JEROME BOUSCARAT, peintre

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Jérôme Bouscarat, il y a longtemps que vous peignez ?

Jérôme Bouscarat : Oui, depuis que je suis petit ! Un peu comme tout le monde, en fait ! Tous les enfants peignent, les peintres sont ceux qui continuent ! Peut-être parce qu'ils n'ont pas réussi à faire autre chose ? Alors, depuis combien de temps je peins ? Depuis toujours, en fait !

 

J.S-R. : Apparemment, ce qui vous intéresse, c'est l'humain ; mais l'humain souvent "animalisé". Ou, au contraire, si le sujet est animal, il est humanisé. Dans quel sens l'impression fonctionne-t-elle ?

J.B. : Ceci n'est peut-être pas représentatif des sujets qui m'interpellent, mais pour ce festival, c'est celui qui m'a porté pendant deux mois ! C'est donc un sujet assez ponctuel. Si l'histoire des animaux dans ma peinture n'est pas anecdotique, elle n'est pas récurrente.

Mais, comme vous le disiez, l'humain est au cœur de ma problématique parce que nous sommes des humains, nous rencontrons des humains, ce qui a pour effet de construire entre nous quelque chose. Et, en peinture, je ne vois pas d'autres sujets que celui des humains. Après, du coup, l'animalité chez l'humain, oui. Parce qu'elle permet de comprendre, de relativiser les choses. Pourquoi, quelquefois, la relation à l'autre est compliquée, ne fonctionne pas ; pourquoi la colère ; pourquoi la violence. Et, si parfois, nous retrouvons l'animal qui est en nous, nous comprenons que c'est intrinsèque à la nature humaine. Et que, du coup, une fois que nous l'avons assumée, nous pouvons mieux la combattre. Je ne me suis pas posé la question sur Faust, mais quand je l'ai lu, je me suis demandé comment quelqu'un comme Goethe a été toute sa vie perturbé par l'idée de Faust ? Je ne suis pas philosophe, mais c'est comme si je m'intéressais au Petit Chaperon rouge ! Finalement, je me suis demandé si ce n'était pas un questionnement sur l'animalité, sur ce qui est au fond de l'homme ! Faust, à un moment donné a eu le pouvoir d'être ce qu'il voulait être. Il fait tuer Marguerite, il commet toutes les horreurs possibles. Et du coup, au moment où ce philosophe respectable a laissé la porte ouverte à son animalité, il devient quelqu'un d'irresponsable et de monstrueux. Et je pense que ce qui a pu intéresser Goethe par rapport à ce questionnement, est justement : que trouve-t-on en l'homme ? Qu'est-ce qui lui reste d'animal ? Cela signifie donc que, si l'on arrive à regarder en face cette animalité, ce que Faust a fait, lui qui n'a fait que le bien toute sa vie et veut connaître le mal à la fin. Une fois que l'on a connu son bien et son mal, et que l'on arrive à faire l'équilibre, on peut être sauvé de soi-même. Donc, une fois que l'on prend conscience de son animalité et que l'on fait la synthèse, on n'est qu'un être humain ; et une fois que l'on comprend tout cela, on peut être heureux.

 

J.S-R. : Mais il y a aussi, tout de même, dans votre travail, un problème de solitude ? Solitude et domination. Beaucoup de personnages sont seuls ; et quand ils ne sont pas seuls, ils ne se regardent pas. Et l'un est chaque fois au-dessus de l'autre. Et comme, en général, il a un bec, cela introduit une notion d'angoisse, de menace… Nous sommes donc dans la continuité de ce que vous venez d'expliquer.

J.B. : D'accord. Vous avez bien expliqué ce que je veux exprimer. Heureusement que l'artiste ne domine pas tout ce qu'il met sur la toile ; cela va permettre au regardeur une lecture qui est peut-être de l'ordre de l'inconscient que j'ai déposé sur la toile ? Il faudra que nous en reparlions dans dix ans !

 

J.S-R. : Rendez-vous pris ! D'ailleurs, chaque fois qu'il y a l'animalité, il y a une espèce de muselage ; et en même temps il y a l'idée de menace parce qu'ils ont tous des becs ou des cornes,

J.B. : Cela, par contre, je peux l'expliquer. Si l'on admet cette idée d'animalité dans l'être humain, il faut aussi essayer de la brider. L'homme ne peut pas faire n'importe quoi. Du coup, il peut continuer à vivre avec cette animalité, pas à l'éteindre, mais à la dompter. A partir de ce moment-là, il peut commencer à vivre en société, en fait.

 

J.S-R. : Mais cependant, comme je le disais tout à l'heure, même ceux où ne s'exprime pas l'idée de domination, comme vos Arlequins, sont côte à côte, mais ne se regardent pas. C'est en fait, comme s'ils étaient solitaires.

J.B. : Oui. Mais c'est l'histoire de tout le monde, la solitude. Du moins, me semble-t-il.

 

J.S-R. : Mais parfois, nous rejoignons plutôt un problème de non-communication. Ils sont là, comme si vous les aviez pris en photos !

