut bien quelque chose de propre pour présenter les œuvres !

 

J.S-R. : Je ne voulais pas dire qu'ils devraient être sales ! Mais récupérés eux aussi ! Ils contribueraient davantage à compléter l'unité de votre travail, parce que, actuellement, ils me semblent "hors contexte" !

S.C. : Peut-être un jour ? Pour l'instant, je fais avec les moyens du bord !

 

J.S-R. : Les temps sont difficiles ! Vous travaillez en dehors de votre sculpture ?

S.C. : Oui, bien sûr !

 

J.S-R. : Y a-t-il maintenant d'autres thèmes que vous auriez aimé traiter et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

S.C. : Non ! Simplement, je voudrais dire que j'appelle ma technique "L'art d'accommoder les restes" !

 

ENTRETIEN REALISE A LA MEDIATHEQUE DE SAINT-PAUL LE JEUNE, AU COURS DU FESTIVAL BANN'ART, LE 11 MAI 2013.