STEPHANE MONTMAILLER, peintre et sculpteur

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Stéphane Montmailler, en visitant votre travail, je n'ai pas pu trouver un thème unique qui relierait les sculptures, les compositions, les peintures. Il me semble que arbres, poissons, animaux et humains vous intéressent au même titre ? Comment reliez-vous tous ces thèmes.

Stéphane Montmailler : Je les relie par un autre amour, celui de la matière. Je me considère comme "matiéraliste", donc je récupère beaucoup de choses. Et, suivant ce que m'impose ou me permet la matière, je l'utilise.

Je travaille également dans un théâtre, où je suis souvent amené à faire des affiches, des visuels pour des musiciens, pour des compagnies, je peux donc travailler aussi à des commandes pour le spectacle. Par exemple, nous avons devant nous "Ubu Roi" qui est l'affiche de la compagnie stéphanoise pour laquelle je travaille. A côté, vous avez le "Monologue de la chaise vide" qui est une pièce de théâtre mise en scène par Alain Bossé…

 

"Futur fossile" et arbres/vitraux
"Futur fossile" et arbres/vitraux

J.S-R. : Quand vous avez choisi un thème, comme celui devant nous pour lequel j'hésite entre un cheval et un animal marin…

S.M. : C'est un rhinocéros qui est en train de s'embourber. C'est pour cela que l'on ne voit plus ses pattes. Et c'est aussi pourquoi je l'intitule "Futur fossile". Parce qu'il y a ici ce côté un peu "Grotte Chauvet".

 

J.S-R. : Donc, chaque fois, vous placez votre sujet au milieu du support ; et vous avez autour un décor non-signifiant –sauf peut-être la boue autour de votre rhinocéros- de sorte que le sujet principal se détache carrément sur ce fond. Ceci dit, quand vous avez des arbres, vous faites ce que l'on pourrait appeler des vitraux ; et dans ce cas, la façon de travailler est différente ?

S.M. : Bien sûr, mais le matériau est différent aussi. J'aime beaucoup votre allusion à mes arbres qui ressemblent à des vitraux, puisque c'est un travail sur le lycra qui est un matériel extensible (qui sert à faire des maillots de bain ou des sous-vêtements). Je travaille beaucoup avec ce matériaux : il m'intéresse pour sa tension et les courbes qu'il peut donner. Il se prête très bien au travail sur les arbres, mais aussi à des scènes plus "humaines".

Vous parliez de "fond non signifiant". C'est justement parce que je suis dans un paradoxe entre mon intérêt qui est presque abstrait pour la matière que je veux montrer, et l'objet qui veut signifier. D'où, souvent, un intérêt entre le titre et l'œuvre. Il y a souvent une grande adéquation. J'aime bien que les gens puissent lire mes titres.

 

Candide
Candide

 

J.S-R. : Cela semble un truisme de redire que, lorsque vous prenez pour sujet une chaise, elle se retrouve seule au milieu d'un décor non signifiant, mais il faut remarquer que vous changez non pas le décor mais l'approche dès qu'il s'agit d'humains. C'est-à-dire que vous faites entrer la vie. Par exemple ce tableau…

S.M. : C'est "Candide" de Voltaire.

 

J.S-R. : "Il faut cultiver son jardin" !

S.M. : C'est pour cela qu'il y a la carotte !

Mais vous voyez, dans les ombres placées à l'arrière, c'est toute l'inquisition, toute la répression ! Et vous avez candide, un peu naïf, perdu dans la contemplation d'une carotte.

 

J.S-R. : Mais dans ce cas, je dirai que votre approche est littéraire ? D'abord parce que votre titre fait redondance avec la scène. Mais l'idée de l'inquisition par derrière n'apparaît pas au premier abord.

S.M. : Exactement. Et c'est le but. Là encore, le travail de la matière est important ; puisqu'il s'agit de tas d'affiches écrasées, compressées, et sur lesquelles j'ai dessiné. Des sortes de gribouillis au charbon sur un tas d'affiches encollées.

 

Etreinte
Etreinte

J.S-R. : Là, ils sont dans une auréole claire, comme isolés. En fait, ils constituent un groupe isolé du reste du monde ?