J.B. : Sur ce travail-là, en effet, peut surgir l'idée de photos de famille. De vieilles photos anciennes. De gens qui prennent la pause. Du coup, je ne mets jamais de titres, de façon à laisser à chacun sa liberté de choix. D'ailleurs, je suis toujours d'accord avec mes interlocuteurs, parce que je me dis que si j'ai la prétention de les montrer, je dois avoir l'humilité d'accepter des opinions autres que la mienne.

J'ai aussi peint un tableau où seraient deux écoliers. Plus loin, se trouve la maîtresse qui n'a pas l'air commode. Du coup, se crée l'impression qu'il s'agit de mauvais élèves !

 

J.S-R. : En somme, parfois, l'histoire ne se fait pas sur un tableau, elle se fait sur des correspondances d'un tableau à un autre ?

J.B. : Toute cette histoire est née de mon fils qui a quatre ans et demi. En ce moment, nous sommes en plein dans les animaux ! Pour moi, n'existe aucun barrage entre ma vie familiale et ma vie d'artiste. Et ce que je vis dans la première, je le restitue dans la seconde.

 

J.S-R. : La plupart du temps, les personnages remplissent complètement le tableau. D'autres fois, s'il reste un peu de fond, il est toujours très travaillé, mais non-signifiant. Pourquoi ce choix ?

J.B. : Je ne sais pas ! Je ne pourrais pas dire pourquoi, bien que je me sois souvent posé la question du décor. Chaque fois que je me mets à peindre un objet, l'objet devient sujet. J'ai du mal à mettre sujet plus objet. Si je me dis que je vais peindre quelqu'un sur un fauteuil, du coup je n'ai plus envie de peindre que le fauteuil !

 

J.S-R. : Le paradoxe est que vous avez très peu de couleurs, mais quand on regarde l'ensemble de vos œuvres, on a l'impression d'une infinité de couleurs…

J.B. : Oui. Je dis oui parce que les gens me disent qu'ils aiment beaucoup mes couleurs. Et je me dis : "Mais quelles couleurs ?" Parce que, lorsque je peins, j'ai trois ou quatre tubes, jamais plus. Je pense que c'est comme en musique, certains sont à l'aise avec une symphonie, d'autres avec de la musique de chambre. Moi, si je me lance dans une symphonie, ce sera une catastrophe, parce que je ne suis pas coloriste du tout. Si j'essaie de marier plus de cinq couleurs, je suis perdu. J'ai mis longtemps à l'assumer, jusqu'au jour où je me suis dit que je pouvais réussir à construire quelque chose. Et, du coup, je me sens beaucoup mieux depuis que j'assume le fait de ne pas être coloriste. Je vais sur des gammes de couleurs très simples : en général, je prends deux couleurs complémentaires que je vais adjoindre pour faire le gris, puis je vais faire un rehaut de la couleur première. Je ne peux pas aller plus loin, parce que je suis plus dessinateur que coloriste.

 

J.S-R. : Justement, vous avez aussi mis un dessin qui est exactement l'antithèse de tout ce que vous avez fait dans vos peintures : Le personnage est assis sur une chaise, il a un livre. On voit même ses pantoufles, alors que l'on ne voit jamais les pieds des autres. Ils sont toujours atrophiés, coupés au niveau de l'aine. Et lui, est là, complet. On voit ses bajoues, son bec… Dirons-nous que ce dessin représente tous les manques de la peinture ?

J.B. : Peut-être ai-je fait celui-ci pour me rassurer ? Pour me dire que je sais encore faire des jambes ? Je me méfie beaucoup de moi, en peinture. Je crois que tous les artistes devraient se méfier d'eux-mêmes. Le style, la série, l'univers, tous les termes que l'on peut utiliser… je me méfie de tout cela. Ce qui m'intéresse, c'est la découverte. Me surprendre. Non pas me surprendre en tant que personne, mais créer l'accident qui va me faire avancer, me faire découvrir autre chose. Et je me méfie aussi de la répétition du geste. Du coup, comme je ne sais pas faire autre chose, que je ne peux pas aller plus loin avec les couleurs, le trait, c'est avec lui que je suis le plus à l'aise… d'un autre côté j'essaie parfois d'aller vers autre chose, d'avoir toujours du plaisir à "faire". Et certainement pas de me dire : "J'ai fait des cochons ! Super, les gens ont aimé, alors je vais en faire d'autres" !

 

J.S-R. : Dans ce cas, il vous faudra faire beaucoup de souris, parce celle que vous avez présentée a eu un franc succès !

J.B. : Oui. Mais je trouvais le sujet délicat à traiter, parce que l'on peut facilement tomber dans l'illustration ! Or, il faut que cela reste de la peinture !

 

J.S-R. : En même temps, ce personnage a un air docte, pontifiant que n'ont pas forcément les autres qui peuvent être perplexes, méfiants… Il était amusant, hier, de voir les gens s'arrêter devant ce tableau et s'exclamer…

J.B. : Du coup, il y a de fortes chances pour que je ne fasse plus jamais de rats ! Je ne veux surtout pas devenir "le peintre qui fait des rats" !

 

ENTRETIEN REALISE AU GRAND BAZ'ART A BEZU LE 18 MAI 2013.