SANDRINE LEPELLETIER, sculpteur

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Sandrine, depuis combien de temps travaillez-vous la terre ?

Sandrine Lepelletier : Je la travaille depuis 1997.

 

J.S-R. : Vous êtes donc une "ancienne" dans la carrière !

S.L. : Oui. J'ai d'abord travaillé dans un atelier d'Art-thérapie. Avec une art-thérapeute qui s'appelait Frane. Ce travail m'a beaucoup plus ; j'ai approfondi ma connaissance de la matière. J'éprouvais des sensations nouvelles, je pouvais exprimer de nouvelles idées.

Un jour, j'ai quitté l'atelier, et j'ai commencé à travailler seule chez moi.

 

J.S-R. : Qu'est-ce qui était le mieux : travailler face à quelqu'un qui vous guidait un peu ? Ou de travailler seule face à la matière ?

S.L. : J'avais envie et besoin d'être seule face au travail que je commençais à développer. Au départ, c'étaient de petites pièces. Il n'y avait pas trop de matière, c'était surtout un geste. Le geste comptait plus pour moi que la matière. Ensuite, j'ai développé ma technique en fréquentant d'autres ateliers. Tout cela s'est fait petit à petit.

 

J.S-R. : Ce qui me surprend, c'est que vous disiez : "Ce qui m'intéressait, c'était le geste". Parce qu'il me semble que, dans vos œuvres, c'est tout, sauf gestuel. C'est assis, c'est posé, sûr de soi !

S.L. : Mais au début, il en allait différemment. Je voulais surtout être dans la sensation. Dans mon rapport avec la terre, j'avais besoin de cette recherche. Etre plus aguerrie. Ensuite, plus les formes avançaient, plus j'avais envie d'accéder à autre chose. D'être dans une technique de vides et de pleins. J'ai d'abord expérimenté la forme arrondie. Puis, j'en suis venue à des formes plus géométriques.

 

J.S-R. : J'ai dit "posé", mais j'aurais dû dire "assis", bien stable. D'ailleurs, vous semblez une personne très stable sur votre vie, sur vos positions ?

S.L. : Oui, c'est vrai.

 

J.S-R. : C'est l'impression que j'ai ressentie; hier, lors du vernissage, lorsque je vous ai vue venir vers le podium. J'ai pensé : "Voilà quelqu'un qui sait ce qu'elle veut" !

S.L. : Oui. C'est cela.

 

J.S-R. : Il me semble que ce qui vous intéresse, c'est l'humain ? L'humain pas forcément réaliste ? Je dirai même jamais réaliste ! Mais quel que soit le prétexte, comme dans l'œuvre où vous avez ce qui pourrait être deux tours/villes, vos maisons sont pratiquement des têtes humaines ?

S.L. : Complètement, oui. Ce sont les toutes dernières créations. C'est peut-être en rapport avec une vie plus personnelle. Elles sont certainement liées à la recherche d'un lieu, d'un élément où me poser, que je n'ai pas trouvé dans mon existence. C'est aussi une histoire personnelle, la recherche d'un endroit intérieur…

 

J.S-R. : Si je comprends bien, vous voulez dire qu'à un moment donné, dans votre "vraie vie", vous êtes partie à la recherche d'un endroit où vous vous sentiriez bien ?

S.L. : Oui. Une recherche intérieure.

 

J.S-R. : Vos deux tours que nous venons d'évoquer, sont à la fois le contenant et le contenu.

S.L. : Oui. Elles impliquent une protection, une citadelle où l'on puisse s'installer dans quelque chose de rassurant.

 

J.S-R. : En même temps, vous avez chaque fois des personnages à l'extérieur. Tantôt, ils sont grattés dans la terre, d'autres fois ils sont carrément en relief. Ce n'est donc pas la même démarche ?

S.L. : Non.

 

J.S-R. : Comment passez-vous de l'un à l'autre ? Ces personnages que vous avez faits autour sont-ils des protecteurs ?

S.L. : Ils se racontent une histoire. Il y a plus un sentiment de collectivité que de solitude. De collectivité : l'ensemble dans un peu, c'est un peu en mouvement. J'essaie de raconter une histoire plus dansée, plus dans le mouvement. Cette notion de danse peut aussi être en rapport avec la nature, parce que j'ai intégré pas mal d'arbres. Ces dessins gravés dans la terre sont assez spontanés. Je représente souvent le ventre, symbole de la maternité. Le rapport à l'enfance.

 

J.S-R. : Vous avez ensuite une autre série que l'on pourrait appeler des "rotondités". Mais, ce qui est bizarre, c'est que vous semblez complètement obsédée par les corps. Vous avez un personnage, ou une tête, comme cette sorte d'Africain qui se trouve en face de nous. Mais le casque de l'Africain est une série de personnages en rond. Un autre qui est en train de chanter a des sortes de protubérances sur les bras qui sont en même temps des personnages. Un autre encore semble pris dans un réseau de cours d'eau qui vont vers les oreilles, représentent le nez, les sourcils qui s'en vont dans les cheveux; etc. Pour un autre enfin, le ventre est carrément percé et des personnages en émergent. D'où vous vient cette volonté du personnage dans le personnage ou sur le personnage ? Pourquoi, par exemple, la décision de faire un casque humanoïde, couvert de personnages au lieu de mettre des éléments symboliques ?

