MICHELE CARANOVE

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Michèle Caranove, vous faites uniquement des "constructions" prédécoupées ?

Michèle Caranove : Je récupère du carton, je le recycle et je le découpe. Et, soit j'en fais des bas-reliefs ; soit je le colle sur des plaques de carton, des toiles ou toutes autres sortes de supports.

 

J.S-R. : Cependant, sur les grands tableaux, vous placez d'abord un fond qui est un personnage ?

M.C. : Un ou plusieurs, oui !

 

J.S-R. : Vous commencez par peindre tout ou partie de ce fond que vous venez de créer ?

M.C. : Tout à fait. En fait, même les personnages sont découpés, mais eux sont découpés dans de la toile. Les feuilles sont, elles aussi, découpées en tissu. Puis je les place et je mets des sous-couches en acrylique. Avec certaines couleurs. Enfin, je retravaille dessus avec des huiles solides.

 

J.S-R. : Qu'appelez-vous des "huiles solides" ?

M.C. : Ce sont des huiles en bâtons. Ce ne sont pas des pastels à l'huile. C'est vraiment de l'huile, mais solide. Un peu dure. Qui permet donc de travailler directement sur le matériau. Et qui sèche en trois à cinq jours. Puis je passe des estompeurs ; je gratte, je reviens, etc.

 

J.S-R. : Selon vous, qu'est-ce que le fait de coller vos gros cartons sur un fond, donc de créer un relief, apporte à l'ensemble de votre œuvre ? Pourquoi éprouvez-vous le besoin de procéder ainsi ?

M.C. : Moi je trouve que c'est plat ! J'ai besoin d'ajouter des choses. J'ai commencé par coller sur la toile. Des tissus, mais je ne trouvais pas que c'était assez épais. Puis du carton. Et je me suis dit que je ne pouvais pas continuer de coller des choses à l'infini. Je suis passée aux boîtes Casani. Là, je travaille par plans successifs que je fais également en carton. Donc, j'ai plus de relief. C'est du bas-relief, mais qui se travaille en plans finalement assez plats, qui se succèdent ou se superposent.

 

J.S-R. : Mais la différence ne vient-elle pas de ce que vous n'avez pas un grand personnage qui remplit le tableau comme dans les grandes oeuvres ? C'est-à-dire que vous avez là des éléments de décors sur lesquels vous avez collé vos personnages. Vous avez inversé les valeurs ?

M.C. : J'aime bien les personnages aussi. J'ai appris le dessin académique avec un vieux monsieur qui était restaurateur de tableaux et qui dessinait comme un dieu. Nous dessinions beaucoup de modèles vivants. Et j'aime bien faire des dessins du corps nu. On le retrouve donc ici. Je travaille aussi à la plume, parce que j'aime beaucoup dessiner le corps humain. Il y a aussi une base d'humanité dans mon travail.

Ils sont tout seuls ou plusieurs, selon mon envie.

 

J.S-R. : Qu'entendez-vous par "il y a une base d'humanité" ?

M.C. : Le corps humain, ce sont des gens, tout simplement.

 

J.S-R. : Vous voulez dire que le principal sujet pour vous, c'est l'humain ?

M.C. : Oui, au sens propre ou au sens figuré. C'est-à-dire qu'il apparaisse ou qu'il n'apparaisse pas. De toute façon, c'est ce qui m'intéresse. C'est l'humain, c'est son sentiment, c'est sa vie, c'est notre environnement, nos relations. Cela s'appelle de l'amitié, le beau… Je suis une ancienne graphiste. Donc je rajoute parfois des signes graphiques. Des flèches qui se chargent de sens, qui indiquent que l'on va de l'un vers l'autre… Et comme je suis aussi très amoureuse de la nature, je les mets dans des paysages.

Ce qui m'intéresse, c'est de raconter un peu ce que nous sommes, ce que nous vivons… mais d'une façon colorée. Par contre, je ne suis pas trop dans l'introspection.