S.M. : Exactement. Je ne peux pas dire mieux ! Isolés du reste du monde !

 

J.S-R. : Et puis, nous avons un couple enlacé !

S.M. : Oui, "Etreinte" !

 

J.S-R. : Ils me semblent en pleine "effervescence" ?

S.M. : Je joue sur le quiproquo : Sont-ils ou ne sont-ils pas en train de faire l'amour ? Est-ce que ce sont un homme et une femme ? Deux hommes ? On ne sait pas.

C'est un tableau que je peux inverser. Et c'est aussi une scène de lutteurs. D'où le mot "Etreinte ?". Avec un point d'interrogation, parce qu'on ne sait pas si c'est un thème de lutte ou d'amour ? Et pour cette espèce de matelas rouge qui est jeté par terre, il est impossible de dire si c'est un tatami ou un lit ?

 

J.S-R. : Et pourquoi créez-vous cette ambiguïté sur ce couple ? Pourquoi ne les définissez-vous pas définitivement ?

S.M. : Parce que je préfère un libre choix.

 

L'homme sans tête, et "A l'hôtel des culs tournés"
L'homme sans tête, et "A l'hôtel des culs tournés"

J.S-R. : Mais vous avez la même ambiguïté avec un personnage dont on ne voit pas la tête. Est-ce pour jouer sur la disparition ? Ou pour jouer sur l'ambiguïté ?

S.M. : Celui-ci est pour "parler" de disparition ; tandis que l'autre était pour l'ambiguïté. C'est comme le grand lit que j'ai posé à l'entrée, où j'ai posé un couple et que j'ai intitulé "A l'hôtel des culs tournés". C'est une expression française qui signifie qu'il y a eu une dispute entre les protagonistes. C'est un peu humoristique et un peu caustique.

 

J.S-R. : En même temps, cette couverture rouge qui les cache semble un vêtement qui aurait été déchiré en deux. S'agit-il de "tirer la couverture à soi" ?

S.M. : Oui. J'adore vos questions ! Mais si vous terminez toutes mes phrases… !

 

 

La petite fille au chat
La petite fille au chat

J.S-R. : Excusez-moi ! C'était pour vous dire que j'avais compris le sens de votre démarche !

Complètement différents, me semble-t-il, les quatre tableaux suivants où vous avez des mises en scène sans ambiguïté.

S.M. : Exactement. Ils font partie d'une série intitulée "Enfantillages". C'était une série que j'avais faite en rapport avec l'enfance, et pour les enfants. Nous sommes ici aussi dans l'humour un peu grinçant. Il y a de la tendresse comme ce tableau intitulé "La fillette au chat", sauf que le titre se continue par "au chat écrasé". D'où son regard triste face à cette injustice : on lui a écrasé son chat.

 

J.S-R. : Moi, Je dirais plutôt méchant, exaspéré, que triste.

S.M. : En colère contre l'injustice.

 

J.S-R. : D'ailleurs, il y a un problème avec son visage : Elle-même a un nez de chat !

S.M. : Ce n'est pas un problème, c'est fait pour ! Et, pour les flaques, c'est un travail à la ponceuse : je mets la peinture, je laisse sécher, je ponce… Il n'y a pas un coup de pinceau.

 

 

sous la pluie
sous la pluie

J.S-R. : Et après, vous passez du vernis dessus ?

S.M. : Oui. Je vernis. Je laque presque.

Et sur le tableau suivant, petite fille est la seule à s'amuser. Les parents pensent plutôt à se protéger de la pluie.

 

 

Les enfants l'adorent
Les enfants l'adorent

J.S-R. : On pourrait presque dire que ce tableau-là est les prémices de la dispute du lit ?

S.M. : Oui, il y a de cela !

Et puis, nous avons "Les enfants l'adorent" qui représente un pauvre chat réfugié dans un coin. Et on voit l'ombre des enfants. Et si l'on regarde le panneau dans son ensemble, c'est un panneau de signalisation qui signifie "Attention, danger" !

 

J.S-R. : Mais le danger vient des deux côtés. Parce que si le danger vient des enfants, le chat a aussi des griffes !