S.L. : J'aime la curiosité qui s'en dégage. Le fait d'avoir des bouches, d'intégrer des vides, me permet de les remplir. En fait, c'est le vide qui m'intéresse…

 

J.S-R. : Qui semble vous faire peur, puisque vous éprouvez le besoin de le remplir.

S.L. : Oui. Mais sans cet être humain, sans cette façon d'exprimer ces visages, je ne serais rien. J'ai besoin de cette présence humaine pour combler ce vide.

 

J.S-R. : Cela implique-t-il que, pour vous, l'homme ne peut pas exister seul ? Qu'il faut qu'il soit dans un contexte avec d'autres que lui ?

S.L. : Oui. C'est un peu une manière de combler la solitude ! De mettre de l'être, de l'humanité dans un monde vide. Dans un monde, c'est mon sentiment, où tout se délite, où tout est à refaire, il faut le recréer. Il est difficile de parler de son travail !

 

J.S-R. : Oui. D'autant qu'il s'agit d'un travail très psychologique. Pour vous libérer un peu, parlons des personnages longilignes !

Prenons le cas de celui qui est devant nous : il est conçu sur le même prince que ceux évoqués tout à l'heure, à savoir de porter plusieurs personnages. En même temps, il a ses mains qui le serrent comme s'il voulait se protéger. Mais, sans ambiguïté, au-dessous de son ventre, c'est un sexe.

S.L. : Oui.

 

J.S-R. : Mais alors, il a une tête d'homme et un sexe de femme ? Quel est son problème ?

S.L. : Quel est son problème ? A-t-il un problème, en fait ?

 

J.S-R. : En tout cas, il est paradoxal. Il est ambigu ! Mais on pourrait presque dire la même chose de chacun, parce qu'un autre a les seins dans le dos et c'est comme si on le voyait à la radio. Dans un autre groupe, on pourrait penser que l'un est la continuité de l'autre ; comme des siamois, en somme, au moment où ils ont été fécondés. Est-ce que ce descriptif vous convient ?

S.L. : Oui, il me convient ! Redites-moi ce que vous venez de développer…

 

J.S-R. : Si nous revenons au premier, nous avons convenu qu'il était ambigu. Mais, juste devant nous, il présente ce qui est incontestablement un sexe ouvert. On peut donc dire qu'il appelle la fécondation. Or, nous arrivons à l'autre qui a exactement la même configuration, mais il a les bras ouverts au lieu de se protéger, et de toute évidence il est "enceinte" parce qu'il a un autre personnage dans/sur le ventre.

S.L. : Oui. Sauf que ce deuxième personnage est arrivée avant celui dont nous avons parlé le premier.

 

J.S-R. : J'en conclurai que ce personnage ne vous avait pas donné satisfaction, et que vous êtes revenue aux sources ?

S.L. : C'est possible ? Oui, tout à fait !

 

J.S-R. : Si vous n'êtes pas d'accord avec ce que je vous propose, il faut le dire. C'est votre analyse qui prime !

S.L. : Est-ce que je peux parler d'espoir ?

 

J.S-R. : De tout ce que vous voulez !

S.L. : Dans celui qui a un enfant sur le ventre, il y a de l'espérance, dans l'autre, il n'y en a plus.

 

J.S-R. : Oui. Encore que ce sexe ouvert est aussi une manière d'espérance !

S.L. : Non !

 

J.S-R. : C'est le vide, la solitude dont vous parliez tout à l'heure ?

S.L. : Je pense que oui. En tout cas, je suis plus dans cet esprit-là. Je pense que c'est plus de la résignation que de l'espoir !

 

 

J.S-R. : Nous conclurons sur ce personnage-ville, qui est à la fois pris dans la ville et qui la domine ! Devant lui, nous avons des têtes qui, plus que des vivants, me semblent être des morts ? Celui-ci me semble être le plus triste de tous ? Même s'il est plus décoratif.

S.L. : Oui, il est empêtré ! Il a une deuxième face que nous ne voyons pas là, mais il est empêtré, figé dans son histoire. Son regard vers le ciel suggère un peu la désespérance. C'est une sculpture qui a été très longue et difficile à monter, et je n'étais pas forcément satisfaite du visage que je lui avais donné ! Mais finalement, il s'est très bien intégré au reste de l'œuvre qui est arrivé après. Nous sommes dans une boîte fermée, où tout est figé, où rien ne peut se passer. Même les maisons sont un peu…

 

J.S-R. : Cahin-caha ! Il y a dans cette œuvre beaucoup moins de certitudes que dans les autres.

Y a-t-il d'autres questions que vous auriez aimé entendre et que je ne vous ai pas posées ?

S.L. : Je suis complètement novice et je ne sais pas trop ! Mais vous, auriez-vous d'autres questions à me poser ?

 

J.S-R. : Pas dans l'immédiat ! Ce qui me surprend, c'est que vous parlez beaucoup de solitude ! Alors qu'hier, je vous ai toujours vue très affable, très à l'aise avec les gens ! Très ouverte ! Est-ce que j'ai fait une erreur ? Est-ce que vous vous sentez réellement solitaire ?

S.L. : Je pense que oui. Là, nous sommes dans la vie commune. Mais personnellement, oui, je travaille seule et je suis seule. Solitaire intérieurement.

 

J.S-R. : Vous voulez dire que, même s'il y a un entourage, vous restez seule ?

S.L. : Oui.

 

ENTRETIEN REALISE A CHANDOLAS LORS DU FESTIVAL BANN'ART LE 10 MAI 2013.