 

J.S-R. : Dans l'une de vos boîtes, vous avez un cœur transpercé ; et deux personnages avec un nuage entre leurs mains, ce qui semble vouloir dire qu'il y a de l'orage dans l'air ? Mais vous avez ajouté plusieurs mini-personnages en train de courir tout autour d'eux. Quel sens donnez-vous à ces présences ? Etes-vous d'accord avec mon analyse ?

M.C. : Non, le cœur n'est pas percé ! Et les nuages ne sont pas l'orage ! Quand il y a de l'orage, il y est carrément ! Ce sont plutôt des sens… Il y a des choses graphiques que je rajoute. Mes personnages sont une présence… C'est peut-être un peu moi ?

 

J.S-R. : Donc, à la limite, il ne faudrait pas chercher de sens dans vos oeuvres : ce sont des questions d'équilibre ?

M.C. : Oui. Aussi.

 

J.S-R. : Mais, dans ce cas, quand vous donnez un titre comme "Amitié", vous dérogez à ce que vous venez de dire ?

M.C. : Non, parce qu'il y a tout de même pour moi, un sens entre les personnages. D'ailleurs, les titres viennent souvent après la fin du tableau.

 

J.S-R. : La présence de végétaux est aussi extrêmement importante dans votre travail. Est-ce parce que vous êtes militante écolo ?

M.C. : Non, je ne suis pas "militante", je suis sympathisante. Mais, comme je vous l'ai dit, je suis à l'origine, une graphiste. Ce qui m'intéresse, c'est la forme de la feuille. Mais en effet, cette année le végétal revient souvent.

 

J.S-R. : Mais il vous est arrivé de choisir d'autres éléments récurrents ?

M.C. : Oui, des fleurs !

 

J.S-R. : Mais c'est dans le même registre !

M.C. : Oui. J'en ai utilisé pour des bas-reliefs. En tant que graphiste, j'ai travaillé vingt ans dans la publicité : on apprend à faire des logos, à formuler des idées de façon simple. Je crois que j'ai gardé cette espèce d'approche : les humains sont souvent une couleur ; je prends une feuille pour évoquer un arbre ; une fleur est d'une forme simple, genre marguerite. J'ai toujours cet apport qui simplifie un peu les formes. Si je fais une voiture, les gens me disent qu'elle est naïve. Mais non, simplement je l'évoque de façon simple. On ne reconnaît pas le modèle, mais cela m'est égal !

 

J.S-R. : Je vois que vous avez fait aussi des tentatives en noir et blanc. Quand vous quittez cet ensemble de couleurs tellement fortes, n'éprouvez-vous pas un manque, à vous retrouver en noir et blanc ?

M.C. : Non, parce que je suis toujours dans le graphisme. Mais je n'y reste pas longtemps. Ce sont des petits retours au dessin, que j'effectue à la plume Sergent-major. Toujours du corps humain. Ou des grands groupes. Parfois, avec de l'huile que je travaille en négatif en la grattant.

 

J.S-R. : Pour conclure, y a-t-il des sujets que vous auriez aimé évoquer et dont nous n'avons pas parlé ; des questions auxquelles vous auriez aimé répondre, et que je n'ai pas posées ?

M.C. : Non. Sauf que je peux ajouter que j'ai quelques œuvres avec des personnages que j'appelle "les hommes-fleurs". Je lis beaucoup, aussi. Et je m'étais penchée sur "Tristes tropiques" de Claude Lévi-Strauss. C'est cette lecture qui m'avait orientée sur les hommes-fleurs, les Bororos… Tout cela m'avait beaucoup intéressée et j'ai eu envie de travailler le sujet à ma manière. D'où ces feuilles sur les personnages, ces gens qui vivent dans la nature. On pense de façon simple, mais avec des civilisations complexes, organisées, intéressantes, respectables… Je suis encore un peu dans ce processus.

 

ENTRETIEN REALISE A BANNE, DANS LES ECURIES, AU COURS DU FESTIVAL BANN'ART, LE 11 MAI 2013.