S.M. : Il est vrai qu'il est prêt à se défendre !

 

 

Pour Maman
Pour Maman

J.S-R. : Enfin, nous arrivons en pleine poésie…

S.M. : Oui, c'est "Pour Maman", qui représente un petit garçon qui, en revenant de l'école, rapporte un bouquet à sa maman. Mais ce qu'il a trouvé ce qu'il a trouvé ne sont pas des fleurettes, ce sont des tessons de bouteilles, des boîtes écrasées, des capsules, tout ce que les gens jettent, etc. !

 

J.S-R. : Là, vous en venez donc à un petit côté écolo, très démonstratif ! Celui-là est moins directement lisible. Je n'avais vraiment pas vu cet aspect des choses ! J'avais pensé tout bêtement à un bouquet avec des objets de récupération ! Et je m'étais dit : "Tiens, celui-ci doit être à part, car il ne propose pas de catastrophe !!"

S.M. : Eh bien, elle y est ! C'est que vous avez trop l'œil axé sur l'Art singulier, où les gens font beaucoup de récupération. Mais là, c'est signifiant. J'ai ramassé les capsules sur le chemin de l'école de ma petite fille !

 

J.S-R. : En fait, je crois que je l'aurais lu comme vous le demandez si toutes les capsules avaient été au sol ! Mais là, je l'ai lu comme une composition.

S.M. : Après, nous pouvons passer à mes sculptures. J'ai aussi ce travail-là qui est composé de sculptures d'assemblages.

 

La Montgolfière
La Montgolfière

J.S-R. : Parlons de la montgolfière.

S.M. : "Utopia Airlines". C'était un album pour un musicien. Ce sont des assemblages de bois, métal. J'aime beaucoup mélanger ces deux matériaux. L'une des sculptures s'intitule "Pleure plus, j'ai réparé Nounours".

 

J.S-R. : Il me semble que la peinture est tout à fait créative, alors que la sculpture serait plus artisanale.

S.M. : Oui, mais cela ne me dérange pas.

 

J.S-R. : En même temps, vos titres ne font plus redondance…

S.M. : Non non, au contraire ; ils sont complémentaires.

 

Trophées
Trophées

J.S-R. : Pour conclure, y a-t-il des sujets que vous auriez aimé évoquer et dont nous n'avons pas parlé ; des questions auxquelles vous auriez aimé répondre, et que je n'ai pas posées ? Parce que nous n'avons pas parlé de vos poissons.

S.M. : Ceux-là, au moins, je les aime beaucoup ! C'est une série intéressante que j'intitule "Trophées". C'est la seule série que je m'autorise. Je suis souvent dans un travail de recherche, donc je n'aime pas refaire plusieurs fois des choses identiques. Je suis un fou de pêche. D'ailleurs, ce matin, vous me cherchiez partout et j'étais à la pêche. Je pêche beaucoup, et je relâche beaucoup. Et quand j'avais décidé de rapporter un poisson pour le consommer, cela m'embêtait toujours. Paradoxe du pêcheur : l'envie de relâcher sa prise ; et l'envie de la montrer à tout le monde ! Je joue donc là-dessus, d'où mon titre.

Pour ces peintures, je prends des empreintes de poissons que je pêche moi-même ; que j'imprime ensuite sur des plaques de polystyrène extrudées qui sont peintes. Et tout cela est ensuite verni. Je joue sur le côté fossile qui est amené par le café, la spiruline et le vin rouge. Ce sont des produits que j'utilise pour que le poisson reste consommable. J'essaie de leur donner un aspect fossile et de les mettre en situation, de façon que cette série semble intermédiaire entre la vie aquatique et la vie humaine plus réaliste.

 

ENTRETIEN REALISE A SAINT-PAUL-LE-JEUNE AU COURS DU FESTIVAL BANN'ART, LE 11 MAI 2013.

Ubu-Roi / Pleure pas, j'ai réparé Nounours / La chèvre / Mange, tu ne sais pas qui te mangera
Ubu-Roi / Pleure pas, j'ai réparé Nounours / La chèvre / Mange, tu ne sais pas qui te mangera