FRANCOISE HARF, photographiste

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Françoise Harf, diriez-vous, si le mot existait? que vous êtes une "citadiniste", créatrice de "paysages" citadins ?

Françoise Harf : Je dirais urbaine, très urbaine. J'ai travaillé avec des architectes et des urbanistes, dans un temps où j'étais au Groupe de Sociologie Urbaine. J'étais sociologue. Je faisais des enquêtes, des études, pour l'aménagement des villes nouvelles. Ensuite, j'ai été embauchée par le Ministère de la Jeunesse et des Sports, en tant que sociologue, chargée de missions. J'ai travaillé dans différents lieux : Lyon, Mayotte, Pau… Je suis à la retraite depuis quelques années.

Et, depuis quatre ans, je travaille mes photos. C'est à partir de mes seules photos que je travaille avec un logiciel de Photoshop. J'interviens jusqu'à ce que je trouve une nouvelle image qui me donne une émotion. Cela devient un tableau qui se situe entre la photo et la peinture.

 

J.S-R. : Vous trouvez une "nouvelle image" dans la réalité ? Ou à partir de ce que vous avez déjà transformé ?

F.H. : A partir. Le résultat intermédiaire m'amène à travailler dans un sens ou dans un autre. Par exemple, sur l'un, c'est plus une facture cubiste ; sur un autre, elle sera plus impressionniste, plus réaliste, plus abstraite…C'est l'émotion que je ressens en travaillant qui me fait arrêter mon choix sur un état de mon travail. Mais je pourrais encore continuer plus loin.

J.S-R. : Comment êtes-vous arrivée dans le monde de l'Art singulier ?

F.H. : Je m'y suis intéressée. J'ai parcouru quelques musées d'Art singulier. Et je suis allée à un festival à Dives-sur-Mer, qu'avait organisé Alberto Cuadros l'année dernière. J'y suis allée non pas pour exposer, mais pour voir. Et puis, j'ai fait connaissance sur Face book, de nombreuses personnes qui font de l'Art singulier. Cela m'a encouragée. J'ai rencontré Marthe, je lui ai parlé de ce que je faisais, et elle m'a demandé de lui envoyer un CD. Ce que j'ai fait, et elle m'a retenue.

Il est vrai que mon travail est un peu particulier, entre la photographie et la peinture, je le redis, et je n'ai pas d'autre exemple dans tout le festival, de ce type de travail.

 

J.S-R. : On pourrait dire que vous évoluez de la non-existence d'une ville définie par quelques lignes jaunes ; à des cités chargées ou surchargées dans des nuances de bleu, de vert ou de rouge. Ensuite, pour parvenir à l'hyperréalisme, vous avez créé celui qui est en-dessous…

F.H. : Oui, c'est la "Place de la grande Mosquée de Casablanca". Que j'ai travaillée avec un soubassement à cette place. Comme si la place avait recouvert une ville désaffectée. Une ville ancienne.

J.S-R. : En fait, vous ajoutez votre fiction à ce qui était, au départ, la réalité ?

F.H. : Oui. C'est l'émotion de la création, de l'assemblage. A côté, c'est l'intérieur de la plus vieille mosquée de Bobo Dioulasso, au Burkina Faso que j'ai traitée à ma façon. Cela ne ressemble pas à l'intérieur de la mosquée.

 

J.S-R. : J'avais pensé à une crypte.

F.H. : Voilà, c'est un peu cela.

Ailleurs, j'ai fait un assemblage de plusieurs photos, pour un tableau qui se situe au bord de la mer. Je l'avais exposé à la Villa de Noailles, où j'ai pris des photos, également. Puis j'ai représenté à ma façon la villa qui est une création de l'architecte Mallet-Stevens. Elle est du même type que ce que faisait Le Corbusier. Du coup, je l'ai travaillée de façon cubiste, à partir de mes photos.

 

J.S-R. : L'une d'elles me semble bizarre, parce que j'ai l'impression qu'elle est construite sur deux plans : comme vous avez supprimé la perspective, j'ai l'impression que la ville est sous la mer ! Au-dessous du niveau de la mer.

F.H. : En fait, c'est une rue commerçante ! C'est le Palais des Pyrénées, à Pau, avec des anciennes marquises. Après, on s'envole, on monte dans la montagne. J'ai incrusté le boulevard des Pyrénées. Ensuite, au-dessus, cela s'en va on ne sait où, c'est un peu comme des graffiti.

C'est une évocation de montagnes, d'arbres… C'est à force de travailler la matière dont je dispose, que j'arrive à ce résultat. Il y a aussi le travail sur les couleurs.

J.S-R. : Ce sont des photos argentiques, numériques ?

F.H. : Numériques. Je ne suis pas une grande photographe, je ne dispose que d'un petit appareil numérique.

 

J.S-R. : En fait, ce qui vous intéresse, c'est d'aller au-delà de la petite photo banale que vous avez prise, pour en refaire une composition originale.

F.H. : La retravailler. Avec mon imaginaire. Avec ma culture. Avec mes références.

 

J.S-R. : Certaines photos me font penser à Klasen, comme celle qui a un tuyau rose.

F.H. : C'est un fauteuil d'un designer qui exposait à la Villa Noailles. C'était un concours de jeunes designers. J'ai donc photographié le fauteuil, je l'ai mis en incrustation dans une fenêtre, et il donne sur trois niveaux différents de la ville d'Hyères.

