ANNE MALLET, sculpteure

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Anne Mallet : l'humain, l'humain, l'humain ?

Anne Mallet : L'humain, l'humain, l'humain, oui !

 

J.S-R. : Et uniquement de la Récup' ?

A.M. : Des bois flottés, oui ! Que je glane près de rivières, de lacs, de mers… Quelques racines aussi.

 

J.S-R. : Avec la volonté de leur garder leur couleur originelle, de façon à indiquer la trace du temps ?

A.M. : Oui, effectivement. Je ne retouche pas l'aspect du bois, le moins possible.

 

J.S-R. : A partir du moment où vous avez un tas important de bois récupérés, que faut-il pour que vous alliez rapprocher tel morceau de tel autre ?

A.M. : Alors là, je ne sais trop que répondre ! Parfois, tout de même, j'ai un premier morceau de bois dont je décide qu'il va être l'élément de départ. C'est souvent le hasard qui me dit qu'avec celui-ci je vais faire une tête… Je le sors du tas, je le ponce, je le cisèle… Et puis en voilà un second qui ferait bien un corps… Alors, parfois, ils s'adaptent parfaitement… D'autres fois non !

 

 

J.S-R. : Quand vous aviez décidé dans votre tête et que vous réalisez que non, ils ne vont pas ensemble, est-ce difficile pour vous, de renoncer ? Et de réunir de nouveaux éléments ?

A.M. : Non, je pars sur autre chose. C'est le moment le plus rapide, en fait. Il faut que la décision se prenne tout de suite, si cela ne va pas, je n'insiste pas. Je ne garde pas une idée qui ne "colle" pas immédiatement.

 

J.S-R. : Certains de vos personnages comme ce petit pèlerin, sont très statiques. D'autres, la plupart d'ailleurs, sont très gymniques…

A.M. : Oui, il y a des mouvements du bois que je retrouve.

 

J.S-R. : Non, en fait ma question était mal posée : je voulais demander s'il est plus agréable pour vous de travailler un personnage qui n'a que très peu de relief ? Ou d'en créer un autre, toujours à partir de petits éléments, qui, finalement vont générer le mouvement ?

A.M. : Non, il n'y a pas de moment plus ou moins agréable. C'est vraiment le morceau de base qui va m'amener vers un mouvement plus ou moins accentué. J'ai longtemps travaillé la terre, et j'étais aussi beaucoup dans le mouvement. Mais j'ai tout autant de plaisir à faire quelque chose de plus statique. Il n'y a jamais de dépit : puisque je ne peux pas faire ceci, je vais faire cela ! Non ! Je travaille en fonction de ce que me dit le bois.

 

J.S-R. : Ma question comportait aussi une question de toucher : Est-ce la même chose pour vous de caresser de près un bois qui, au final donnera un personnage statique ; ou au contraire d'écarter les mains pour parvenir à la gestuelle que vous voulez réaliser ?

A.M. : Ce n'est pas le même travail, effectivement. Mais j'aime bien les deux états, l'un où je suis plus près, dans le statique, dans la caresse ; un travail qui est plus intérieur finalement ; et au contraire, quand il faut faire des assemblages où je suis plus dans la recherche, plus dans le mouvement moi-même forcément.

 

J.S-R. : Quand je vois mon mari en venir à donner une expression à ses petits personnages, il fait souvent lui-même la mimique qu'il veut leur faire prendre. Faites-vous de même avec vos personnages ?

A.M. : Non, non ! Même si, quand je fais un personnage en mouvement, je bouge moi-même effectivement beaucoup plus !

 

J.S-R. : Vous avez dit tout à l'heure travailler presque exclusivement avec des bois flottés. N'avez-vous jamais envisagé d'y adjoindre des pierres ? Parce que l'on dirait presque que la jupe de l'un de vos personnages est dans ce matériau ?

A.M. : Non, c'est du bois, uniquement du bois ! Non, je n'ai jamais pensé à la pierre. Il m'est arrivé de penser à de la ferraille. A de l'argile aussi. Mais alors, il faudrait la modeler. Et associer le bois où le travail du temps est primordial, à quelque chose qui ne vient pas de moi, ne me convient pas. Pour l'instant, je reste dans le bois !

 

J.S-R. : Et, par moments, n'êtes-vous pas tentée de cacher cette usure et de mettre de la couleur ?

A.M. : Non, cela ne me vient pas à l'esprit ! Et, du fait que parfois je les reprends, je me demande toujours jusqu'où je dois préciser la forme ? Je veille à ne pas les travailler trop pour ne pas perdre le côté naturel du matériau. Mais les peindre, non, parce que cela casserait toute la poésie ! Parce que je trouve qu'il y a une certaine poésie dans mon travail ! Donc, la seule question que je me pose est : jusqu'où je les travaille ? Et jusqu'où je laisse le côté un peu brut ?

 

J.S-R. : Certains de vos personnages sont presque réalistes, comme votre danseur, ou la tête d'un autre à côté de lui. D'autres sont à peine ébauchés. Est-ce que cela correspond à votre questionnement évoqué à l'instant ? Est-ce la forme originelle du bois qui vous guide ? Ou est-ce que, simplement, par moments, vous avez envie d'aller ou non plus près d'un vrai visage ?

A.M. : C'est la forme du bois, et le sentiment d'une harmonie d'ensemble. C'est-à-dire que je trouve que certaines formes sont tellement précises d'origine, -puisque je pars toujours du bois- que cela me semblerait bizarre que le visage soit à peine ébauché. Ou inversement, puisque d'autres sont à peine ébauchés, je reste dans cet esprit. Pour moi, c'est chaque fois une question d'harmonie et d'ensemble. Et, finalement, le choix se fait un peu sans moi. Je ne calcule pas tellement quand j'ai le nez dessus. Et quand je les regarde, je me demande si cela tient ou pas ? De là, va venir la nécessité de préciser plus les formes ou de m'arrêter parce que cela me convient.

 

 

J.S-R. : Si je regarde les visages longuement travaillés, je me dis que ce sont des visages pleins de psychologie. L'un a une tête de vieux qui a souffert, qui est burinée. Par contre, sur un autre, qui est bien lisse, je peux trouver de la gestuelle, mais je ne trouve pas de psychologie. Dans ce cas-là, cela ne vous manque pas ?

A.M. : Je vois ce que vous voulez dire. Mais non, cela ne me manque pas, dans la vie il en va de même, il y a des gens qui sont lisses d'autres pas, des gens qui souffrent, d'autres pas ! Je me dis que c'est "cela" qui est venu, et je l'accepte. Mais effectivement, il y a des sculptures où je suis plus présente que d'autres. Et si je ne me sentais présente devant aucune, je ressentirais un manque, c'est certain !

 

J.S-R. : Alors, que faut-il pour que vous vous "sentiez dedans" ?

A.M. : Je ne sais pas. Je réfléchis, mais vraiment je ne sais pas !

 

J.S-R. : Y a-t-il maintenant d'autres thèmes que vous auriez aimé traiter et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

A.M. : Il y a des questions que j'aurais aimé ne pas entendre parce qu'elles me posent problème ! Je plaisante, bien sûr, mais non, il n'y a pas d'autres questions !

 

ENTRETIEN REALISE DANS LES ECURIES DU CHATEAU DE BANNE, AU COURS DU FESTIVAL BANN'ART, LE 11 MAI 2013.