Un important travail doit également se faire dans chaque tableau, pour se sortir des couleurs.

 

J.S-R. : Et cela nous mène à une ancienne usine désaffectée.

F.H. : Oui, c'est un mélange de plusieurs bâtiments de l'ancien arsenal de Tarbes.

J.S-R. : Complètement différent, mais vous y parvenez sans doute à partir du même itinéraire, nous en venons à une sorte de table sur laquelle reposent ce que les dames d'autrefois appelaient leurs "fers à friser" !

F.H. : Ce tableau est plus abstrait. Mais, dans l'ensemble, on peut deviner un tambour.

 

J.S-R. : Comment associez-vous ces objets qui étaient autrefois usuels et ne le sont plus, avec la contemporanéité de vos autres compositions ?

F.H. : là, c'est moi qui ai voulu me lancer un défi à partir de deux objets. Trois objets, même, parce qu'il y a aussi une chaise. J'ai travaillé ce tableau jusqu'à ce que j'obtienne les effets que je désirais. C'était la période de la guerre au Mali, et j'ai intitulé le tableau "Le tambour malien". J'ai des références, qui me guident dans mon travail ; des émotions fortes que je ressens, que je retraduis de cette façon.

 

J.S-R. : Les couleurs que vous mettez ne peuvent pas être les couleurs d'origine de la photo.

F.H. : Non.

J.S-R. : Comment les modifiez-vous ? Vous les retravaillez, comme vous l'avez évoqué, vous repeignez ?...

F.H. : Non, pas du tout. C'est toujours sur le logiciel. Je travaille par superpositions d'images. Des couleurs différentes d'images différentes, me donnent encore une autre couleur. Je travaille donc sur cette fusion d'images, cette superpositions d'images pour trouver les couleurs que je veux. Et, à la limite, je vais dans un fichier photos, chercher une autre photo qui me donnera, par superposition, la couleur que je cherche et que je n'aurais pas obtenue avec les photos que j'avais déjà choisies. C'est un long travail de recherche d'adéquation entre la couleur, la structure du tableau, et l'émotion que je veux donner à ressentir. Chaque fois, je pars d'une émotion forte quand je prends des photos, et j'en sors quelque chose qui me semble assez fort autrement.

J.S-R. : Ce qui me semble également surprenant, c'est que, si je voulais passer de l'un à l'autre de vos tableaux où la superstructure est visible, je dirais que l'un a une structure lâche alors qu'un autre a une structure beaucoup plus serrée. Et puis, l'on arrive à autre chose d'extrêmement structuré, jusqu'à celle que vous avez placée au milieu et qui constitue le trou ou le lien, entre toutes les autres. A quel moment décidez-vous que vous allez vous "lâcher" un peu ? Ou au contraire, accepter des choses plus dures ?

F.H. : Il n'y a pas d'objectifs initiaux, il n'y a pas ce choix-là à la base. Quand je choisis des photos, je sais que si je choisis l'arsenal de Tarbes ou l'ossature métallique d'une construction, cela me donnera un résultat très structuré. Si je prends la mer ou des arbres, j'obtiendrai quelque chose de plus doux, peut-être, mais au-delà de ces possibilités, il n'y a pas de choix à la base. La mosaïque dont nous n'avons pas parlé vient d'une ancienne piscine Arts-déco de Bègles, près de Bordeaux. Cette piscine m'a subjuguée. A partir du sol, j'ai pris des cabines… j'ai fait ce tableau qui est en aplat.

J.S-R. : En même temps, quand vous prenez cet objet dont on pourrait dire qu'il est du quotidien, il semble beaucoup moins onirique que la réalité. Pourtant, cet assemblage de mats et de brillants donne matière à rêver !

Pour conclure, y a-t-il d'autres questions que vous auriez aimé entendre et que je ne vous ai pas posées ? Des thèmes que vous auriez aimé aborder et que je n'ai pas évoqués ?

F.H. : Mon travail implique que chacun est capable d'exprimer des émotions, à travers des supports différents. Moi, j'ai choisi ce support à partir de la photo et des tableaux que je réalise. Mais il faut que chacun sente qu'il est capable de créer, de s'exprimer de différentes façons !

Pourquoi ai-je choisi ce support ? Parce que j'ai toujours fait de la photo. Avant je faisais des collages papiers. J'ai toujours eu envie d'associer, de faire des liens. De relier des choses qui me plaisent et d'en sortir une autre image. Une autre perspective sur l'avenir. Cela nous projette sur un autre ailleurs. Sur un autre monde. Comme ce tableau que nous n'avons pas commenté, avec les hublots, qui est Andernos dans le bassin d'Arcachon. J'ai retourné la lunette qui est une lunette d'approche pour les paysages. C'est une autre projection du monde que je vois. Ma perception du monde. J'invite donc les autres à comprendre qu'ils ont leur perception, et à la traduire par un mode d'expression qui leur est propre.

 

J.S-R. : Comment vous définissez-vous , Etes-vous peintre/photographe ? Photographe/peintre ?

F.H. : Non, je suis photographiste !

 

ENTRETIEN REALISE DANS LA SALLE DES FETES DE SAINT-PAUL LE JEUNE, AU COURS DU FESTIVAL BANN'ART, LE 11 MAI 2013.